Un nouveau départ s’annonce avec un nouveau gouvernement dans un contexte d’urgence généralisé. Nos « signes vitaux » socio-économiques s’affaiblissent : l’agriculture, qui occupe 60% de la population rurale pour seulement 15% du PIB (Produit intérieur brut), n’est pas une chaîne de valeur qui pourvoit sécurité alimentaire et produits de transformation pour l’industrie.
L’industrie au Sénégal, avec 25% du PIB, emploie trop peu de la force de travail, juste 15%, notre secteur secondaire est étranglé par les importations et les facteurs de production trop chers dont l’énergie. Enfin le tertiaire -secteur éponge-, le pivot de notre économie, avec le commerce, qui assure les recettes douanières et fait vivre l’informel qui absorbe presque 60% de la population active dans les zones urbaines. Le secteur des services y compris l’informel, ce sont 55% du PIB, il affiche des gains de productivité record avec le transport et les télécoms. Malheureusement, il accentue la désarticulation de la structure de production avec les importations massives de biens et produits.
Une agriculture encore et toujours dépendante des pluies malgré nos fleuves, lacs, cours d’eau et ruisseaux, sans compter une nappe phréatique vraiment accessible. Une industrie sans chaîne de valeur véritable, plombée par une faible compétitivité due à un marché local exigu et des coûts factoriels lourds, enfin un secteur tertiaire hypertrophié garant de la stabilité sociale parce que assurant des revenus aux 3/4 de la population des zones urbaines, où l’emploi formel est trop peu disponible.
Entre 2014 et 2018, le Sénégal a enregistré une croissance annuelle supérieure à 6%. Une dynamique de croissance forte que la pandémie a ralentie avec 0,87% de progression de la richesse nationale en 2020 contre 4,4% en 2019 et 6,2 % en 2018. Pendant ce temps, la courbe démographique et le réveil de l’inflation ont remis en cause tous les gains engrangés durant les années de croissance forte et soutenue.
Plus qu’un état des lieux, ce sont les marqueurs conjoncturels de l’économie du pays. En effet, depuis 2019 avec la pandémie du Covid, c’est un cycle de croissance économique -l’inflation prise en compte- trop faible pour assurer une alimentation adéquate et un niveau de revenu décent pour les populations. Le panier de la ménagère est affecté par un recul de l’activité économique locale et une inflation imposée par la conjoncture mondiale.
Les enquêtes de l’ANSD corroborées par les données du Fmi sont édifiantes ; ce sont presque 5 millions de Sénégalais qui sont dans la précarité matérielle et la vulnérabilité sociale, soit 38% de la population globale.
Mettre en place un bouclier des prix pour arrêter l’inflation galopante et auditer les mécanismes de fixation des prix semblent être la première tâche de la nouvelle équipe gouvernementale. La pauvreté, surtout dans nos villes, menace même notre vivre-ensemble. Il est urgent de mettre en place des filets de secours pour redonner un peu de souffle et même de l’espoir aux populations. Avec l’inflation galopante et le chômage généralisé, il faut absolument éviter ce sentiment grandissant auprès des populations, que l’autorité étatique est devenue sourde ou sans moyens d’action. L’Etat doit urgemment retrouver sa fonction de régulation économique et l’exercer avec autorité.
Simultanément, il faut éviter de sacrifier les fondamentaux économiques sur le long terme qui s’articule autour d’un cadre économique et social stable avec un endettement maîtrisé, un cadre macroéconomique qui assure un environnement des affaires attractif pour l’investissement, l’emploi et la création de richesse, enfin élargissement de la base fiscale pour financer les filets sociaux, voici les prérequis pour une résilience économique et sociale du pays. Ce cas de figure permettrait de profiter au maximum des futurs revenus du pétrole et du gaz. L’Etat-providence doit être un palliatif du moment, cependant il nous faut garder le cap de la transformation économique pour assurer un Sénégal résilient c’est-à dire des politiques et programmes qui s’attaquent aux causes profondes de la vulnérabilité chronique en augmentant la capacité des ménages, des jeunes et femmes et des systèmes à s’adapter et à se remettre des chocs et crises. L’émergence véritable viendra au bout de nos efforts de résilience endogène.
Moustapha DIAKHATE
Expert et Consultant en Infrastructure