(Facilité africaine de l’eau) – « Un Africain sur trois est touché par la pénurie d’eau ». Dans un entretien accordé à nos confrères de l’Agence Ecofin, Fredrick Tumusiime explique le rôle vital de la Facilité africaine de l’eau (FAE) dans la résolution de la crise de l’eau et de l’assainissement en Afrique. L’entretien explore les défis, les opportunités et les impacts du travail de cet organisme clé, ainsi que dans l’urgence de l’amélioration des infrastructures d’eau et d’assainissement sur le continent. Enfin, Fredrick Tumusiime rappelle comment la FAE mobilise des financements et contribue au développement durable de l’Afrique.

Fredrick Tumusiime : « Pour chaque euro engagé, la Facilité a mobilisé 29 euros pour les investissements en eau et assainissement.»
Pouvez-vous nous parler du rôle de la Facilité Africaine de l’Eau dans la résolution de la crise de l’eau et de l’assainissement en Afrique ? Quels sont les stratégies et les mécanismes utilisés par la Facilité Africaine de l’Eau pour avoir un impact positif ?
La Facilité Africaine de l’Eau est un mécanisme de préparation de projets axé sur la demande et piloté par l’Afrique, qui contribue à la réalisation de la Vision africaine de l’eau 2025 et des Objectifs de développement durable (ODD) liés à l’eau. Étant un fonds spécial sous l’égide et la gestion de la Banque Africaine de Développement, la FAE déploie plusieurs outils pour réaliser ses ambitions. Ils englobent l’octroi de subventions répondant à des demandes spécifiques, la mobilisation de financements pour investissements, et la mise à disposition d’une assistance technique spécialisée pour accompagner la conception et la mise en œuvre de projets innovants dans le domaine de l’eau et de l’assainissement en Afrique.
La vision de la Facilité africaine de l’eau s’inscrit en parfaite adéquation avec la Vision Africaine de l’Eau 2025, qui consiste à soutenir « l’amélioration du développement, la gestion équitable et durable des ressources en eau en Afrique pour la réduction de la pauvreté, le développement socio-économique et la coopération régionale ».
Quel est l’état actuel des infrastructures d’eau et d’assainissement en Afrique ? Pourriez-vous nous donner un aperçu des principaux défis, disparités et opportunités à travers le continent ?
Un Africain sur trois est touché par la pénurie d’eau. Selon le rapport JMP OMS/UNICEF de 2022, 411 millions de personnes en Afrique n’ont toujours pas accès à un service élémentaire d’eau potable, 779 millions n’ont pas accès à des services d’assainissement de base, et 839 millions n’ont pas accès à des services d’hygiène de base. Le rapport indique que pour atteindre les objectifs des ODD en Afrique, il faudrait multiplier par 12 le rythme actuel de progrès pour l’eau potable gérée en toute sécurité, par 20 pour l’assainissement géré en toute sécurité et par 42 pour les services d’hygiène de base.
D’importantes inégalités persistent au sein des pays, y compris entre les zones urbaines et rurales, entre les différentes régions nationales et entre les plus riches et les plus pauvres. Pourtant, pour atteindre les infrastructures d’eau et d’assainissement nécessaires, des investissements considérables sont indispensables, bien supérieurs aux niveaux de financement actuels. Le secteur privé est reconnu par les gouvernements africains comme un moteur de croissance économique et de réduction de la pauvreté. La Banque Africaine de Développement, à travers son Département Eau & Assainissement – où le Fonds Africain de l’Eau est hébergé – travaille à identifier ou à générer des opérations non souveraines et des partenariats public-privé à travers le continent.
Comment l’insuffisance de l’eau et de l’assainissement affecte-t-elle le développement de l’Afrique, en particulier en termes de croissance économique, de santé publique et de bien-être général ?
La sécurité de l’eau et l’assainissement sont fondamentaux pour les trois dimensions du développement durable : société, économie et environnement. L’absence d’infrastructures adéquates d’eau et d’assainissement en Afrique limite les opportunités économiques, restreint les moyens de subsistance et compromet le développement socio-économique global. L’accès équitable à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène dépasse la simple base de la santé et du développement socio-économique. Comme le dit le proverbe : l’eau c’est la vie, l’eau c’est le développement, l’eau c’est la paix.
Les coûts associés à ces lacunes en termes de développement économique et humain sont élevés. Les derniers diagnostics de sécurité de l’eau de la Banque Mondiale montrent qu’en 2050, la pénurie d’eau pourrait réduire le PIB de 6%. La moitié des décès maternels mondiaux ont lieu en Afrique subsaharienne. Une mauvaise gestion de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène (WASH) entraîne également une augmentation des maladies diarrhéiques, qui restent la principale cause de décès dans la région, provoquant plus de 8% des décès d’enfants. Près de 35% de tous les enfants souffrent de retards de croissance, ce qui est en partie attribuable à l’eau insalubre, à un assainissement inadéquat et à une hygiène insuffisante.
Pourriez-vous approfondir les opportunités qui découlent de l’amélioration de l’eau et de l’assainissement en Afrique, et comment peuvent-elles contribuer au développement durable ?
