« Le pastoralisme est compatible avec l’environnement » en Tanzanie, assure un avocat massaï

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Alors que le peuple massaï est originaire du Ngorongoro, un formidable cratère d’un ancien volcan actif qui abrite plus de 25 000 animaux sauvages, ils sont de plus en plus à être expulsés par le gouvernement de Tanzanie ces deux dernières années. Devenus trop nombreux, les berges semi-nomades menaceraient le site naturel avec leurs cheptels, avancent les autorités. Dans interview accordée à nos confrères de Radio France internationale (RFI), Joseph Olesgangay, avocat du peuple massaï conteste cette vision des autorités Tanzaniennes.   

Depuis quelques jours, vous voyagez à travers l’Europe, d’Autriche à Bruxelles, de France en Allemagne. Quel est l’objectif de cette tournée ?

Ceci est déjà mon deuxième voyage, après celui de l’an dernier (Ndlr : 2023). Nous sommes ici, parce que nous pensons, en effet, que les problèmes qui nous opposent au gouvernement de la Tanzanie ne sont pas seulement des problèmes internes. L’idéologie derrière le déplacement forcé que nous subissons a été pensée à l’étranger. Donc si nous focalisons nos efforts uniquement sur la Tanzanie, nous n’allons probablement pas obtenir de résultats.

Quelle est l’idéologie que vous dénoncez ?

Je parle de cette façon de concevoir la conservation. Cela a commencé à l’époque coloniale et cela se poursuit maintenant. Pour protéger la nature, ce sont des étrangers qui imposent leur manière de faire, sans concertation. Ils la financent. Cette conservation ressemble à une forteresse. Elle est marquée par la violence, la militarisation, par l’expansion.

Les autorités tanzaniennes, seules, ne pourraient pas mettre en place ce modèle de conservation parce que ce modèle n’est pas fondé sur une approche morale mais sur l’entrée d’argent. L’argent arrive via les chasseurs de trophée et les touristes. Ngorongoro est l’endroit le plus visité en Tanzanie. Selon les chiffres du gouvernement, nous avons eu un million de visiteurs en dix mois.

Mais l’argent arrive aussi par le biais d’ONG de conservation. Ces organisations racontent à qui veut l’entendre qu’elles se soucient plus que tout de la nature. Mais au lieu de planter des arbres, elles plantent de la propagande. Elles stipulent que nous, les Massaï, représentons un risque pour la nature. Pourtant, nous, les Massaï, nous protégeons au contraire la nature parce que c’est notre devoir moral. La nature fait partie de notre culture, de notre vie spirituelle. Elle est notre maison et notre survie en dépend.

Mais nos terres sont maintenant occupées. Elles ont été décrétées zones protégées et ont été transformées en parcs nationaux. En théorie, des activités humaines sont interdites. Ce sont cependant uniquement des activités humaines de la population qui ne sont pas autorisées. Car si vous avez de l’argent, vous pouvez construire un hôtel. Si vous avez de l’argent, vous pouvez chasser. Les Hadza, une communauté de chasseurs originaire de Tanzanie, commettent un crime s’ils chassent. Parce qu’ils ne sont pas assez riches pour payer pour le droit de chasser. Les riches chassent donc pour les trophées alors que les pauvres ne peuvent plus chasser pour se nourrir. C’est profondément immoral. C’est du colonialisme vert.

Nous visitons donc certains pays européens et certaines ONG européennes qui financent des politiques de conservation au Ngorongoro qui mènent au déplacement du peuple Massaï. Nous espérons les convaincre de mettre un terme à leurs financements.

Le gouvernement tanzanien soutient que les Massaï seraient trop nombreux et leurs cheptels trop grands, ce qui mettrait en danger le site du Ngorongoro.

Ce sont des gens, y compris à l’étranger, qui font ce genre de réflexion, sans connaissance du terrain. Le pastoralisme semi-nomade permet au contraire à la nature de se régénérer. Face aux violations des droits humains dont nous sommes victimes, nous avons développé notre propre stratégie de conservation. Nous disons que le Ngorongoro ne nécessite pas une stratégie de conservation qui nous enlève nos terres ancestrales et affecte le pastoralisme. Nous avons besoin d’une stratégie basée sur nos connaissances en termes de prendre soin de la nature.

Je vous donne un exemple : depuis 1974, les Massaï sont interdits d’emmener leur bétail à l’intérieur du cratère du Ngorongoro, soi-disant parce que nous présentions une menace pour la vie sauvage sur place. Aujourd’hui, l’absence de notre bétail a créé un déséquilibre : tous les animaux de petites tailles, comme des antilopes ou des gazelles, ont presque entièrement disparu du fond du cratère. Le nombre de gnous est en baisse aussi. La seule espèce en progression, ce sont les hyènes. Elles peuvent facilement chasser des petits animaux parce que le cratère est maintenant couvert de buisson, de plantes invasives. En conséquence, les animaux de petite taille s’enfuient vers les hauteurs, là où sont les Massaï. Là-bas, ils se sentent plus en sécurité. Ils ne peuvent pas être chassés, car le paysage est resté ouvert, grâce au pâturage.

La politique de conservation du Ngorongoro ne fonctionne donc pas ?

Non. Au contraire. Elle draine un million de touristes en dix mois. Combien d’eau utilisent-ils ? Combien d’hôtel ont été construits pour les héberger ? Combien de voitures circulent pour les emmener ? Et les routes, sur lesquelles ces voitures roulent ? En 1976, il y avait une route à l’intérieur même du cratère. Aujourd’hui, il y en a 29 ! Les voitures y circulent toute la journée et ça stresse les animaux sauvages. Ils ne peuvent plus se déplacer librement. Nous, les Massaï, sommes déplacés de force. Alors que nous savons que le pastoralisme est compatible avec l’environnement. Et que notre bétail a de la valeur pour la nature. On devrait nous écouter.

Avec RFI

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