Accusée de non-respect du devoir de vigilance en Ouganda et en Tanzanie, Total Energies répond de ses actes à Paris

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Total Energies a rendez-vous ce mercredi 12 octobre 2022 devant le tribunal judiciaire de Paris en France après avoir été accusée de mener un mégaprojet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie au mépris des droits humains et de l’environnement. Le géant pétrolier et gazier est sommé par six Organisations non gouvernementales (ONG) de respecter la loi qui lui impose un « devoir de vigilance » sur ses activités dans le monde entier.

Rappelons que dix ans après l’effondrement de l’usine Rana Plaza, qui avait fait un millier de morts en 2013 au Bangladesh, le premier procès sur le devoir de vigilance des multinationales à l’étranger s’ouvre en France. La major française Total Energies est accusée d’avoir manqué à ses obligations en Ouganda et en Tanzanie.

L’audience sur le fond de cette affaire, la première portée devant la justice depuis une loi pionnière de 2017, se tient avec trois ans de retard. Et ce en raison d’une bataille procédurale finalement perdue par Total Energies.

La multinationale est jugée pour non-respect de la loi sur le devoir de vigilance des grandes entreprises à l’égard des activités de leurs filiales à l’étranger. Adopté en 2017 en France, le texte législatif a été conçu pour prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement. Avec ses forages pétroliers en Ouganda et en Tanzanie, Total Energies aurait manqué à ses obligations.

« Ce qu’on reproche à l’entreprise, c’est d’abord que son plan de vigilance sur le papier ne respecte pas du tout la loi sur le devoir de vigilance et qu’ensuite, elle n’a pas, de ce fait, identifié tous les risques de violations liés à ses projets Tilenga en Tanzanie et Eacop en Ouganda », a déclaré Juliette Renaud, chargée de campagne aux Amis de la Terre, l’une des ONG à l’origine de cette action en justice. Le projet Eacop (East African Crude Oil Pipeline), a été développé sur les rives du lac Albert, dans l’est de l’Ouganda.

« Pendant longtemps, les multinationales ont réussi à jouir d’une totale impunité, à cause du fait que leurs filiales ou sous-traitants sont des entités juridiques autonomes. Elles savent très bien faire remonter les profits réalisés dans d’autres pays, en revanche, quand il y a des problèmes en termes de violations des droits humains ou des droits des travailleurs, leur responsabilité ne remonte pas ».

Notons que le groupe a été assigné en octobre 2019 par les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises. Elles l’accusent de ne pas respecter la loi française dite du « Rana Plaza », du nom de l’immeuble qui s’est effondré en 2013 au Bangladesh. 1 000 ouvriers avaient trouvé la mort dans des ateliers de confection au service de grandes marques occidentales.

« Condamnés à la faim »

En Tanzanie, le site pétrolier baptisé Tilenga prévoit la production de plusieurs centaines de barils par jour. En Ouganda, la multinationale construit un oléoduc géant entraînant le forage de 400 puits. Les deux projets traversent des zones et des aires naturelles sensibles, dont un parc national.

« Le district ougandais d’Hoima, où est basé le projet Eacop, abrite le lac Albert, la forêt de Bugoma et de nombreuses autres forêts naturelles. La plupart vont être rasées », a dénoncé Tim Mugerwa, membre de la coalition StopEacop en Ouganda. « Or, c’est un habitat naturel pour de nombreux animaux sauvages et des oiseaux », poursuit-il.

Au-delà de l’environnement, Tim Mugerwa s’inquiète de l’impact sur les populations locales. « Plusieurs personnes ont déjà été expropriées de leurs terres sans compensation. Certaines ont été placées dans des camps et vivent dans de mauvaises conditions sanitaires, sans travail. Elles ne peuvent plus planter ou cultiver leur propre nourriture. Lorsque vous les privez de leurs terres, vous les condamnez à avoir faim », a-t-il expliqué à RFI.

Climat d’intimidation

De son côté, TotalEnergies estime que ces projets « constituent un enjeu majeur pour l’Ouganda et la Tanzanie » et s’engage à ce que leur réalisation ait un impact positif sur la biodiversité. Intervenant dans cette affaire, le président ougandais Yoweri Museveni a qualifié de « trahison » l’action de ceux qui s’opposent aux travaux. Ce qui constitue une incitation à commettre des actes d’intimidation dans les régions concernées, analyse Dickens Kamugisha, directeur général de l’ONG Afiego, l’une des six plaignantes :

« Le gouvernement ougandais est en train d’arrêter la plupart de nos travailleurs. Il détient et jette dans des cellules de police toute personne qui mobilise les communautés afin de protéger leurs droits »

Dickens Kamugisha, directeur général de l’ONG Afiego a été arrêté l’an dernier durant une campagne de sensibilisation. Relâché, il reste sous surveillance policière. « Le résultat, c’est que beaucoup d’organisations de la société civile n’osent plus prendre la parole. Et nous estimons que le fait que Total, une grande entreprise issue d’un pays qui respecte la démocratie, continue à travailler avec un gouvernement qui harcèle son peuple, contribue à encourager ces violations des droits humains », témoigne-t-il.

Vers des sanctions financières ?

Pour sa part, Total Energies a mis en place un plan de vigilance pour empêcher des violations, mais les ONG le jugent insuffisant. Elles demandent la suspension de tous les projets pétroliers jusqu’à ce que les risques soient réellement identifiés. Le Parlement européen a voté une résolution en ce sens, le 15 septembre.

Ce procès pourrait-il créer un précédent ? « Tout dépend de la décision des juges », estime l’avocat Christophe Lèguevaques. Selon lui, pour parvenir à une véritable prise de conscience, le montant de la sanction prononcée doit être élevé : « Si c’est une simple sanction pécuniaire de quelques milliers d’euros, pour Total, ce n’est pas grand-chose. C’est juste le prix des cigares du président, donc ce n’est pas ça qui va inquiéter l’entreprise. »

En revanche, « il faudra renforcer les sanctions pour que ce soit un pourcentage du chiffre d’affaires qui soit en cause. À ce moment-là, un acteur économique va prendre en compte ces aspects », avance-t-il. Sollicité par nos confrères de RFI, Total Energies n’a pas souhaité s’exprimer.  

Moctar FICOU / VivAfrik                         

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