La COP29, qui se déroule actuellement en Azerbaïdjan, consacre pour la deuxième année consécutive une journée à la santé à l’ère du changement climatique. Si l’impact de la crise environnementale sur la santé physique est désormais largement reconnu, les effets sur la santé mentale, notamment l’anxiété écologique, font l’objet d’une attention croissante. Hélène Jalin, psychologue clinicienne et doctorante à l’université de Nantes, revient sur l’émergence de ce phénomène, qui a pris de l’ampleur depuis 2017, et ses conséquences sur l’individu et la société.
L’éco-anxiété : une émotion collective en pleine émergence
Le concept d’éco-anxiété, bien qu’encore non reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait son apparition dans les dictionnaires français en 2023. Ce terme désigne une forme d’anxiété déclenchée par la prise de conscience des enjeux climatiques mondiaux. Bien que plusieurs définitions coexistent, elles convergent toutes vers une émotion intense ressentie face à la crise écologique. Hélène Jalin explique que cette émotion inclut des sentiments de colère, de culpabilité et de tristesse, mais aussi des symptômes physiques comme l’insomnie ou les tensions musculaires. La psychologue souligne que l’éco-anxiété, contrairement à l’anxiété classique, est une forme « rationnelle » de stress face à un danger réel et imminant, comme les dérèglements climatiques.
Des symptômes et des réactions variées
Les symptômes de l’éco-anxiété peuvent être divers et se manifestent souvent par une « boulimie d’informations ». Ceux qui en souffrent cherchent constamment à se tenir informés des dernières nouvelles climatiques, ce qui peut accroître leur stress et affecter leur concentration. Hélène Jalin et son équipe ont développé une échelle de mesure de l’éco-anxiété, l’Emea, qui évalue ces symptômes sur trois sous-échelles : émotionnelles, relationnelles et liées à l’obsession écologique.
« Les personnes éco-anxieuses éprouvent des tensions dans leurs relations sociales, notamment avec des proches qui ne partagent pas leur niveau de préoccupation concernant le changement climatique », indique-t-elle. Ces tensions peuvent se manifester dans des situations quotidiennes, comme les choix de transport, mais aussi dans le cadre professionnel, où l’éco-anxiété peut générer des crises de sens.
L’éco-anxiété : un moteur d’action, pas une pathologie
Bien que certains symptômes d’éco-anxiété puissent être perçus comme pathologiques, Hélène Jalin insiste sur le fait que cette émotion ne constitue pas une maladie mentale. « L’éco-anxiété est une réponse émotionnelle saine face à un danger réel », explique-t-elle, soulignant que ceux qui sont conscients de la crise climatique sont souvent mieux préparés émotionnellement à y faire face. Selon elle, il est crucial de ne pas pathologiser ces émotions, mais plutôt de les comprendre comme un moteur d’action pour inciter au changement.
Jalin insiste sur le fait que l’éco-anxiété peut être un catalyseur pour les actions collectives. Les personnes éco-anxieuses, souvent comparées à des « canaris dans la mine », jouent un rôle crucial en avertissant la société des dangers imminents. Cependant, pour que cette anxiété soit constructive, il est essentiel que les individus aient des moyens d’agir et qu’ils soient soutenus dans leurs démarches par des actions collectives, politiques et associatives.
La diffusion de l’éco-anxiété : un phénomène mondial
Si l’éco-anxiété touche une grande partie de la population, il est important de noter que ce phénomène n’est pas limité aux pays occidentaux. Une étude menée par The Lancet en 2021 a révélé que des jeunes des Philippines et de l’Inde sont les plus affectés par cette anxiété liée au changement climatique, tandis que la France et les États-Unis enregistrent des taux moins élevés. « Les pays les plus exposés aux événements climatiques extrêmes, comme les typhons ou les canicules, sont plus susceptibles de ressentir cette forme d’anxiété », précise Hélène Jalin.
L’éco-anxiété comme catalyseur de changement
Pour Hélène Jalin, l’éco-anxiété n’est pas un fardeau, mais un levier potentiel pour l’action. « Plus il y aura de personnes éco-anxieuses, mieux ce sera pour l’avenir de la planète », affirme-t-elle. En effet, cette forme d’anxiété, si elle est bien canalisée, peut inciter à l’engagement et à l’action collective, rendant ainsi l’individu acteur du changement nécessaire face à la crise climatique.
Le principal défi, selon la psychologue, est de ne pas laisser cette anxiété se transformer en déni ou en isolement, mais de la comprendre comme une force motrice pour agir, à la fois individuellement et collectivement, dans le but d’éviter un désastre environnemental.
Moctar FICOU / VivAfrik