Par Jean LELONG, Remi HEMERYCK, Pedro DIOUF & Pierre THIAM
La Communauté internationale, sous l’égide de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, organise, ce mercredi 16 octobre 2024, la Journée mondiale de l’alimentation. Cette année, le thème retenu est : « Le droit aux aliments au service d’une vie et d’un avenir meilleurs ».
Selon la FAO, nous produisons suffisamment pour nourrir la population mondiale, mais 733 millions de personnes sont encore confrontées à la faim en raison « de conflits, de chocs climatiques répétés et de ralentissements économiques ». Les pays en développement dont ceux du Sahel, sont en premier lieu confrontés à ce défi, notamment les populations les plus vulnérables comme les femmes, les jeunes et les ménages agricoles. SOS Sahel et ses partenaires sont pleinement mobilisés pour l’atteinte de l’Objectif de développement durable numéro 2 qui vise à éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable. Les Objectifs de développement durable (ODD) sont les 17 priorités d’un développement économique et social soucieux de respecter les populations et la planète à l’horizon 2030. Ils ont été adoptés par 193 pays au sein de l’Onu, le 25 septembre 2015. Au Sahel, nous agissons pour la mise en place de systèmes agricoles durables, compatibles avec la fragilité de l’environnement naturel. Mais ce défi ne peut être relevé que dans le cadre de solutions endogènes, qui passent par des investissements massifs dans l’agriculture locale et la promotion du consommer local.
Convaincus de cette approche, nous travaillons à valoriser les plantes africaines « oubliées » et leur impact potentiel sur la sécurité alimentaire dans une Afrique en proie au défi majeur de la lutte contre la faim. En accord avec le 17e Objectif de développement durable de l’Onu, « Partenariats pour la réalisation des objectifs », nous mobilisons une diversité d’acteurs : producteurs, associations de consommateurs, chercheurs, journalistes, représentants étatiques, partenaires au développement et entreprises. Le partenariat est au cœur de notre action. En réunissant ces différentes parties prenantes, nous créons un espace de dialogue où les points de vue sont confrontés et débattus. Dans un schéma de co-construction, des solutions concrètes et innovantes sont pensées pour améliorer les pratiques agricoles dans la zone sahélienne, tirant parti de l’expertise et des perspectives uniques de chaque acteur.
Le défi est colossal, nous en sommes conscients. 32 millions parmi les 300 millions de personnes qui vivent en Afrique de l’Ouest sont en situation d’insécurité alimentaire. Parmi elles, 7 millions sont dans une situation d’urgence. Dans la région du Sahel, l’agriculture est la principale source de revenus pour plus de 90% de la population. Elle concentre en moyenne 70% des emplois et contribue pour 20% du Produit intérieur brut (PIB).
La montée des tensions dans certains pays de la bande sahélienne nous inquiète et nous oblige à agir. L’insécurité dans le Sahel et la guerre de retour sur le continent européen génèrent une hausse des prix des denrées et accroissent le niveau d’insécurité alimentaire des populations, souvent dépendantes des importations ou de l’aide internationale.
Des solutions locales existent, mais elles sont confrontées à des obstacles. L’un des plus importants est la marginalisation de nombreuses cultures, jadis largement cultivées, au profit de trois grandes céréales modernes : le blé, le riz et le maïs. Or, celles-ci sont peu produites localement et leur importation a un impact conséquent sur les budgets des Etats et sur le pouvoir d’achat des ménages. Rien qu’au Sénégal, la somme d’1 milliard et demi de dollars est consacrée chaque année à l’importation de denrées alimentaires, ce qui a un impact sur la balance commerciale, l’équilibre des finances publiques et le pouvoir d’achat des ménages.
Or, les espèces endogènes trop souvent « oubliées » sont généralement mieux adaptées aux conditions climatiques actuelles. Elles nécessitent moins de ressources en eau dans un contexte de rareté et de dérèglement climatique. Nous pouvons citer en exemple le fonio, appelé aussi la « graine de l’univers ». Le fonio, céréale cultivée au Sahel, est particulièrement riche en magnésium et en fer, et sans gluten. De même que le mil et le sorgho, ainsi que de nombreux protéagineux, le fonio pourrait, s’il est valorisé, sortir des millions d’habitants de la dépendance du riz importé.
Pour renforcer la résilience des populations du Sahel, il nous faut accélérer l’accès à la sécurité et la souveraineté alimentaires. Il nous faut coopérer et agir en synergie pour obtenir un impact systémique. Aussi, nous avons lancé en 2024, l’Alliance des cultures africaines, une coalition dédiée à la promotion, à la valorisation et au développement des cultures marginalisées à fort potentiel sur le continent africain. L’un des porteurs du projet n’est autre que le chef sénégalais de renom Pierre Thiam, icône de la gastronomie africaine basée à New York. Il inclut dans sa cuisine depuis de nombreuses années ces plantes aux multiples bienfaits.
Notre volonté de mettre la lumière sur les plantes oubliées comme le fonio rejoint l’engagement des Etats à tout mettre en œuvre en vue de relever le défi de la sécurité et de la souveraineté alimentaires.
Dans notre engagement au quotidien, nous sommes conscients des limites en termes d’actions des Etats, car en Afrique tout est urgent. C’est pour cette raison que nous pensons que la solution pour la sécurité alimentaire sur le continent ne peut venir que des unités agricoles familiales dont la marge de progression est inestimable. Or, 80% des fermes en Afrique sont de petites exploitations. En Afrique de l’Ouest, l’agriculture familiale fournit entre 60 et 80% de la nourriture des ménages. Ces chiffres rendent plus que nécessaire l’accroissement des investissements vis-à-vis des exploitations familiales en vue de permettre de lutter efficacement contre la faim et la pauvreté. Nous pensons qu’il est nécessaire enfin de soutenir l’autonomisation économique et sociale des femmes car elles sont au cœur de la résilience des familles et des stratégies de développement endogène. Les chiffres officiels le confirment. Selon l’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages au Sénégal en 2021 réalisée par l’Agence nationale de la statistique et la démographie du Sénégal (ANSD), « la pauvreté est moins répandue dans les foyers dirigés par des femmes comparativement à ceux dirigés par des hommes ». Nous avons par exemple, à Dar Salam dans la région de Kédougou, lancé un projet dont 72% des producteurs formés sont des productrices qui se sont portées volontaires pour développer leurs compétences dans la filière du fonio.
Ce 16 octobre, en communion avec la Communauté internationale, nous lançons un appel solennel pour rejoindre ces efforts et ainsi préparer la sécurité et la souveraineté alimentaires des prochaines années au bénéfice des jeunes et des femmes d’Afrique. Nous invitons tous les acteurs à former des partenariats solides et innovants. Ensemble, nous pouvons relever le défi de l’autosuffisance dans le Sahel grâce aux plantes « oubliées », aux exploitations familiales et à toutes les énergies créatrices autour du consommer local.
Signataires
Jean LELONG, Président SOS SAHEL International France
Remi HEMERYCK, Délégué Général SOS SAHEL
Pedro DIOUF, Ambassadeur de SOS SAHEL
Pierre THIAM, Chef cuisinier, auteur, Vice-Président de SOS SAHEL