Le captage du CO2, un atout pour atteindre nos objectifs climatiques                         

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Par Nathalie Mayer

Pour limiter le réchauffement climatique et ses effets, il n’y a qu’une seule solution : réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les réduire vraiment, en améliorant l’efficacité énergétique, en développant les énergies renouvelables et en optant pour plus de sobriété. Mais aussi les réduire de manière un peu… artificielle, en captant certaines de ces émissions de dioxyde de carbone (CO2). Florence Delprat-Jannaud, la responsable du programme Captage et stockage du carbone de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN), nous explique aujourd’hui comment ces technologies de captage du CO2 peuvent nous aider à atteindre nos objectifs climatiques.

« Le stockage du CO2, c’est bien. La sobriété, c’est encore mieux. » C’est ce que nous confiait Pierre Toulhoat, retraité de son poste de directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et membre de l’Académie des Technologies, il y a plus d’un an déjà. Alors qu’il décryptait pour nous les enjeux de celui que les experts appellent le CSC – pour captage et stockage géologique du carbone.

Il abordait tout particulièrement l’étape du stockage. Sa spécialité. Et aujourd’hui, c’est Florence Delprat-Jannaud, la responsable du programme CSC de l’IFP Énergies nouvelles (IFPEN), qui nous le confirme. « Les technologies CSC ne doivent en aucun cas nous détourner de l’essentiel : l’efficacité et la sobriété. » Avec elle, nous allons plus précisément aborder la question du captage du dioxyde de carbone (CO2). Sa spécialité à elle.

Pourquoi ? D’abord parce qu’en ce début d’année 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a relancé l’urgence de déployer ces technologies. Annonçant que nous n’étions désormais plus en position de nous en passer, si nous espérons toujours limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Ensuite parce que quelques géants de la Tech viennent de lancer l’initiative Frontier, une garantie de marché qui vise à accélérer le développement de technologies de captage du carbone en garantissant la demande future pour celles-ci.

« Il existe déjà des technologies qui fonctionnent bien », nous assure Florence Delprat-Jannaud. Elle veut parler surtout de solutions qui permettent de capter le CO2 dans les fumées des usines. Celles de l’industrie lourde, qui ne dispose pas, pour l’instant, de technologies de substitution pour réduire son empreinte carbone.

Des technologies de captage de CO2 existent déjà

« Le captage sur les fumées « post-combustion » consiste à récupérer le CO2 en lavant ces fumées à l’aide d’un solvant », nous explique la responsable du programme CSC de l’IFPEN. Ces technologies sont exploitées depuis longtemps pour traiter le gaz fossile et ont été adaptées pour capter le CO2 des fumées industrielles. L’ennui, c’est qu’elles coûtent cher et qu’elles consomment beaucoup d’énergie. Mais le projet « 3D » qui vient d’entrer dans sa phase « démonstrateur industriel » pourrait changer la donne. Et permettre de décarboner des industries fortement émettrices de CO2. Grâce à un solvant sélectionné pour son efficacité, sa compétitivité, sa durabilité et les économies d’énergie qu’il devrait rendre possible. Une première unité industrielle pourrait être opérationnelle sur le site de production d’acier d’AcelorMittal, à Dunkerque, dès 2025. Avec pour objectif de capter plus d’un million de tonnes de CO2 chaque année.

Parmi les autres solutions de captage du CO2 existantes, on peut citer le captage en précombustion. L’idée, c’est produire directement un combustible décarboné. Une idée qui ne s’applique qu’à quelques industries. « Et qui doit être envisagée au moment de la construction de l’usine », nous explique Florence Delprat-Jannaud. Le captage du CO2 peut aussi se faire par oxycombustion. « Pour augmenter la concentration de CO2 dans les fumées et ainsi faciliter son captage, on procède à une combustion dans de l’oxygène pur et non plus dans de l’air. Mais là encore, produire de l’oxygène pur coûte cher. »

« Nous travaillons aussi sur des procédés plus innovants, comme celui dit de la combustion en boucle chimique. Il pourrait arriver sur le marché d’ici 2028 », nous précise Florence Delprat-Jannaud. En revanche, les technologies de captage du CO2 directement dans l’atmosphère, elles, ne sont pas prêtes à grande échelle. De concentrations d’environ 10 % – c’est déjà peu -, on passe à des concentrations de l’ordre de 0,04 % – c’est infime, même si ça reste beaucoup trop d’un point de vue effet de serre. Ce qui rend l’opération de captage bien plus délicate. Toutefois, une quinzaine de projets sont lancés dans le monde. « Mais capter du CO2 dans l’air n’est absolument pas viable économiquement aujourd’hui. »

Des coûts encore élevés, mais qui ne demandent qu’à baisser

C’est-à-dire ? « Capter du CO2 dans les fumées des usines, ça coûte aujourd’hui entre 50 et 180 euros par tonne, en fonction des situations. L’étape du captage compte pour 50 à 70 % de cette somme. La compression et le transport, chacun pour 10 %. Le reste va au stockage », nous précise Florence Delprat-Jannaud. « Mais pour le captage direct dans l’atmosphère, c’est tout autre chose. On parle de coûts compris entre 300 et 800 euros par tonne de CO2 capté. »

Des coûts qui devraient globalement baisser lorsque les volumes traités, eux, augmenteront. Avec les évolutions des technologies, aussi. Selon la responsable du programme CSC de l’IFPEN, « il n’y a plus une minute à perdre. Nous devons travailler à développer différentes solutions de captage. Et en parallèle, nous devons également étudier les possibilités de stockage pour ce CO2. »

Entre la phase de captage et la phase de stockage du CO2, il y a aussi une phase de transport qui ne va pas nécessairement de soi. Installations de captage et sites de stockage ne sont pas toujours proches. Il faudra donc cartographier des voies de transport – par bateau ou par gazoduc – en fonction des situations. Et, sans doute, développer le transport d’un CO2 liquéfié.

Parce qu’il y a un doute à ce sujet ? « Il n’y a aucun doute sur l’étendue des possibilités de stockage souterrain. En Europe, la capacité est de l’ordre de 500 gigatonnes, cela équivaut à une centaine d’années d’émission – sur la base des émissions de 2019 », nous indique Florence Delprat-Jannaud. Mais chacun des réservoirs potentiels devra, avant d’être utilisé, passer par une étape de caractérisation assez précise, afin de savoir exactement quel volume il peut recevoir. Ou encore de vérifier son étanchéité. Et de mettre au point des technologies de surveillance à long terme. « Pour d’anciens réservoirs d’hydrocarbures, cela prend quelques années. Mais pour des aquifères salins qui n’ont pas encore été explorés par l’industrie pétrolière, il faut bien compter une dizaine d’années. »

Ce qu’il faut retenir, c’est donc que si la recherche a encore du travail à fournir, il existe d’ores et déjà des technologies de captage du CO2 matures qui pourraient nous aider à décarboner l’industrie surtout. D’ici 2070, l’Agence internationale de l’énergie estime que le CSC permettra de compenser l’émission de 9,5 milliards de tonnes de CO2. De quoi contribuer à hauteur de 15 % à l’effort nécessaire pour sauver notre climat. Mais pour cela, « nous devons agir dès aujourd’hui. Mettre en œuvre des solutions de CSC dans l’industrie lourde, notamment. Et commencer à limiter ainsi celles que les experts appellent les émissions incompressibles. Pour soutenir les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui doivent par ailleurs continuer à être consentis », conclut pour nous Florence Delprat-Jannaud.

Nathalie Mayer, Journaliste

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