« Le Sénégal n’est pas une exception par rapport à la loi sur la biosécurité au moment où le débat se poursuit depuis la création de cette innovation biologique », a indiqué Ndjido Ardo Kane, chercheur à Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA).
L’expert généticien, formation génétique et biotechnologie moléculaire s’exprimait lors de la 27ème édition de la conférence des « Mardis du BAME » organisée conjointement par le Bureau d’analyse macro-économique de l’ISRA (ISRA-BAME) et l’Initiative prospective et agricole rurale (IPAR) au tour du thème : « OGM, la loi sur la biosécurité au Sénégal : doit-on s’inquiéter ?» à Dakar ce mercredi 2 novembre 2022.
En effet, le Sénégal, en ratifiant le protocole de Cartagena (PC), devait satisfaire à l’exigence d’établir les conditions de circulation transfrontalière des Organismes génétiquement modifiés(OGM). A cet effet, la nouvelle loi N°08/2022 portant sur la biosécurité a été votée suite à un processus long et engagé qui doit assurer « la protection adéquate pour la mise au point, l’utilisation, l’importation, l’exportation, le transit, la dissémination volontaire dans l’environnement et la mise sur le marché d’OGM ou de produits dérivés d’organismes génétiquement modifiés résultant de la biotechnologie moderne qui peuvent avoir des effets défavorables sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique, ainsi que sur la santé humaine et animale ».
Se prononçant sur le débat sur les risques liés à l’usage des OGM qui a envahi l’espace public, donnant naissance à un discours passionné, parfois peu controversé, M. Kane n’est pas passé par quatre chemins pour revenir sur les multiples enjeux des OGM au cours de la conférence qui a pour objectif de poser le débat avec des regards croisés de scientifiques, de juristes, et des membres de la société civile pour favoriser un dialogue visant à éclairer l’opinion publique.
Suffisant pour le chercheur de l’ISRA d’énumérer les enjeux liés à la sécurité nutritionnelle et alimentaire ; les enjeux économiques ; aux enjeux liés au droit et à la propriété intellectuelle ; la santé humaine et animale…
Abordant l’enjeu lié à la sécurité nutritionnelle et alimentaire, l’expert a souligné qu’« on peut bien et sûrement se nourrir sans les OGM ».
Sur la santé humaine et animale, il a fait valoir que le « mythe » qui entoure cet enjeux est que les OGM causent des maladies, des cancers, des résistances aux antibiotiques, en résumé ne sont pas bon pour la santé ».
« Il n’y a aucune preuve directe que les OGM causent la mort chez les humains ou le bétail. Les OGM sont les aliments sûrs car ils subissent des tests approfondis avant d’être mis à la disposition du public. Une mauvaise manipulation de tout aliment peut causer des maladies, c’est pourquoi les directives de sécurité alimentaire doivent toujours être suivies », a conseillé l’expert.
Pour qui, les OGM menacent l’environnement et la biodiversité à cause des modifications génétiques, les flux de gènes, … Selon lui, « une partie du monde produit et consomme les OGM ».
S’exprimant sur les enjeux économiques, droits et propriétés, M. Kane a affirmé que les paysans africains seront dépendants des firmes semencières et n’auront pas les moyens financiers de se procurer des intrants.
« Les agriculteurs ont toujours eu la liberté de décider quoi planter, et cela ne changera pas avec les OGM. Dans la plupart des pays, les entreprises semencières locales gèrent et vendent des semences OGM afin que les agriculteurs puissent accéder aux semences de la même manière qu’ils l’ont toujours fait. Les agriculteurs peuvent également conserver et partager les semences de certaines cultures OGM ».
Pour sa part, Boniface Cacheu, Juriste et universitaire par ailleurs conseiller juridique du ministre l’Environnement qui a présenté une communication sur le thème : « Que dit la loi (sur les OGM) ? Quelles sont les dispositions juridiques nécessaires pour rassurer ? », a affirmé que « la loi n’autorise pas ni n’interdit pas l’usage des OGM au Sénégal mais elle pose les procédures de contrôle et de sécurité pour un utilisation sans danger de ces organismes génétiquement modifiés. Et c’est dans l’article 2 ou 3 de la loi intitulée objet de loi. Elle n’impose pas, elle n’interdit pas mais la loi veut s’assurer que des OGM qui entreront au Sénégal seront sans danger pour les Sénégalais ».
De son côté, El Hadji Thierno Cissé, coordonnateur du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux du Sénégal (CNCR) a rejeté cette loi dénonçant leur exclusion tout au long de la procédure d’adoption de la loi sur les OGM au Sénégal. A l’en croire, des produits destinés à la consommation personnelle et tous issus de semences paysannes locales sont menacées. « Cette diversité risque de disparaître si les semences génétiquement modifiées rentrent au Sénégal ».
Depuis 2009, une loi interdisait d’importer ou de mettre sur le marché des OGM, « susceptibles de provoquer une dégradation de l’environnement ou un déséquilibre écologique, ou de nuire à la santé humaine ou animale ». Mais cette disposition était un « frein au développement des activités liées aux OGM », selon le rapport de la nouvelle loi sur la biosécurité, qui a pour objectif de « tirer le maximum de profit des avantages qu’offre la biotechnologie moderne ». A ces méfaits, s’ajoutent la tournure des faits. « Nous avons été surpris par cette nouvelle réforme qui n’a pas été inclusive. Nous avons entendu comme tout autre acteur à travers les médias que l’Assemblée nationale a voté une nouvelle loi. Le CNCR dénonce ce fait et rejette cette loi », s’est radicalisé le coordonnateur du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux du Sénégal.
Moctar FICOU / VivAfrik