« Il s’agit du premier contentieux climatique au monde visant une banque commerciale », assurent Oxfam France, Les Amis de la Terre France et Notre Affaire à tous, les trois ONG derrière cette nouvelle action en justice.
. Une loi adoptée en France en février 2017 introduit un « devoir de vigilance » à certaines multinationales françaises. Il les oblige à identifier et prévenir les risques sociaux et environnementaux causés par leurs activités.
. Plusieurs groupes pétroliers ou agroalimentaires ont depuis été attaqués par des ONG pour des manquements à ce devoir sur le volet climatique. Ce jeudi, BNP Paribas rejoint la liste, assignée en justice par trois ONG.
. Si BNP Paribas se décrit comme un leader du financement de la transition énergétique, ces ONG pointent à l’inverse le soutien de la banque à des compagnies qui continuent de développer des projets d’énergies fossiles.
Total pour ses projets pétroliers Tilenga et EACOP en Afrique. Casino pour son rôle dans la déforestation en Amazonie. Ou, tout récemment, Danone pour sa gestion de sa pollution plastique… Les ONG environnementales n’ont pas manqué de mettre à profit le « devoir de vigilance », un fondement introduit par une loi de février 2017 dans le droit français. Il oblige certaines multinationales françaises à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves à l’environnement causées par leurs propres activités et celles de leurs filiales, en France comme à l’étranger. Et les exposent aux actions en justice en cas de manquements constatés.
La liste des sociétés attaquées s’allonge encore ce jeudi puisque Oxfam, Les Amis de la Terre et Notre Affaire à tous assignent en justice BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris.
Une première mondiale ?
Le 26 octobre, elles avaient commencé par mettre en demeure la première banque européenne de se conformer à ses obligations de vigilance. Mais la réponse du groupe bancaire, adressée fin janvier, n’a pas convaincu, si bien qu’elles passent à l’étape d’après ce jeudi. « C’est la première fois qu’une banque est attaquée sur le fondement du devoir de vigilance, mais c’est aussi le premier contentieux climatique au monde visant une banque commerciale », assure Lorette Philippot, chargée de campagne « finance privée » aux Amis de la Terre.
Les trois ONG n’ont pas ciblé BNP Paribas par hasard. « Entre 2016 et 2021, elle a été la première banque en Europe – et la cinquième au niveau mondial – à financer le développement des énergies fossiles, reprend Lorette Philippot. Elle a aussi été, sur cette période, le premier financeur mondial des huit majors européennes et américaines du pétrole et du gaz (Total, Chevron, Exxon Mobil, Shell…), qui continuent à développer de nouveaux projets fossiles. » Un soutien qui passe mal pour ces trois ONG, alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), rejoint par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en mai 2021, appelle à renoncer immédiatement à tout nouveau projet fossile si l’on veut limiter le réchauffement climatique sous les 1,5 °C*.
« Un leader affirmé du financement de la transition énergétique », se décrit la BNP
Coté BNP Paribas, le discours est tout autre. Dans un communiqué du 24 janvier, la banque se présente comme un leader affirmé du financement de la transition énergétique, et disait même « engager une nouvelle étape de forte accélération » dans ce sens. Le groupe bancaire rappelle être sur « une sortie déjà très avancée du charbon ». Il vise un arrêt complet de ses financements aux entreprises du secteur d’ici à 2030 dans l’UE, et 2040 pour le reste du monde.
BNP dit aussi avoir enclenché une sortie du pétrole. Le groupe indique ne plus financer de projets depuis 2016 et s’engage, à l’horizon 2030, à réduire de 80 % l’encours de financement à l’extraction et la production de pétrole. Soit le montant total des crédits octroyés sur ces activités et qui n’auront pas encore été remboursées en 2030. De 5 milliards d’euros actuels, l’encourt passerait à un milliard.
Enfin, sur le gaz naturel, BNP Paribas vise une réduction de son encourt de financement de plus de 30 % à l’horizon 2030 et dit réserver désormais ses financements, dans ce secteur, aux centrales thermiques nouvelle génération, faiblement émettrices de gaz à effet de serre, et à la sécurisation des approvisionnements.
Des engagements à lire entre les lignes
Pas mal ? Alexandre Poidatz, responsable de plaidoyer à Oxfam, invite à lire entre les lignes. « Sur le pétrole et le gaz, les engagements se restreignent essentiellement aux encours, pointe-t-il. Cela permet de mettre de côté tout un ensemble de financements qu’accorde BNP Paribas aux entreprises du secteur. N’y figure pas, par exemple, l’aide à l’émission d’actions et d’obligations qu’elle apporte aux compagnies pétrolières et gazières. Pour ces dernières, c’est une façon – de plus en plus importante – de trouver de nouveaux financements qui pourront ensuite aller, potentiellement, à leurs projets fossiles. »
Surtout, les enjeux ne se limitent pas aux financements et aux aides. « Par le rôle clé qu’elles jouent, en particulier BNP, elles ont un pouvoir d’influence majeur pour mettre leurs clients sur la voie de la transition, reprend Alexandre Poidatz. BNP Paribas le fait sur le charbon. Depuis 2020, elle s’est engagée à exclure de ses clients les entreprises qui n’ont pas de date de sortie du charbon. Mais elle n’a pas d’exigences similaires sur le pétrole et le gaz. »
Le début d’une longue affaire ?
C’est alors l’une des demandes d’Oxfam, Les Amis de la Terre et Notre Affaire à tous : que les exigences de BNP Paribas sur le charbon soient dupliquées sur les deux autres énergies fossiles. Elles veulent aussi que la justice contraigne la banque à « arrêter immédiatement tout soutien financier – financements et investissements – aux entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles ». « On ne demande pas d’argent, fait remarquer François de Cambiaire, avocat du cabinet Seattle Avocat, conseil des ONG dans cette affaire. Mais simplement que BNP applique la loi sur le devoir de vigilance en s’assurant que ses activités soient bien alignées avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. »
Ce mercredi 22 février 2023 devrait marquer quoi qu’il en soit le début d’un long combat judiciaire, « probablement de plusieurs années, s’attend Lorette Philippot. Dans les contentieux climatiques précédents, on a toujours vu les multinationales ou les pays visés jouer la montre ».
(20minutes.fr)