La FAO annonce qu’un nouveau record de production aquacole ouvre des perspectives en matière de lutte contre la faim sans nuire à l’environnement marin

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L’édition 2024 du rapport sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture – document d’analyse approfondie publié tous les deux ans – met en lumière un tournant majeur. Pour la toute première fois, la production aquacole a dépassé la pêche de capture en tant que source principale de produits animaux d’origine aquatique. Cette avancée ouvre une perspective prometteuse pour la lutte contre la faim dans le monde tout en préservant nos océans.

Dans un entretien du service presse de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) accordé à Manuel Barange, le chef de la Division des pêches et de l’aquaculture de la FAO, M. Barange a avoué que son institution intéresse aux dernières conclusions de ce rapport historique, apportant un éclairage sur les incidences de cette étape et explique comment elles s’inscrivent dans la vision de la transformation bleue de la FAO. Il passe en revue les stratégies qui visent à renforcer la durabilité des ressources et la production dans les régions en développement en abordant directement la question cruciale de la sécurité alimentaire. M. Barange s’est aussi penché sur l’évolution des habitudes de consommation, et souligne qu’il importe d’adopter des pratiques durables pour assurer un approvisionnement alimentaire sûr et à long terme.

L’expert a également souligné, lors de cet entretien, que La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture sert de catalyseur à l’action internationale, et renforce ainsi l’engagement de la FAO de conduire un changement porteur de transformations dans le secteur des produits alimentaires d’origine aquatique.

Quel est le principal enseignement de cette édition de La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture et pourquoi ce rapport est-il important ?

La principale conclusion du rapport est que la production de produits animaux d’origine aquatique a atteint un volume mondial record de 185 millions de tonnes en 2022. C’est plus de 4 pour cent de plus qu’en 2020, si on prend comme point de comparaison les chiffres du précédent rapport.

Le message le plus important, cependant, est que l’aquaculture représente aujourd’hui 51 pour cent de cette production. Pour la toute première fois, elle dépasse donc la pêche en tant que source principale de produits et d’aliments d’origine aquatique.

Ce résultat est excellent, car il signifie que nous pouvons continuer à augmenter la production d’aliments d’origine aquatique sans aggraver l’impact sur le milieu marin, puisque moins de 40 pour cent du volume aquacole est produit dans la mer.

Aujourd’hui, 735 millions de personnes souffrent de la faim ; il est primordial de réduire rapidement ce nombre. Nous devons produire plus de nourriture et améliorer l’accès aux aliments, or l’aquaculture est un moyen efficace d’y parvenir. Il importe de noter que la croissance de l’aquaculture n’est pas due à la diminution de la pêche de capture, laquelle est stable, à l’échelle mondiale, depuis 30 ans. L’aquaculture, elle, croît de 5 pour cent par an depuis le début du siècle. Elle constitue donc un formidable outil de lutte contre la faim et la pauvreté, qui en outre exploite les ressources naturelles de manière durable.

Quels sont les pays qui sont actuellement en tête de la production aquacole mondiale, et que peut-on faire pour améliorer l’aquaculture durable dans les pays ou les régions à faible revenu ?

L’aquaculture connaît une croissance mondiale rapide, mais le déséquilibre géographique est important. Environ 90 pour cent de la production animale est concentrée en Asie. D’ailleurs, six pays, parmi les dix principaux producteurs, à savoir le Bangladesh, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, les Philippines et le Viet Nam, sont des pays asiatiques.

L’Afrique ne représente en revanche que 1,9 pour cent de la production animale aquacole mondiale. C’est une question à suivre de manière prioritaire à l’avenir, car l’augmentation de la production est essentielle au maintien des taux de consommation d’aliments d’origine aquatique dans les régions où la population augmente.

Comment y parvenir ? Notre stratégie est claire. Lorsque nous dialoguons avec les pays, nous évaluons le cadre juridique et l’environnement politique à l’appui du développement de l’industrie. Nous cherchons à attirer les investissements en collaborant avec le secteur privé. Les initiatives de renforcement des capacités assurent le transfert des connaissances techniques vers les pays, tandis que le développement des infrastructures est coordonné avec les pays et les organismes de financement, notamment pour ce qui est des filets de sécurité liés à la lutte contre les maladies et des enjeux environnementaux.

