La déforestation mondiale reste l’un des défis environnementaux les plus urgents de notre époque. La récente loi anti-déforestation adoptée par le Parlement européen en avril 2023, qui vise à réduire l’impact de notre alimentation sur les forêts, a été saluée comme un pas important vers la préservation de la couverture forestière mondiale. Cependant, son application a été reportée à 2026, ce qui soulève des inquiétudes parmi les défenseurs de l’environnement. En effet, la déforestation est aujourd’hui principalement alimentée par l’agriculture intensive et l’exploitation des ressources naturelles, liées directement à notre consommation alimentaire.
Les forêts : les « poumons verts » de la planète
Les forêts jouent un rôle fondamental dans la régulation du climat et de la qualité de l’air. En absorbant chaque année près de 2 milliards de tonnes de CO₂, soit environ 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les arbres contribuent à lutter contre le changement climatique. De plus, les forêts libèrent de l’oxygène, essentiel à la vie sur Terre. Les forêts primaires, ou anciennes, sont particulièrement efficaces dans ce rôle, car leurs grands arbres absorbent entre 60 et 70 fois plus de CO₂ que les jeunes spécimens.
Mais leur utilité ne se limite pas au climat : elles abritent 80 % de la biodiversité terrestre, des bactéries microscopiques aux grands mammifères. Chaque espèce joue un rôle crucial dans le bon fonctionnement des écosystèmes et des réseaux trophiques. En outre, les sols forestiers filtrent l’eau et réduisent la pollution plus efficacement que ceux des exploitations agricoles. Les forêts servent également de barrière contre les catastrophes naturelles, comme l’ont démontré les mangroves en Indonésie lors du tsunami de 2018.
Enfin, les forêts contribuent à la sécurité alimentaire de certaines populations qui en dépendent directement pour leur subsistance, grâce à la fertilité de leurs sols et leur capacité à réguler les cycles de l’eau. La destruction de ces écosystèmes affecte non seulement la biodiversité, mais aussi la santé publique, car elle favorise la transmission de maladies infectieuses par les animaux et les insectes.
L’alimentation, un moteur clé de la déforestation
L’un des moteurs principaux de la déforestation est l’agriculture, notamment la production de certaines denrées alimentaires largement consommées à l’échelle mondiale. Le soja, l’huile de palme, le cacao, le café et l’avocat sont parmi les produits agricoles les plus impliqués dans la déforestation, car leur production repose sur des pratiques agricoles intensives qui entraînent le défrichement de vastes zones forestières.
Même si ces cultures ne sont pas toutes intrinsèquement destructrices, ce sont leurs méthodes de production actuelles, notamment l’agriculture industrielle, qui posent problème. La demande croissante pour ces produits exacerbe cette dynamique. Il existe cependant des alternatives pour réduire l’impact environnemental de notre alimentation. Par exemple, réduire la consommation de viande et de produits issus de l’aquaculture permettrait de limiter la demande en soja, un ingrédient clé dans la production de nourriture pour animaux. En outre, choisir des produits certifiés Fairtrade, comme le cacao ou l’huile de palme issus du commerce équitable, peut être une solution pour soutenir une production plus durable. Ces certifications incluent des critères stricts en matière de protection des forêts et de la biodiversité.
Cependant, la certification de l’huile de palme durable (RSPO) reste un sujet controversé. Elle est critiquée pour défendre les intérêts des grands groupes industriels au détriment des droits environnementaux et humains, ce qui soulève des interrogations sur son efficacité réelle pour préserver les écosystèmes.
Le règlement européen anti-déforestation : un pas vers la régulation de la déforestation importée
Pour freiner la déforestation liée à la consommation, le Parlement européen a adopté en 2023 un règlement interdisant la commercialisation de produits agricoles provenant de zones déboisées après le 31 décembre 2020. Ce règlement cible des produits comme le soja, l’huile de palme, le cacao, le café, le bois, et la viande bovine. Les entreprises devront prouver la traçabilité de leurs chaînes d’approvisionnement et garantir que leurs produits ne contribuent pas à la destruction des forêts, notamment dans les pays producteurs.
Bien que cette législation représente une avancée majeure, son application a été repoussée à 2026, avec un délai supplémentaire jusqu’en 2027 pour les petites entreprises, après un intense lobbying des industries agroalimentaires. Cette décision a été critiquée, car elle permet à de nombreuses entreprises de continuer à commercialiser des produits ayant un impact dévastateur sur les forêts pendant encore plusieurs années.
Ce retard pourrait, cependant, offrir une opportunité de mettre en place des mesures d’accompagnement pour les producteurs, en particulier ceux des pays en développement, pour les aider à adopter des pratiques agricoles durables. Mais la question demeure : la lutte contre la déforestation peut-elle être efficacement menée sans une refonte profonde de nos systèmes agricoles et alimentaires mondiaux ?
Un changement de modèle : vers une consommation plus responsable
Le lien entre la déforestation et notre alimentation souligne l’urgence d’un changement radical dans nos pratiques de consommation. La déforestation ne peut être combattue de manière isolée, et les solutions doivent inclure une révision complète de notre système agro-industriel. Au-delà de la régulation des produits alimentaires, il est essentiel d’encourager un changement de comportement, avec des choix alimentaires plus durables.
La consommation de produits alimentaires issus de l’agriculture industrielle intensive doit être réduite, au profit de produits respectueux de l’environnement. Il est également crucial de soutenir les systèmes alimentaires locaux et durables, et de promouvoir des pratiques agricoles régénératrices qui favorisent la santé des sols, la biodiversité et la réduction de l’empreinte carbone.
Les forêts, au cœur de la solution climatique
Les forêts sont essentielles pour la régulation du climat et la préservation de la biodiversité mondiale. Leur protection est intrinsèquement liée à notre alimentation, et un changement dans nos modes de consommation est indispensable pour inverser la tendance à la déforestation. La législation européenne anti-déforestation représente un pas vers une régulation plus stricte, mais elle ne doit pas être vue comme une solution unique. Un changement global de nos systèmes alimentaires, favorisant des pratiques durables, est crucial pour la préservation des forêts et la lutte contre le changement climatique.
Moctar FICOU / VivAfrik