La 16e Conférence des Parties (COP16) sur la biodiversité achevée, vendredi 1er 2024 à Cali en Colombie a rassemblé des représentants de tous les continents pour discuter des solutions à l’effondrement de la biodiversité mondiale. L’Afrique, avec ses écosystèmes variés et uniques comme les forêts tropicales, les tourbières et les mangroves, est au cœur de ces discussions. Mamadou Diallo, président du réseau francophone de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), nous éclaire sur les attentes des pays africains et les enjeux critiques pour le continent.
Que représente la dégradation de la biodiversité pour le continent africain ?
La dégradation de la biodiversité en Afrique est dramatique à bien des égards. Sur notre continent, des millions de personnes dépendent directement des ressources naturelles pour leur alimentation, leur santé, et leurs moyens de subsistance. Lorsque les forêts se dégradent, que les zones humides disparaissent ou que la faune s’éteint, c’est toute une chaîne de vie et d’équilibre qui s’effondre, impactant les populations humaines, en particulier les communautés rurales. Cette dégradation expose aussi les écosystèmes aux aléas climatiques, car des habitats comme les forêts et les tourbières jouent un rôle crucial dans la régulation du climat.
Quels sont les principaux défis auxquels les pays africains sont confrontés pour la protection de leur biodiversité ?
Les défis sont nombreux. D’abord, il y a le financement insuffisant. Les pays africains n’ont souvent pas les moyens de financer la protection de leurs écosystèmes de manière autonome. Ensuite, la pression des industries extractives – pétrole, mines, bois – reste un problème majeur. Ces industries sont souvent encouragées par des acteurs extérieurs et exercent des pressions énormes sur les ressources. Un autre défi crucial est le manque de réglementation stricte et de moyens pour surveiller et appliquer les lois. Enfin, nous assistons aussi à une acculturation et une marginalisation des populations locales et autochtones, qui possèdent pourtant des connaissances ancestrales indispensables à la conservation de la nature.
Que reprochez-vous aux pays du Nord dans cette lutte pour la biodiversité ?
Nous reprochons aux pays du Nord de vouloir exploiter les ressources de l’Afrique avant d’écouter véritablement nos besoins et nos attentes. Ils veulent extraire nos ressources tout en nous dictant comment gérer notre biodiversité. Cette attitude est non seulement injuste, mais contre-productive. L’Afrique a besoin de soutien pour conserver sa biodiversité, pas de pressions pour continuer à exporter des matières premières à faible valeur ajoutée. Les pays du Nord doivent respecter nos priorités et contribuer à un financement conséquent et à des transferts de technologie pour que nous puissions gérer nos ressources de façon durable.
Quelles sont les attentes spécifiques des pays africains pour cette COP16 ?
Les pays africains attendent des engagements fermes sur plusieurs points. Le premier est l’allocation de fonds substantiels pour la protection de la biodiversité. Il ne s’agit pas seulement de promesses, mais de financements concrets pour renforcer les aires protégées, soutenir les initiatives locales et développer des solutions de conservation. Nous demandons également des mécanismes de suivi et de transparence pour s’assurer que les financements atteignent bien les populations et les projets locaux. Enfin, il est essentiel que les pays africains puissent conserver la souveraineté sur leurs ressources naturelles et leurs modèles de développement.
La participation des communautés locales et des peuples autochtones est-elle prise en compte dans les discussions de cette COP16 ?
C’est un point fondamental. Les communautés locales et les peuples autochtones jouent un rôle central dans la préservation de la biodiversité. Ils possèdent des savoir-faire et des connaissances écologiques qui se sont transmis sur plusieurs générations et qui sont adaptés aux écosystèmes locaux. Cependant, ces populations sont souvent mises de côté dans les décisions. À la COP16, nous espérons que les discussions et les décisions les incluront davantage et qu’ils bénéficieront du soutien nécessaire pour continuer à préserver leurs terres et leurs savoirs.
Quels sont les principaux engagements que l’Afrique espère obtenir des autres nations et de la communauté internationale ?
L’Afrique souhaite obtenir des engagements solides et concrets. Cela inclut des financements substantiels et durables, des accords de transfert de technologie, et un engagement pour le respect de la souveraineté des pays africains sur leurs ressources naturelles. Nous espérons également des mesures pour renforcer les droits des communautés autochtones et locales. Un autre point important est l’échange de bonnes pratiques et le renforcement de la coopération scientifique pour que les pays africains puissent renforcer leurs propres capacités de conservation.
Le modèle de développement durable est-il réaliste pour l’Afrique dans le contexte actuel de la crise climatique et de la perte de biodiversité ?
Il est réaliste, mais à condition que le modèle de développement durable prenne en compte les réalités africaines. Ce modèle doit intégrer non seulement les objectifs économiques, mais aussi les dimensions sociale et environnementale. Les pays africains sont vulnérables aux changements climatiques, ce qui amplifie les défis de la conservation de la biodiversité. Avec des investissements adaptés, une gouvernance efficace, et une participation accrue des populations locales, l’Afrique peut emprunter un modèle de développement qui respecte ses écosystèmes et améliore les conditions de vie.
Quels messages souhaitez-vous adresser aux dirigeants mondiaux présents à la COP16 ?
Aux dirigeants mondiaux, je dirais : écoutez-nous, soutenez-nous, et respectez nos priorités. La biodiversité africaine n’est pas seulement un trésor pour l’Afrique, elle est cruciale pour l’équilibre écologique mondial. Si l’on veut réellement lutter contre l’effondrement de la biodiversité, il faut des engagements et des actions fortes de la part des pays du Nord, en commençant par le respect des droits des pays africains et le soutien financier pour nos programmes de conservation. L’Afrique est prête à faire sa part, mais elle a besoin de partenaires qui s’engagent honnêtement.
Alors que les rideaux sont tombés sur la COP16, l’interview de Mamadou Diallo a souligné les enjeux fondamentaux pour le continent africain, notamment obtenir un soutien international juste et adapté, intégrer les communautés locales dans les décisions, et établir des engagements fermes pour protéger la biodiversité de l’Afrique. L’avenir de la biodiversité mondiale dépend en grande partie de la manière dont l’Afrique pourra protéger ses écosystèmes uniques, et les résultats de cette COP16 seront déterminants pour les décennies à venir.
Moctar FICOU / VivAfrik