Le président du Groupe de la Banque africaine de développement a réitéré, dimanche 10 décembre 2023 à Doha au Qatar, son avertissement selon lequel l’introduction d’une taxe carbone aux frontières par l’Union européenne pourrait replonger l’Afrique dans l’exportation de matières premières et saper ses acquis en matière d’industrialisation.
L’Union européenne a récemment lancé la phase initiale d’une taxe carbone sur les produits importés dans le cadre de ses mesures de réduction des émissions pour lutter contre les changements climatiques. Akinwumi Adesina a déclaré que cela pourrait pénaliser les pays africains.
M. Adesina a ajouté que « les entreprises africaines qui produisent du ciment, de l’acier, de l’aluminium, des engrais et qui tentent d’exporter vers l’Europe vont se voir imposer une taxe aux frontières de 80 euros par tonne. Cela coûte très cher, et la conséquence sera que les pays d’Afrique qui souffrent déjà de la hausse des droits de douane lorsqu’ils ajoutent de la valeur à ce qu’ils produisent seront désormais contraints de descendre dans la chaîne de valeur ».
Selon un communiqué de presse, il s’exprimait lors d’une table ronde de haut niveau organisée dans le cadre du Forum de Doha sur le thème « Décrypter le dilemme de la dette — dévoiler les solutions multilatérales ». Parmi les autres intervenants figuraient le ministre des Finances du Qatar, Ali bin Ahmed Al Kuwari et Børge Brende, président du Forum économique mondial. Dan Murphy, présentateur et correspondant de CNBC, a animé la session.
M. Adesina a averti « l’Afrique va perdre 25 milliards de dollars par an ». « L’Afrique mérite d’être exemptée de cette taxation, car nous finançons la transition de l’Afrique. Vous ne pouvez pas vous industrialiser uniquement grâce aux énergies renouvelables ; vous avez besoin d’un bouquet énergétique équilibré qui vous permette d’utiliser votre gaz naturel pour pouvoir vous industrialiser », a-t-il souligné, décrivant le gaz naturel comme une ressource essentielle pour l’Afrique, qui ne devrait pas faire l’objet de restrictions dans le cadre du commerce extérieur.
« Le commerce juste est ce dont nous avons besoin, mais accordez-nous un commerce juste pour une transition énergétique juste », a ajouté M. Adesina avant de souligner : « L’Afrique ne devrait pas être pénalisée ».
A l’en croire, en introduisant des mesures punitives générales qui affectent également les pays en développement, les pays développés « déplacent la barre » de la responsabilité différenciée dans le cadre de l’Accord de Paris en forçant les pays en développement à atteindre le zéro émission nette de carbone beaucoup plus tôt que prévu.
Le Forum de Doha est une plateforme mondiale de dialogue des responsables politiques sur les défis critiques du monde afin de construire des réseaux innovants et orientés vers l’action.
Commentant la difficulté de parvenir à un consensus sur les restrictions liées au climat, notamment sur la fiscalité, M. Brende a déclaré dans le communiqué que le chemin vers un accord politique sur un prix mondial du carbone serait long. Mais dans le même temps, l’accès à l’énergie et la sécurité énergétique sont essentiels.
« Le passage à une société décarbonée prend du temps », a noté M. Brende. « Nous devons trouver des passerelles entre le charbon, la forme la plus extrême de combustible fossile, et le gaz naturel. Nous devons avancer à un rythme qui a du sens, qui est rentable, et il y a un prix à payer », a déclaré M. Brende.
Pour sa part, le ministre Al Kuwari a déclaré que les objectifs fixés par les experts du changement climatique avaient parfois été « trop ambitieux, trop agressifs, et n’avaient pas correctement pris en compte les périodes de transition ». Le Qatar, pour sa part, s’est forgé une réputation de fournisseur d’énergie responsable dans le monde entier, a déclaré le ministre.
« Le Qatar a la conviction que le gaz naturel sera le carburant de transition et qu’il devrait être adopté. Nous avons investi pour augmenter notre capacité de production de 65 % et atteindre le maximum de cette production d’ici à 2027. Il est très important que les objectifs en matière de changements climatiques soient réalistes », a déclaré M. Al Kuwari.
Tirer parti de la puissance des banques multilatérales de développement permettra d’accroître le financement de la lutte contre les changements climatiques et de l’adaptation.
Les banques multilatérales de développement telles que la Banque africaine de développement sont essentielles pour apporter des solutions au fardeau ahurissant de la dette de l’Afrique et à d’autres défis de développement, a indiqué M. Adesina. Il a souligné le rôle des banques multilatérales de développement dans la mobilisation de financements pour les pays en développement.
« Nous devons utiliser les outils dont nous disposons pour appeler à la réforme de l’architecture financière mondiale. Les institutions financières multilatérales vont jouer un rôle crucial. Les outils dont nous disposons — les droits de tirage spéciaux — doivent être optimisés », a déclaré M. Adesina, notant que l’Afrique n’a reçu que 33 milliards de dollars sur les 650 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international.
Il a souligné que la dette extérieure totale de l’Afrique en 2022, estimée à 1 100 milliards de dollars et qui devrait atteindre 1 300 milliards de dollars d’ici fin 2023 était préoccupante. « Vingt-cinq pays d’Afrique sont en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement… Une approche multilatérale exige que nous comprenions la structure de la dette elle-même, ce qui change et comment nous pouvons y répondre », a ajouté M. Adesina.
Une proposition développée par la Banque africaine de développement et la Banque interaméricaine de développement visant à canaliser les DTS vers les institutions multilatérales permettrait aux banques de multiplier par quatre la valeur des fonds grâce à un effet de levier. « Si la Banque africaine de développement recevait 20 milliards de dollars, cette somme se transformerait automatiquement en 80 milliards de dollars. Les banques multilatérales de développement sont des machines à effet de levier », a expliqué M. Adesina dans le communiqué.
Le ministre Al Kuwari a déclaré que le Qatar avait réussi à ramener sa dette de 72 % du PIB en 2020 à moins de 40 % en 2022 grâce à sa politique budgétaire.
M. Brende a déclaré que la dette mondiale était énorme. « Nous n’avons pas vu un tel niveau d’endettement depuis les guerres napoléoniennes… même la plus grande économie du monde, les États-Unis, paie 1 000 milliards de dollars pour le service de sa dette ». « Les États-Unis pourront s’en sortir, mais de nombreux pays sont en grande difficulté », a indiqué M. Brende.
Moctar FICOU / VivAfrik