Sud Qotidien
Par FATOU NDIAYE
Alors que le Sénégal est fortement dépendant, en bétail, du Mali et de la Mauritanie notamment lors des grands évènements religieux comme la Tabaski, la réserve sylvo-pastorale de Dolly, qui porte désormais le nom de Djibo Leïty Ka, rebaptisée ainsi par le président de la République, Macky Sall, a perdu son lustre d’antan. Elle assurait l’approvisionnement du pays en bétail et en viande. Aujourd’hui, le ranch de Dolly n’est plus qu’une coquille vide, en perte d’attractivité, et les populations autochtones restent nostalgiques du passé si faste. L’augmentation des températures dans le département de Linguère, qui cause l’assèchement rapide des points d’eau, et la disparition de la biomasse portent atteinte aux ressources de son écosystème ; ce qui désole les éleveurs. Le déclin du ranch de Dolly est également causé par des politiques étatiques non favorables à la promotion de l’élevage car étant à l’origine d’une anarchie qui autorise tout un chacun à agir selon sa convenance, sans tenir compte des menaces qui pèsent sur l’espace.
Tiga Ka, témoin privilégié de la vie du ranch de Dolly, des débuts à aujourd’hui, est nostalgique de cette belle époque où la vie dans ce haut lieu d’élevage était un privilège. «Il faisait bon vivre à Dolly, avec sa verdure frappante», dit-il, sur un ton qui traduit cette nostalgie de la vie d’autrefois. Il était âgé de 13 ans, en cette journée d’avril 1969 où le premier président de la République, Léopold Sedar Senghor, franchissait la porte de Gassane (un des accès du ranch dont le nom est tiré d’une localité environnante), pour lancer ce qui sera, par la suite, un site d’une haute renommée, le ranch de Dolly. Tiga Ka s’est installé à Dolly depuis 1967, là où il vit jusqu’à présent. Le ranch de Dolly, c’est une organisation qui ne laissait place au désordre. « Celui qui n’était pas du personnel administratif en service, n’accédait pas facilement aux lieux. A l’époque, peu de gens avaient des cartes d’identité nationale et il fallait passer par un contrôle sécuritaire à la porte du ranch. Il n’y avait que deux entrées : celles de Gassane et Thiel. Si le visiteur n’avait pas de pièce d’identité, son hôte devrait se rendre chez le chef de services de l’époque, André Sachin, ou de son adjoint, Pape Ibrahima Dia, pour signaler sa venue », raconte-t-il.
Les années qui ont suivi l’ouverture, c’était une forêt dense et une pluviométrie abondante qui permettaient la présence d’animaux de toutes sortes. « Au temps, il y avait beaucoup d’eau et même des oiseaux migrateurs. Les lions et les hyènes suivaient, la végétation était luxuriante, la forêt touffue. On avait 5 lions dans le ranch en ces temps-là. Je me souviens qu’ils avaient tué 17 bovins, entre 1970 et 1972. Il pleuvait pendant 4 mois », se souvient-il. En raison de la forte pluviométrie, dit-il, « il y avait plusieurs variétés d’herbes (pâturages) et les animaux avaient la possibilité de faire un choix. A Dolly, il y avait un pâturage aérien comme les arbres et le tapis herbacé ».
Il ne faisait pas non plus très chaud, comme c’est le cas actuellement. Cette situation se répercutait sur le bétail. « À cette époque, la carcasse de la viande de Dolly était beaucoup plus solide que celle des autres, grâce à la qualité du pâturage disponible », se souvient-il. Cette vie en apothéose est partie avec le temps. « Tout cela n’existe plus. Les animaux sauvages sont partis, le désert avance dans le ranch. On ne pouvait apercevoir le château d’eau de 42 mètres », regrette Tiga Ka. Ce Dolly, l’ombre de son passé, n’est qu’un domaine en situation de déshérence écologique avancée et, de surcroît, si difficile d’accès.
Un enclavement qui perdure malgré les pistes du PUDC
Alors que la chaleur de l’hivernage finissant dicte sa loi dans le département de Linguère, dans la soirée du vendredi 30 octobre 2022, les moyens de locomotion pour aller au ranch obligent les passagers à être stoïques. Comme presque partout dans le Djoloff, pour aller à Dolly, il faut recourir aux « Wopouyas » sinon, aux voitures 508. Et là, les secousses sont intenables. Les voitures sautent, roulent, tournent avec allure sur la piste latéritique. Pourtant, selon les habitués du trajet, le voyage est moins pénible présentement, en ce sens que des pistes ont été réalisées dans le cadre du Programme d’urgence de développement communautaire (PUDC). Les voitures en partance pour Dolly n’ont pas de charge conventionnelle. Le bétail est transporté, sans modération, sous les sièges de fortune faits de bois qu’occupent les passagers infortunés qui n’ont pu accéder aux places tant convoitées à l’intérieur du « Wopouya ». Et pourtant, ces sièges ne sont qu’une petite éclaircie dans la grisaille. Les places de trois sont occupées par quatre personnes et celle d’un occupant est scindée en deux. Les passagers sont entassés, collés les uns aux autres.