Cette approche globale est un processus qui s’inscrit dans le temps plutôt qu’une solution immédiate, mais elle permet, à terme, d’obtenir des résultats remarquables. Ainsi, la Zambie a augmenté sa production de poisson pour atteindre 80 000 tonnes, contre environ 12 000 tonnes il y a seulement dix ans, ce qui témoigne de l’efficacité de cette approche.

Comment la consommation mondiale d’aliments issus d’animaux aquatiques a-t-elle évolué au cours des dernières décennies et quelles en sont les conséquences au regard de la lutte contre la faim ?

Cette question est cruciale car nous savons que les produits alimentaires d’origine aquatique sont très importants pour la nutrition en raison de leur apport, non seulement en protéines, mais aussi et surtout en micronutriments biodisponibles. Cet aspect est de mieux en mieux compris au fil du temps. Il faut savoir que, dans les années 1960, la consommation moyenne d’aliments issus d’animaux aquatiques était de 9 kg par personne et par an. En 2022, ce chiffre était de 20,7 kg. La consommation a donc plus que doublé en quelques décennies alors que la population mondiale est passée, dans le même temps, de 3 à près de 8 milliards d’habitants.

Ce point est très important car, sans ces produits alimentaires aquatique, nous n’atteindrons pas le niveau de nutrition dont nous avons besoin. Les produits alimentaires d’origine aquatique sont la meilleure solution fondée sur la nature. Dans la plupart des cas, nous n’avons même pas besoin de leur fournir d’eau ni de les nourrir. Et, sans ces aliments issus d’animaux aquatiques, nous serions contraints d’accentuer la pression exercée sur des systèmes alimentaires terrestres, qui subissent déjà une forte tension. Nous envisageons la question sous un angle systémique. Il ne s’agit pas simplement de disserter sur les produits alimentaires aquatiques ou terrestres. Nous devons exploiter nos ressources de telle sorte que, en les consommant ou en les produisant de manière adéquate, nous parvenions à terme à éliminer la faim et la malnutrition.

La durabilité des stocks marins est un autre sujet important qui est abordé dans La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture. Quel éclairage les auteurs du rapport apportent-ils sur cette question ?

C’est l’un des domaines de travail les plus ambitieux. Il est indiqué dans le rapport que 62,3 pour cent des stocks que nous exploitons sont exploités de manière durable, ce qui veut dire que près de 40 pour cent ne le sont pas. L’exploitation non durable signifie que nous prélevons davantage que ce que la population peut reconstituer, ce qui épuise petit à petit la ressource.

Nous nous heurtons à un problème de taille : non seulement de nombreux stocks ne sont pas exploités de manière durable, mais la situation tend à s’aggraver au fil du temps. Cependant, nous savons que les stocks les plus importants et les plus abondants, qui atteignent les marchés dans les volumes plus élevés, proviennent de plus en plus de sources plus durables. Ainsi, 75 pour cent des principales espèces de thon sont aujourd’hui exploitées de manière durable, contre à peine 40 pour cent il y a dix ans. Nous enregistrons également des succès dans plusieurs régions. Dans l’Atlantique Nord-Est, seuls 25 pour cent des stocks étaient exploités de manière durable en 2000 ; ils le sont aujourd’hui à 74 pour cent. En outre, 93 pour cent des stocks recensés par les États-Unis d’Amérique au niveau fédéral sont exploités de manière durable. Ces exemples sont la preuve que la gestion efficace fonctionne et qu’elle porte ses fruits. Nous devons nous employer à multiplier ces résultats positifs et à faire adopter ces pratiques à l’échelle mondiale, de sorte que les stocks actuellement non durables deviennent, au bout du compte, durables.

Les échecs en matière de durabilité découlent généralement de défaillances dans la gouvernance, dont les causes sont complexes et multiformes. Dans certains cas, c’est la volonté politique qui fait défaut. Dans d’autres, nombreux, les infrastructures ne sont pas adaptées. La gestion des stocks est coûteuse ; elle nécessite des navires, des institutions et des moyens scientifiques dont certains pays sont dépourvus.

L’action de la FAO consiste à aider les pays à mettre en place de bons systèmes de gestion et de collecte de données. Il s’agit notamment de mettre en commun les logiciels permettant de collecter les données utiles, d’exploiter ces données pour l’analyse et l’évaluation des stocks, puis de mettre en œuvre des mesures permettant d’en assurer une gestion efficace.

