La plupart des besoins alimentaires sont satisfaits sur le marché ouest-africain en moyenne 90 % en milieu urbain, et tout de même 50 % dans les zones rurales où l’autoconsommation des producteurs recule, a souligné Philipp Heinrigs, économiste au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) lors de la table ronde organisée par WATHI en partenariat avec le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’OCDE. A l’en croire, quand on parle de marché, on parle de prix, facteur qui va déterminer la possibilité pour l’individu ou le ménage d’accéder à la nourriture ou non.
Pour M. Heinrigs, il est donc important de comprendre la formation des prix, qui ne reflètent pas seulement les coûts, le niveau de la production et les marges des commerçants. Le prix des produits alimentaires intègre tous les coûts des différentes étapes entre la production et la mise à disposition du produit sur le marché. Cela inclut le coût de transport, le coût de stockage, le coût des pertes de produits périssables, par exemple. Tous ces facteurs expliquent le niveau des prix à un certain moment, à un certain endroit.
L’économiste de l’OCDE constate que les biens alimentaires sont particulièrement chers en Afrique de l’Ouest, par rapport à d’autres pays qui ont des niveaux de développement comparables.
« Lorsqu’on constitue le panier alimentaire d’un habitant moyen de l’Afrique de l’Ouest et qu’on le valorise aux prix indiens, on a une baisse de la dépense de l’ordre de 30 %. C’est-à-dire que l’alimentation coûte 30 % moins cher en Inde qu’en Afrique de l’Ouest. Il s’agit évidemment d’une moyenne sachant qu’il y a des différences qui peuvent être importantes d’un pays à l’autre. Le constat est cependant significatif quand on sait qu’en Afrique de l’Ouest, les ménages dépensent environ 50 % de leurs revenus pour l’alimentation. Si les prix étaient 30 % ou même 20 % moins élevés, la réalité quotidienne et le niveau de stress des familles seraient bien différents », a détaillé Philipp Heinrigs.
Qui a renchéri que « lorsqu’on ne s’intéresse pas seulement à l’accès à une alimentation suffisante en termes de calories, mais aussi à une alimentation saine, donc diversifiée, qui permet de satisfaire les besoins en nutriments, les prix en Afrique de l’Ouest sont encore plus élevés. Une étude du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest montre qu’une alimentation saine coûte 3,6 fois plus cher qu’une alimentation qui est juste suffisamment énergétique ».
« Les légumes et les aliments d’origine animale (viande, poisson, produits laitiers) comptent pour plus de la moitié du coût total d’une alimentation saine, tandis que les fruits y contribuent à hauteur de 17 %. Le coût minimum d’une alimentation saine est compris entre 2,19 USD par jour au Sénégal et 4,02 USD par jour au Libéria. Dans les pays de la région, à l’exception du Cap-Vert et du Sénégal, c’est plus de 60 % de la population qui n’a pas les moyens d’accéder à une alimentation saine ».
Se prononçant sur les implications en termes de politiques publiques des États de la région, l’économiste de l’Organisation de coopération et de développement économiques a relevé qu’« elles sont nombreuses, et je renvoie à cette étude très intéressante sur le coût d’une alimentation saine. Je peux tout de même partager quelques messages. D’abord la nécessité de mieux suivre les prix d’une large palette de produits alimentaires, bien au-delà des céréales qui reçoivent souvent le plus d’attention.
Ensuite, la nécessité pour les États d’utiliser les informations sur la contribution de chaque groupe d’aliments au coût d’une alimentation saine pour identifier les aliments prioritaires indispensables à une bonne alimentation mais qui restent hors de portée d’une grande partie de la population, et pour encourager la consommation des aliments riches en nutriments qui sont relativement abordables. On peut citer les légumineuses, avec toute la diversité de haricots, de lentilles, de pois que nous avons dans la région, mais aussi les fruits à coque et les graines ».
Concluant son speech, il a laissé entendre que l’alimentation saine est un enjeu de santé publique. Près d’un enfant sur trois en Afrique de l’Ouest présente un retard de croissance sévère ou modéré. Des millions de personnes souffrent de carences généralisées en micronutriments. L’anémie, due à des carences en fer, est très répandue chez les jeunes enfants et les femmes. Près de la moitié des femmes en âge de procréer sont anémiées. Les solutions se trouvent d’abord dans l’alimentation et on peut faire beaucoup plus pour encourager des choix alimentaires éclairés dans la région.
Moctar FICOU / VivAfrik