Le Global Carbon Project, consortium de scientifiques de plus de cent laboratoires de recherche à travers le monde, a publié son 19ème rapport annuel, le Global Carbon Budget, ce 13 juin 2024. Ce rapport détaille avec précision les origines des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et leur impact sur le climat, notamment en lien avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici aux prochaines décennies. Malgré un ralentissement de la hausse des émissions mondiales, celles-ci n’ont pas encore commencé à décroître, et le climat continue de se réchauffer.
Augmentation des émissions prévue pour 2024 : 37,4 milliards de tonnes de CO2 projetées
Le Global Carbon Budget projette pour 2024 une émission de 37,4 milliards de tonnes de CO2 due aux combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz), marquant une augmentation de 0,8 % par rapport à 2023. En ajoutant les émissions liées aux changements d’usage des terres, principalement dues à la déforestation, le total attendu pour 2024 s’élèverait à 41,6 milliards de tonnes. Ces chiffres montrent la persistance des émissions à des niveaux trop élevés pour permettre d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.
Philippe Ciais, co-auteur du rapport et physicien au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, déplore l’absence de signe de diminution des émissions et évoque un seuil critique imminent : « Si les émissions mondiales ne diminuent pas radicalement dans les prochaines années, nous dépasserons très probablement la limite de 1,5°C. »
La limite des 1,5°C : un point de non-retour en moins de dix ans ?
Le rapport révèle que, au rythme actuel, il ne resterait que six ans avant de dépasser un réchauffement de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Concrètement, il resterait un « budget carbone » de 235 milliards de tonnes de CO2, soit l’équivalent de six années d’émissions au niveau actuel, avant de franchir ce seuil. Pour un réchauffement limité à 1,7°C, il resterait 14 ans, et pour 2°C, environ 27 ans, mais ces seuils critiques impliquent des réductions d’émissions immédiates et radicales. « Atteindre l’objectif de 1,5°C est irréaliste sans des réductions rapides et drastiques des émissions mondiales », ajoute Philippe Ciais.
Fossiles et déforestation : deux sources d’émissions majeures aux impacts différents
Les auteurs du rapport différencient les émissions provenant des énergies fossiles et celles dues à la déforestation. La déforestation, concentrée dans les régions tropicales d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie, a diminué de 20 % entre 2014 et 2023 mais représente encore environ 10 % des émissions mondiales. En comparaison, les émissions issues des énergies fossiles continuent de croître, pesant pour 90 % du total.
La Chine, par exemple, émet à elle seule 32 % du CO2 mondial. Cependant, ses émissions devraient stagner en 2024, tandis que l’Inde connaît une hausse significative (+4,6 %). L’Europe et les États-Unis, en revanche, enregistrent des diminutions continues. D’après Ciais, « l’action humaine, particulièrement l’utilisation des énergies fossiles, est le principal facteur qui déstabilise le cycle du carbone et contribue au réchauffement climatique ».
L’absorption du carbone par les puits naturels : un rôle essentiel mais fragilisé
Naturellement, les écosystèmes absorbent une partie du CO2 dans l’atmosphère. Les océans et les sols capturent environ la moitié des émissions anthropiques, les océans absorbant de manière continue, tandis que les continents le font de façon plus variable selon les conditions climatiques. Cependant, les événements climatiques extrêmes comme les sécheresses et les incendies compromettent cette absorption. En 2023, les feux de forêt sur le continent américain ont réduit la capacité d’absorption de la végétation, aggravant l’accumulation de CO2 dans l’atmosphère.
L’Afrique, un continent clé dans la lutte contre le réchauffement climatique
Bien que l’Afrique ne représente actuellement que 5 % des émissions mondiales de CO2, son potentiel de croissance économique et démographique en fait un acteur clé pour l’avenir du climat. Selon le rapport, les décisions énergétiques de l’Afrique, notamment entre les énergies renouvelables et fossiles, détermineront en grande partie sa trajectoire d’émissions. Philippe Ciais souligne le potentiel d’une transition rapide vers des énergies vertes : « Avec la reforestation et les énergies renouvelables, plusieurs pays africains, comme le Rwanda, peuvent atteindre la neutralité carbone en quelques années. »
Le rôle de la déforestation : trajectoires et enjeux régionaux
La déforestation mondiale, qui a culminé dans les années 1950, est en baisse depuis la fin des années 1990 grâce à des politiques de protection forestière. Toutefois, des zones comme le bassin du Congo subissent une pression accrue due à la forte croissance de la population et à l’agriculture de subsistance. Dans des régions comme le Brésil, les pratiques d’élevage contribuent à la destruction des forêts tropicales, tandis que des plantations commerciales, comme les palmiers à huile en Indonésie, remplacent les forêts originelles.
Les pays tropicaux sont souvent des lieux de reforestation pour compenser les émissions mondiales, mais ce n’est pas toujours aussi efficace qu’il y paraît. « Les forêts primaires stockent beaucoup plus de carbone et supportent une biodiversité précieuse, » a expliqué Ciais. La régénération de forêts secondaires est bénéfique, mais elle prend plusieurs décennies pour retrouver les niveaux de carbone des forêts primaires.
Puissance et limites des puits de carbone : entre continents et océans
L’absorption du CO2 par les océans est continue, une partie du gaz se dissolvant dans l’eau. Les forêts et sols terrestres, en revanche, réagissent de façon plus immédiate aux conditions climatiques. Lorsque la température augmente ou que la sécheresse s’intensifie, ces puits terrestres peuvent se transformer en émetteurs de carbone. En 2023, une sécheresse intense en Amazonie a notamment entraîné une perte de carbone importante.
Les experts espèrent une récupération avec le prochain phénomène climatique de La Niña, qui apporte généralement des conditions plus humides favorables à l’absorption de carbone par les écosystèmes.
Moctar FICOU / VivAfrik