La malédiction du pétrole est-il en train de diviser le Tchad et le Cameroun ? Tout porte à le croire. En effet, la présidence tchadienne a annoncé, le 20 avril 2023, avoir rappelé pour consultations son ambassadeur à Yaoundé. Au cœur de ces tensions entre ces deux pays, il y a le secteur pétrolier. Ndjamena s’insurge suite à la cession de 10% des parts de la compagnie qui gère un oléoduc entre les deux pays à la Société nationale des hydrocarbures camerounaise. Le tout sur fond de nationalisation d’Esso Tchad.
Dans leur tentative d’explication de la source de ce différend, nos confrères de Radios France internationale (RFI) ont souligné que l’avenir d’Esso Tchad fait l’objet, depuis plusieurs mois, d’un bras de fer entre le gouvernement tchadien et une compagnie britannique, Savannah Energy.
Cette dernière a annoncé en décembre 2022 avoir racheté contre 250 milliards de francs CFA (381 millions d’euros) Esso Tchad, une filiale d’Exxon mobil. Une opération contestée dans la foulée par le gouvernement tchadien, qui a comparé cette transaction à un « mariage forcé », a rappelé RFI.
En réaction, les autorités ont nationalisé Esso Tchad le mois dernier. De son côté, Savannah Energy a contesté cette nationalisation et a saisi un tribunal arbitral pour indemnisation.
Les autorités tchadiennes s’estiment désormais propriétaires des actifs d’Esso Tchad, dont sa participation au capital de Cameroon Oil Transportation Company (Cotco). Or, c’est cette Cotco, dont 41% du capital était détenu par Esso Tchad, qui gère l’oléoduc entre les champs pétroliers tchadiens et le port camerounais de Kribi, ont encore précisé nos confrères de Radio France internationale.
Ndjamena a donc appris avec colère que ce 20 avril 2023 Savannah avait cédé 10% du capital de Cotco à un autre actionnaire, la compagnie publique camerounaise du secteur, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) pour près de 27 milliards de francs CFA (près de 41 millions d’euros).
Selon FRI qui donne l’information, le Tchad dénonce les « agissements inamicaux » de représentants camerounais au sein de Cotco.
Dans son communiqué repris par RFI, le Tchad affirme avoir écrit à plusieurs reprises à Yaoundé pour dénoncer les « agissements inamicaux » des représentants camerounais au sein de Cotco, et les interférences de personnalités camerounaises « gravitant » autour de Savannah Energy. Des courriers restés sans réponse, selon la présidence tchadienne.
Ces derniers mois, le Tchad a marqué sa volonté de reprendre le contrôle du secteur pétrolier dans le pays. Pour Ndjamena, le secteur des hydrocarbures est vital. Il représentait en 2020 plus de 11% de sa richesse nationale, et 80% de la valeur de ses exportations.
Devant le Parlement de transition fin mars, le ministre des Finances Tahir Hamid a utilisé à plusieurs reprises le terme de « souveraineté » pour justifier la nationalisation des actifs d’Esso Tchad, décidée en dépit d’un arbitrage favorable à Savannah rendu par la chambre de commerce internationale de Paris, a relayé RFI.
Qui conclut que, dans le même temps, le gouvernement tchadien s’est mis d’accord avec son autre partenaire, le Malaisien Petronas, pour négocier l’achat de ses 35% de parts dans le pétrole tchadien, et contrôler ainsi le secteur, des champs de Doba au site de stockage du port camerounais de Kribi, en passant par les plus de 1 000 kms de pipeline. Ndjamena a saisi la Cemac pour boucler la transaction. À ce jour, selon la présidence, parmi les pays membres, seul le Cameroun n’aurait pas répondu à ses demandes de « non-objection ».
Moctar FICOU / VivAfrik