Il est nécessaire de comprendre les interactions complexes entre l’approvisionnement et la demande en eau et en énergie, les écosystèmes alimentaires et les impacts du changement climatique. La crise du changement climatique provoque des pénuries d’eau et des sécheresses, entraînant une prévision de pénurie d’eau pour près de 230 millions d’Africains. Cela a également un impact sur la sécurité alimentaire et énergétique à mesure que la population du continent continue de croître.
La sécurité de l’eau soutient la sécurité alimentaire de l’Afrique (l’agriculture représente 70% de la consommation totale d’eau), la sécurité énergétique (forte dépendance à l’hydroélectricité, et l’eau est une ressource pour d’autres sources d’énergie), l’industrialisation (l’eau comme input clé et catalyseur), l’intégration régionale (par le biais de la coopération en matière de gestion de l’eau transfrontalière), et améliore avant tout la qualité de vie des Africains (impact sur la santé, la nutrition, l’éducation, l’égalité entre les sexes et les moyens de subsistance).
Il existe diverses initiatives pour faire face à la crise de l’eau qui ont été mises en place dans les pays africains, telles que le projet d’approvisionnement en eau des communautés rurales et des petites villes (RCSTWSP) au Ghana. Pourriez-vous nous en dire plus sur la manière dont la Facilité Africaine de l’Eau comble le déficit financier et rend ces types de projets possibles ?
La mission principale de Facilité Africaine de l’Eau est de fournir des subventions et une assistance technique axées sur la demande, permettant ainsi aux pays africains de sécuriser les investissements et de mettre en œuvre des projets durables d’eau et d’assainissement, améliorant ainsi la qualité de vie à travers le continent. Depuis le début officiel de ses opérations en 2006, la Facilité a participé à 135 projets dans 52 des 54 pays d’Afrique. Seuls la Libye et Maurice n’ont pas encore bénéficié des opérations de la Facilité.
La Facilité Africaine de l’Eau mobilise et déploie des ressources financières et humaines et a, à ce jour, obtenu un financement de 205 millions d’euros pour soutenir des projets innovants dans le domaine de l’eau. Notre travail a permis la mobilisation de 1,66 milliard d’euros de financements en aval et nos projets ont permis l’accès à l’eau potable pour 14,1 millions de personnes (dont 52% sont des femmes) et la fourniture de services d’assainissement à 9,2 millions de personnes.
Pourriez-vous nous donner un aperçu de certains des projets en cours soutenus par le Fonds Africain de l’Eau et souligner quels pays africains ont actuellement un besoin urgent d’amélioration de leurs infrastructures d’eau et d’assainissement ?
La Facilité Africaine de l’Eau se concentre sur quatre domaines principaux qui sont complémentaires et synergiques : i) Préparation et promotion de projets, ii) Investissements catalytiques, iii) Promotion des investissements et iv) Gouvernance de l’eau. L’objectif global est de tirer parti de ces quatre domaines pour fournir le cadre et les conditions nécessaires à la réussite des projets durables et au développement du secteur de l’eau en Afrique. La préparation de projets, qui est la caractéristique cruciale de la Facilité, soutient l’élaboration de projets prêts pour l’investissement afin de mobiliser et de sécuriser les investissements pour la mise en œuvre des infrastructures et services d’eau et d’assainissement.
La Facilité Africaine de l’Eau est le principal instrument du continent visant à mobiliser des ressources pour combler l’énorme déficit d’investissement en eau et assainissement. La Facilité a démontré sa capacité à lever des financements pour les infrastructures d’eau et d’assainissement. En termes d’effet de levier, pour chaque euro engagé, la Facilité a mobilisé 29 euros pour les investissements en eau et assainissement. Les sous-régions les moins sécurisées en matière d’eau sont le Sahel, la Corne de l’Afrique, et certaines parties de l’Afrique de l’Ouest.
Compte tenu de la diversité de l’accès à l’eau dans les nations africaines, pourriez-vous identifier certains pays ayant réalisé des progrès significatifs dans l’atteinte d’objectifs avancés d’accès à l’eau et d’assainissement et qui, par conséquent, pourraient ne pas nécessiter le même niveau d’attention et d’aide de La Facilité Africaine de l’Eau ?
L’évaluation de la Sécurité de l’Eau Mondiale 2023 (UN-IWEH) confirme une disparité marquée en matière de sécurité de l’eau à travers les sous-régions africaines. Les auteurs du rapport soulignent le paradoxe d’une Afrique disposant d’une abondance en ressources en eau tout en étant le continent le plus en insécurité hydrique. Lorsque la disponibilité de l’eau est évaluée à l’aide de l’indicateur SDG 6.4.2 (niveau de stress lié à l’eau douce), 45 des 54 pays africains obtiennent un score très élevé, indiquant qu’il y a plus d’eau disponible que consommée.
C’est au niveau de l’accès à une gestion sûre de l’eau et de l’assainissement (services WASH) que presque tous les pays obtiennent des scores très bas. Les exceptions notables sont l’Algérie, l’Égypte, la Gambie, le Ghana, le Maroc et la Tunisie.
(Agence Ecofin)