Le contrat controversé entre le Sénégal et la société saoudienne Acwa Power pour la construction d’une usine de dessalement de l’eau de mer connaît un nouveau tournant. Après des mois de tension et une rupture annoncée en juillet 2024, le président de la République sénégalaise, Bassirou Diomaye Faye, a fait un déplacement stratégique à Ryad pour renégocier les termes du contrat. Entre réticences de la société civile et concessions diplomatiques, ce projet suscite de nombreuses réactions au Sénégal.
Un contrat contesté et cassé en juillet 2024
En juillet 2024, le ministre de l’Hydraulique, Cheikh Tidiane Dièye, avait mis fin à la convention signée sous l’ancien président Macky Sall. Le ministre avait pointé du doigt le coût exorbitant de ce Partenariat public-privé (PPP) de 459 milliards de FCFA sur 30 ans. Le projet prévoyait une production de 400 000 m³ d’eau par jour, mais le ministre avait critiqué ce chiffre comme étant insuffisant pour faire face aux besoins futurs d’une population croissante. Il avait également soulevé l’absence d’études environnementales et l’impact potentiel sur le prix de l’eau, qui risquait d’augmenter drastiquement.
Cette décision de résiliation n’a pas été bien reçue par le gouvernement saoudien, qui a immédiatement exprimé son mécontentement. Un premier effort diplomatique avait alors été tenté avec l’envoi en août 2024 du ministre-directeur de cabinet, Mary Teuw Niane. Cependant, cette visite n’a pas permis d’améliorer la situation, l’émissaire sénégalais n’ayant été reçu que par des personnalités de rang inférieur en Arabie saoudite.
Diomaye Faye à Ryad : Une tentative de sauvetage du projet
Face à cette impasse, Bassirou Diomaye Faye a profité de sa participation au Forum saoudien d’investissement pour entamer directement les négociations avec les autorités saoudiennes, y compris le prince héritier Mohammed Bin Salman (MBS). Ce déplacement en personne, perçu comme un geste diplomatique de réconciliation, a permis de rétablir le dialogue avec Acwa Power et de revoir certaines conditions du contrat, afin de mieux prendre en compte les « intérêts du Sénégal ». Bien que la nature exacte des modifications apportées au projet reste floue, les autorités sénégalaises ont assuré qu’elles avaient obtenu des concessions pour limiter l’impact financier et environnemental du projet.
Un projet renégocié mais inchangé dans ses fondements
Selon les informations disponibles, le projet de dessalement restera en PPP, et sa structure de base ne sera pas profondément modifiée. Il s’agira de la deuxième usine de dessalement d’eau de mer au Sénégal, après celle en cours de construction avec l’aide financière du Japon. Le gouvernement sénégalais a souligné que cette nouvelle usine devrait répondre aux besoins en eau potable dans les zones urbaines et périurbaines, où la demande ne cesse de croître.
Cependant, les analystes estiment que le contrat renégocié pourrait ne pas être si différent du précédent. Le fait que le président ait dû personnellement intervenir auprès des dirigeants saoudiens montre à quel point la relation avec Ryad est devenue stratégique pour le Sénégal, et laisse entendre que les termes restent largement avantageux pour Acwa Power.
La société civile entre inquiétude et méfiance
Les organisations de la société civile sénégalaise ont réagi avec scepticisme à cette renégociation. Elles craignent que le projet n’entraîne une hausse des coûts de l’eau pour les populations et dénoncent l’impact environnemental potentiel d’une telle installation. Selon plusieurs associations locales, le Sénégal devrait explorer des solutions de gestion de l’eau plus durables et moins coûteuses, notamment par le renforcement de la gestion des ressources en eau douce existantes.
« Nous restons prudents. Les termes de ce partenariat ne nous ont jamais été pleinement communiqués, et le peuple sénégalais a le droit de savoir comment les ressources publiques seront utilisées et quelles seront les conséquences pour l’environnement », a déclaré un porte-parole de la Coalition Eau Sénégal, un collectif militant pour l’accès à l’eau potable.
Un enjeu géopolitique pour le Sénégal
L’intervention directe de Bassirou Diomaye Faye illustre également les enjeux géopolitiques de cette négociation. Le Sénégal, comme d’autres pays africains, dépend fortement de ses partenaires internationaux pour financer ses grands projets d’infrastructure. En se rapprochant des Saoudiens, le gouvernement espère également renforcer les liens économiques avec les puissances du Golfe, qui représentent une source potentielle d’investissements stratégiques.
Un compromis qui pose encore des questions
Le retour de Bassirou Diomaye Faye avec un contrat renégocié avec Acwa Power marque une étape importante pour le projet de dessalement au Sénégal. Mais la question des impacts financiers, sociaux et environnementaux demeure. La société civile appelle à plus de transparence sur les termes précis de ce contrat et insiste pour que le gouvernement s’engage à protéger les intérêts des populations sénégalaises.
Avec la population qui continue de croître, et des ressources en eau douce sous pression, ce projet est surveillé de près. La réussite ou l’échec de ce partenariat pourrait bien déterminer l’avenir de la gestion de l’eau au Sénégal, et servir d’exemple pour d’autres pays africains confrontés aux mêmes défis en matière d’accès à l’eau.
Moctar FICOU / VivAfrik