Le voyage au ranch de Dolly, c’est aussi ces maisons érigées de part et d’autre de la route d’où surgissent leurs occupants aux moindres vrombissements d’un véhicule. Dolly est très enclavé et est fortement dépendant des marchés hebdomadaires (« Louma ») des localités environnantes. Le véhicule horaire en partance pour Linguère ne quitte que les vendredis, jour du Louma de cette capitale départementale du Djoloff. Pour en sortir, il faut passer par Dahra, un dimanche, jour pendant lequel le commerce de bétail mobilise beaucoup d’éleveurs ; à défaut, il faut attendre les Wopouyas qui quittent Touba Alieu, dans le département de Koungueul, pour Thiel, une commune d’à côté.
Le ranch de Dolly n’est pas réservé exclusivement aux éleveurs, tenaillés par le manque de pâturage, qui cherchent un secours. Il a ses autochtones qui, à l’image de Tiga Ka, gardent intact le souvenir des moments pendant lesquels le kilogramme de viande était vendu à vil prix, ces temps où construire une maison en dur était presque un sacrilège à cause du statut du ranch. L’image qu’ont ceux-là de Dolly, c’est cette partie commune à toutes les régions du pays, mais dans laquelle il fallait avoir « des papiers » pour être parmi les privilégiés qui devront y vivre. Car, le ranch n’était occupé que par des fonctionnaires de l’Etat en service. Selon Oumar Diallo, agent de l’élevage à la retraite qui a servi à Dolly, les meilleurs parmi les sortants des écoles, dans le cadre de la formation aux métiers de l’élevage, étaient affectés à Dolly. Ses souvenirs sont que c’était une structure bien organisée. « Il y avait beaucoup de médecins vétérinaires qui étaient équipés, avaient une voiture de fonction et un logement. En plus de leur salaire à la fonction publique, ils avaient des indemnités offertes par le ranch. Tous ceux qui étaient affectés à Dolly, comme les enseignants, les agents de santé, étaient concernés », se rappelle Oumar Diallo, agent de l’élevage à la retraite.
Dolly manque de tout
Octobre, un mois pendant lequel le Djoloff attend d’hypothétiques averses, les marigots retiennent difficilement leurs eaux. Le sol craquelant montre déjà les signes d’un stress hydrique. A Dolly, la population n’a d’yeux que pour l’élevage, même si certains évoquent, de temps à autre, le mérite d’un enfant de la contrée parti faire des études supérieures dans les universités ou dans les grandes écoles de formation. Ils font aussi la fierté du ranch, ces fils qui occupent de hautes fonctions dans plusieurs domaines. Son passé d’une réserve-service occupée seulement par des fonctionnaires est perceptible à travers ses premiers habitants. Ils maitrisent la langue de Molière et sont très cultivés.
Ce qui attire le visiteur, sur les routes de Dolly, ce sont les troupeaux de bêtes sous la surveillance de guides parfois trop jeunes ou encore les chiens de garde qui aboient au moindre déplacement suspect. Les transhumants, sur des charrettes chargées de tous leurs mobiliers, défilent sur les routes. Le réveil au ranch, ce sont les beuglements des vaches qui accompagnent la journée naissante ou les chants de coqs à la levée du jour. Le quotidien à Dolly, ce sont aussi les pics de température avec un soleil impitoyable qui conditionne les heures de sorties durant la journée. La nuit, tout au contraire, il fait frais. Dolly, ou tout au moins ce qu’il fut, reste un souvenir teinté d’une immense nostalgie pour ceux qui l’ont vécu. Il leur manque cette période où la viande était consommée sans modération, le lait coulait à flot et le moindre moment de réjouissance était un véritable festin pendant lequel on égorgeait des petits ruminants, sans réfléchir. Le ranch de Dolly n’a vraiment plus rien d’attirant.
La renommée du ranch contraste d’avec le peu d’infrastructures qui y existent. Une bâtisse qui sert de Direction, un forage renforcé par celui du PUDC, une Brigade de la Gendarmerie nationale, un vieux magasin de stockage, le service des Eaux et Forêts, le logement du directeur du ranch, le siège de l’Association « Nanondiral » (Entente, en pulaar) sont entre autres, les symboles de cet ancien fleuron de l’élevage. En cette année où la pluviométrie a été bonne, le mur de clôture est invisible, à cause des hautes herbes qui le bordent. On entre et sort de Dolly à sa guise. Le ranch a aujourd’hui 14 portes qui s’ouvrent à tout hôte et en toute heure. Il suffit juste de pousser un portail en fer, pour y accéder. Une des conséquences de cette accessibilité, c’est le vol récurrent de bétail et l’insécurité. Certaines de ces portes ne sont d’aucune utilité, nous dit-on.
Réalisé par Fatou Ndiaye