Quelles sont les projections en matière de production et de consommation d’animaux aquatiques ?

Les auteurs du rapport ébauchent divers scénarios à l’horizon 2032. D’ici là, la production du secteur devrait augmenter d’environ 10 pour cent. Sous l’effet de cette croissance, le taux de consommation devrait passer à 21,3 kg par personne et par an, contre 20,7 kg en 2022. Ce serait une grande victoire, la population mondiale étant amenée à continuer à croître.

Nous ne disposons pas de projections jusqu’en 2050, mais le rapport comporte une analyse dont on peut déduire que, même si l’on souhaitait maintenir les taux de consommation par habitant à leurs niveaux actuels, le secteur devrait croître de 25 pour cent au niveau mondial d’ici à 2050 pour suivre la croissance démographique. Ce chiffre est mondial, mais, rien qu’en Afrique, la production devrait augmenter de 75 pour cent, car c’est la région où la croissance démographique devrait être la plus importante.

Il est donc nécessaire de cibler l’action et de mobiliser l’attention. Les bons résultats, prometteurs, doivent être amplifiés, mais sans reléguer les défis considérables qu’il conviendra de relever pour nourrir une population estimée à 9,7 milliards de personnes à l’horizon 2050. Nous devons collaborer et, pour ce faire, nous appuyer sur des compétences techniques et une volonté politique sans lesquelles nous n’irions pas loin. Les besoins sont connus, et nous sommes convaincus de disposer des connaissances techniques pour les satisfaire, à condition toutefois d’être soutenus par les pouvoirs publics et de prendre des mesures concertées.

Que nous apprend le rapport sur les moyens de subsistance des personnes qui vivent du secteur ?

Il est indiqué dans le rapport qu’environ 62 millions de personnes sont directement liées au secteur de la pêche et de l’aquaculture. Ces personnes sont celles qui vont pêcher, mais en incluant le sous-secteur de la transformation, celui de la subsistance et l’ensemble des personnes qui sont à la charge des travailleurs de ces secteurs, on estime aujourd’hui à environ 600 millions le nombre de personnes qui comptent sur les pêches et l’aquaculture pour leurs moyens de subsistance.

La dynamique des sexes dans le secteur de la pêche mérite elle aussi un coup de projecteur. Tandis qu’un quart seulement des personnes directement concernées par la pêche sont des femmes, plus de 60 pour cent des personnes engagées dans les activités d’après-capture au sein de la chaîne de valeur sont des femmes. Il est essentiel de prendre la mesure de ces disparités entre les femmes et les hommes pour saisir la dynamique du secteur et réfléchir à des solutions ciblées.

Sur le plan économique, il est souligné dans le rapport que le commerce des produits alimentaires aquatiques a atteint un niveau record de 195 milliards de dollars, soit une augmentation de 19 pour cent par rapport aux niveaux antérieurs à la pandémie de covid‑19. Cette tendance est révélatrice non seulement de la reprise qui a suivi la pandémie, mais aussi d’une forte croissance qui bénéficie en particulier aux pays à revenu faible et intermédiaire. De fait, les bénéfices économiques nets tirés des produits alimentaires d’origine aquatique dans les pays à revenu faible et intermédiaire dépassent ceux de tous les autres produits agricoles combinés. Le poids économique des aliments aquatiques est donc considérable, et la nécessité d’assurer leur durabilité aujourd’hui comme demain, impérieuse.

L’édition de ce rapport est sous-titrée « La transformation bleue en action ». Qu’est-ce que la transformation bleue de la FAO et quels sont les résultats obtenus jusqu’à présent ?

La transformation bleue de la FAO est une vision née des transformations en cours dans le secteur des produits alimentaires d’origine aquatique, illustrées par le développement rapide de l’aquaculture. Elle vise à rendre ces transformations plus efficaces et percutantes dans la lutte contre la faim et la pauvreté.

