Traçabilité : Une échéance qui se rapproche pour l’Afrique

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Par Laurence Soustras

La législation européenne contre la déforestation vise sept matières premières et entrera en application à la fin de l’année 2024.               

Le compte à rebours a commencé : c’est au début de l’an prochain (en 2025) qu’entrera en application le règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts. Il vise à interdire la mise sur le marché européen ou l’exportation depuis un pays européen de produits ayant contribué à la déforestation après le 31 décembre 2020. Sept matières premières sont ciblées : café, caoutchouc, huile de palme, soja, bœuf et bois, ainsi que certains produits dérivés comme le cuir, le charbon de bois, le papier imprimé. Pour les producteurs locaux comme pour les importateurs, l’entrée en vigueur du règlement est avant tout le signal de nouvelles démarches qui peuvent devenir lourdes et nécessiter des audits coûteux sur place en cas de doute. Il s’agit de la « diligence raisonnée » qui doit faire l’objet, avant chaque mise sur le marché, d’une déclaration de l’importateur dans un système d’information européen dédié.

 Un état des lieux contrasté

Ces dernières semaines, à mesure que l’échéance se rapproche, la fébrilité monte, aussi bien en Europe qu’en Afrique. En mars, pas moins de 20 d’entre les 27 pays membres de l’Union européenne ont officiellement demandé à ce que l’entrée en application du règlement soit retardée et qu’une exemption soit même accordée aux nations à faibles risques de déforestation. L’administration Biden a aussi fait valoir un risque pour les producteurs américains. Mais tous se sont vu opposer jusqu’à présent une fin de non-recevoir. En référence aux deux ans de préparation dont ont disposé les principaux acteurs, Virginijus Sinkevičius, commissaire européen en charge de l’environnement, a indiqué le mois dernier lors de la visite d’une plantation ivoirienne : « Ce règlement ne vient pas de nulle part, et maintenant nous travaillons à l’application de cette législation à partir de 2025 ». Mais dans cette application, l’Afrique avance en ordre très dispersé. En effet, pour établir la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et pouvoir attester qu’elles ne contribuent pas à la déforestation, il faut effectuer des relevés par GPS des plantations et disposer de cartes précises d’occupation des zones agricoles et forestières. Il faut ensuite disposer de logiciels spécialisés pour relier ces données à la production par des numéros, de la ferme jusqu’au conteneur de départ, en passant par les usines. Un véritable défi dans certains secteurs et pays, où la couverture Internet et l’accès à la technologie sont aléatoires. C’est le cas, par exemple, pour les petits planteurs de café éthiopiens. La question du coût est aussi une inquiétude latente pour les plus petits producteurs, y compris dans l’un des pays les plus avancés, la Côte d’Ivoire. Isabelle Billon, responsable de projet au sein du groupe caoutchouc du transformateur ivoirien SIFCA, souligne depuis Abidjan qu’en apparence les petits producteurs ne seront pas impactés par les coûts de traçabilité, car « c’est au niveau des transformateurs que le coût est absorbé. Toutefois, le petit producteur va subir les conséquences de l’application des normes légales nationales. Il doit s’assurer que sa production est conforme aux normes légales dans son pays, cela lui demande une adaptation qui peut engendrer des coûts. Par exemple : déclarer éventuellement ses employés ».

Des chaînes d‘approvisionnement indirectes

La situation diffère selon les secteurs, mais une constante demeure : les chaînes d’approvisionnement indirectes, et notamment les intermédiaires, constituent un obstacle clé à la traçabilité. Cela dépend pour beaucoup de l’implication des États. Au Ghana, le nombre d’intermédiaires complique considérablement le processus de traçabilité entre les planteurs et les industriels pour plusieurs matières premières, dont l’hévéa. Le dernier rapport de Retailer Cocoa Collaboration, un effort conjoint d’ONG et de négociants, fait état d’une amélioration de la traçabilité dans la filière cacao (19 % en un an), mais souligne aussi que 52 % de la matière première provient d’une chaîne d’approvisionnement indirecte, difficilement contrôlable. C’est ainsi que l’ONG ivoirienne IDEF a fait état de planteurs ivoiriens illégalement installés au Liberia, un pays très peu impliqué dans les efforts de traçabilité, pour cultiver sur des terres nouvellement défrichées. Leurs productions de cacao se retrouvaient ensuite dans le circuit légal en Côte d’Ivoire. C’est la crainte de ces irrégularités qui a récemment amené les importateurs à multiplier les audits des usines de transformation en Afrique et à s’impliquer davantage dans des réseaux de coopératives locales dont les producteurs sont enregistrés et les sites de production identifiés par géolocalisation. « Si un scandale éclate, l’importateur peut écoper d’une amende équivalente à 4 % de son chiffre d’affaires. Le risque est important », souligne Isabelle Billon. La stratégie des industriels semble être pour le moment d’absorber les coûts de cette traçabilité en espérant un jour la répercuter sur des productions plus qualitatives. « C’est là que la création de valeur est importante », souligne Sylvestre Awono, Directeur cacao chez le groupe belge Puratos. Reste à savoir si les consommateurs européens suivront cette logique pour tous les produits concernés par cette quête de traçabilité.

Laurence Soustras, Journaliste (africa-on-air.com)

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