La France s’apprêtait à octroyer des « autorisations d’urgence » pour l’usage des néonicotinoïdes, des pesticides tueurs d’abeilles aux producteurs de betteraves sucrières mais s’est heurtée à la résistance de la Cour de justice de l’Union européenne (UE) qui vient d’estimer qu’aucune dérogation à l’interdiction européenne des semences traitées aux « neonics » n’est légale.
Ainsi, après cette décision judiciaire, le gouvernement français a renoncé aux néonicotinoïdes dans ses champs de betteraves sucrières. Il prévoyait d’autoriser pour la troisième fois à titre dérogatoire ces pesticides nocifs pour l’environnement et la santé et interdits de mise sur le marché depuis fin 2018.
Une « grande victoire » pour la biodiversité, un coup de massue pour les betteraviers : se pliant à une décision de la justice européenne, la France a annoncé, lundi 23 janvier 2023, renoncer à autoriser par dérogation les néonicotinoïdes pour protéger les semences de betteraves sucrières qui doivent être plantées en mars 2023.
C’est une victoire pour les insectes pollinisateurs, se félicitent les défenseurs de l’environnement. « Enfin, s’est exclamé l’eurodéputé Vert Claude Gruffat, joint par Nicolas Feldmann de RFI, c’est un vrai moment pour la biodiversité et l’écologie ! »
A cet effet, le ministre français de l’Agriculture a déclaré, lors d’un point presse à Paris que « je n’ai aucune intention de balader les agriculteurs et en particulier ceux qui sont inquiets, car c’est dans 4 à 6 semaines qu’ils vont prendre la décision d’implantation des semences ».
Le gouvernement ne proposera donc pas une « troisième année de dérogation sur l’enrobage des semences de betteraves, c’est terminé pour cet élément-là, la décision de la Cour de justice (européenne) est suffisamment puissante pour ne pas déstabiliser encore plus le système », a souligné Marc Fesneau.
Rappelons que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé, jeudi 19 janvier 2023, qu’aucune dérogation concernant les semences traitées aux néonicotinoïdes n’était justifiée, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées pour protéger les betteraves sucrières.
Les néonicotinoïdes, appelé communément « neonics », sont parfois pulvérisés, mais souvent ils enrobent les semences qui seront mises en terre au printemps. Ces pesticides s’attaquent au système nerveux des insectes pollinisateurs, abeilles et des bourdons notamment, et finissent par les tuer. Ces insectes, en très fort déclin en Europe, sont pourtant indispensables à l’équilibre de la nature et des champs cultivés.
Les néonicotinoïdes, insecticides qui s’attaquent au système nerveux des insectes, sont mis en cause dans le déclin massif des colonies d’abeilles.
Depuis 2018, l’Union européenne a banni les neonics, mais onze pays membres, comme la France, l’Allemagne et la Belgique, approuvent des dérogations pour certains groupes d’agriculteurs. Ils sont interdits en France depuis 2018, mais en 2020, une dérogation a été mise en place et le gouvernement français s’apprête justement à valider une troisième année de dérogation pour les producteurs de betteraves à sucre. Ces insecticides permettant de lutter contre un puceron vecteur de la jaunisse de la betterave.
La France s’apprêtait à autoriser une nouvelle fois leur utilisation de manière dérogatoire pour la campagne 2023, après en avoir fait de même en 2021 et 2022. Un projet d’arrêté autorisant cette dérogation était en consultation publique, en attendant l’avis du conseil de surveillance des néonicotinoïdes.
La Ligue de protection des oiseaux (LPO) a salué lundi soir, 23 janvier 2023, une « grande victoire pour la biodiversité » avec cette décision qui « témoigne que la protection de la biodiversité, le respect du droit européen et la garantie du revenu des agriculteurs peuvent être conciliés ».
Les producteurs de betteraves sont, eux, « effondrés »
« Néonicotinoïdes : point final ! » a claironné l’association Agir pour l’environnement, qui avait par deux fois porté ce combat contre les néonicotinoïdes devant le Conseil d’État, réclamant en vain leur interdiction totale.
Pour leur part, les producteurs de betteraves sont, eux, « effondrés ». « Il y aura des baisses de surface, des planteurs qui vont abandonner. Si c’est une année à faible pression (de jaunisse), on saura gérer, mais si c’est comme en 2020 où on a perdu un tiers de la récolte, ce sera catastrophique », a déclaré à l’AFP Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betterave (CGB).
Marc Fesneau, qui s’était lui-même dit favorable à une « dernière année » de dérogation pour permettre à la filière de développer une solution alternative à ces substances, a tenté de rassurer producteurs et industriels du sucre, reçus, lundi 23 janvier 2023, après-midi.
A ce sujet, M. Fesneau a laissé entendre : « j’ai convenu avec les représentants de la filière qu’on mettrait en place un dispositif qui permettrait de couvrir le risque de pertes qui serait liée à la jaunisse, le temps qu’on trouve les alternatives dont on a besoin ».
Le ministre veut également « faire activer au niveau européen les clauses de sauvegarde pour qu’il n’y ait pas de distorsion de concurrence », alors que la France est le premier producteur européen de sucre.
En cas de jaunisse, la CGB réclame une indemnisation totale, sans franchise, sous peine de « mettre en danger toute la filière », des 24 000 producteurs jusqu’aux usines qui transforment les racines en sucre, en alcool ou en carburant bioéthanol.
Franck Sander redoute la concurrence européenne et notamment celle de l’Allemagne, qui « a renoncé aux semences enrobées mais autorisé un produit néonicotinoïde en pulvérisation ».
« Nous ne sommes pas à armes égales face à l’Allemagne. Il faut nous aider », dit-il, expliquant que les produits à pulvériser actuellement autorisés en France sont plus respectueux des insectes, mais « moins efficaces ».
Moctar FICOU / VivAfrik