La transformation bleue de la FAO est articulée autour de trois grands objectifs. Le premier consiste à continuer à soutenir la croissance de l’aquaculture de manière durable, en se fixant comme cible une hausse de 35 pour cent d’ici à la fin de la décennie. Le deuxième vise à améliorer la gestion des pêches car, bien que la pêche capture continue à produire de bons résultats, des problèmes de durabilité subsistent. Notre ambition est de faire en sorte que 100 pour cent des pêches dans le milieu marin et dans les eaux intérieures fassent l’objet de mesures de gestion adéquates. Le troisième objectif consiste à développer les chaînes de valeur des produits alimentaires d’origine aquatique. Ce que l’on capture ou ce que l’on cultive ne fait pas tout ; encore faut-il savoir ce que l’on en fait, par exemple réduire les pertes, ajouter de la valeur au produit et faciliter l’accès aux marchés et aux consommateurs. Tout cela forme un tout de ce que nous estimons nécessaire de mettre en place pour que le secteur contribue davantage à l’élimination de la faim et de la pauvreté.

En ce qui concerne les réussites de la transformation bleue, dans le domaine de l’aquaculture par exemple, nous aidons actuellement plus de 40 pays à la développer comme il convient, en soutenant l’élaboration de leur stratégie en la matière, en transférant l’intelligence et l’innovation, en renforçant les capacités et en les aidant à attirer des investissements dans le secteur.

L’une de nos réalisations récentes a consisté à établir avec l’ensemble des membres de la FAO de nouvelles Directives pour une aquaculture durable. Ces directives définissent les pratiques à adopter pour assurer la viabilité à long terme du secteur et constituent le fondement du soutien que nous apporterons aux pays.

Le Programme Nansen est l’une des pierres angulaires de l’action de la FAO dans le domaine des pêches durables. Cette initiative, l’une des plus anciennes dans ce domaine, est actuellement mise en œuvre dans 32 pays d’Afrique et du golfe du Bengale. Dans le cadre de ce programme, un navire de recherche spécialisé analyse les eaux de ces pays et fournit à ceux-ci des données scientifiques cruciales qui les aident à prendre des décisions en matière de gestion des ressources. Ce programme de la FAO existe depuis près de 50 ans grâce au financement généreux de la Norvège.

Nous collaborons également avec d’autres organisations internationales, en particulier avec d’autres organisations du système des Nations Unies et avec l’Organisation mondiale du commerce, pour la mise en œuvre des accords relatifs aux subventions à la pêche. L’idée est de veiller à ce que les poissons qui arrivent sur les marchés n’aient pas été pêchés de manière illégale et à ce que leurs prix soient équitables, en conformité avec les règles universellement admises. De même, nous collaborons avec l’Organisation mondiale de la Santé afin de sensibiliser les consommateurs à l’intérêt que revêtent les produits alimentaires d’origine aquatique, qui ne réside pas uniquement dans la sécurité alimentaire en tant que telle. Nous soulignons le rôle que jouent ces produits pour la sécurité nutritionnelle, puisqu’ils sont une source cruciale de micronutriments.

À la lumière des conclusions du rapport, quelles sont les prochaines étapes ?

Tous les deux ans, le rapport sur La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture nous donne l’occasion de mesurer les progrès accomplis. Le rapport étant publié depuis longtemps, il est possible d’observer les effets de diverses interventions sur ces tendances.

Le rapport est sous-titré « La transformation bleue en action ». Au fil du temps, notre analyse des données, soutenue par un consensus avec les membres de la FAO, les conférences régionales et les partenaires, met en lumière un besoin urgent et essentiel de transformation bleue. En outre, les principes techniques qui sous-tendent cette transformation sont globalement bien compris.

L’objectif du rapport est d’apporter un éclairage sur ces principes et de suivre les progrès accomplis dans leur application. Ces prochaines années, nous nous en servirons comme socle pour l’élaboration de nos programmes de travail mondiaux, régionaux et nationaux. En tant que principale institution spécialisée des Nations Unies dans ce domaine, nous sommes la principale source d’information sur la situation, la dynamique et les tendances du secteur, sur laquelle s’appuient les pays et les partenaires.

Nous facilitons également les négociations entre les pays et les régions sur les questions relatives aux pêches et à l’aquaculture. Notre vaste programme de renforcement des capacités aide les pays à traduire les interventions en mesures stratégiques, en interventions sur le terrain, en mobilisation du secteur privé et en retombées pour les consommateurs.

Cette approche globale est désormais largement acceptée et comprise, et La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture nous permet de faire progresser ces interventions dans de bonnes conditions.

Cet entretien a été adapté dans un souci de concision et de clarté, a précisé la FAO au terme de l’entretien.

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