Auteurs :
Raphael Belmin, Chercheur en agronomie, photographe
Astou Diao Camara, Sociologue, chercheure et directrice du bureau d’analyse macroéconomique (BAME), Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA).
Trois années après sa première « grande caravane », la Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal (DyTAES) – ce large réseau qui fédère depuis 2019 l’ensemble des acteurs de l’agroécologie sénégalaise dans un but de plaidoyer, de sensibilisation et d’accompagnement des territoires en transition – entame en ce début février 2022 un nouveau périple à travers le pays.
Au programme : une expédition de 34 jours (du 7 février au 12 mars 2022) et 14 étapes au cœur du Sénégal rural dans le but de consulter les actrices et acteurs engagés dans la transition agroécologique.
Une immersion dans l’agroécologie africaine
Depuis sa création, la DyTAES cherche à fédérer l’ensemble des acteurs de l’agroécologie sénégalaise dans le but d’accompagner l’État dans la construction d’une politique de transition agricole. Il s’agit à ce jour du plus important mouvement africain dans ce domaine.
La DyTAES est ainsi devenue une interlocutrice privilégiée du ministère de l’Agriculture, de plusieurs groupes parlementaires et du Bureau opérationnel de suivi du plan Sénégal émergent (PSE). Au niveau international, la DyTAES a été représentée dans diverses arènes de discussion ou de décision – One Planet Summit, Sommet Afrique France, Congrès international d’horticulture, Conférence intensification durable et COP26.
Consulter les ruraux pour alimenter le dialogue politique
Acte fondateur de l’alliance DyTAES, une première caravane a sillonné tout le Sénégal entre les mois d’aout et d’octobre 2019 dans le but de mieux comprendre les problèmes des ruraux et de recueillir leurs recommandations politiques.
Une trentaine de membres de la DyTAES ont à cette occasion parcouru les 6 zones éco-géographique du Sénégal – Casamance, Niayes, Vallée du fleuve, Ferlo, Sénégal oriental et Bassin arachidier – et consulté des milliers de personnes issues de plus de 500 organisations. Un participant se rappelle :
« Les nombreuses rencontres et visites de terrain m’ont fait prendre conscience de la fragilité de notre agriculture, de la violence du changement climatique et du niveau avancé de dégradation des ressources naturelles ».
Dans un monde rural africain confronté à de multiples difficultés, l’agroécologie offre une alternative crédible, en permettant de s’inspirer du fonctionnement des écosystèmes pour concevoir des systèmes agricoles et alimentaires plus durables et plus résilients face au changement climatique notamment.
En construisant des synergies entre les plantes cultivées, les animaux et les arbres, on peut accroître la production et limiter les fertilisants et pesticides chimiques.
Au Sénégal, l’introduction de certaines espèces légumineuses (niébé, moringa ou faidherbia alibidia) dans les assolements permet par exemple une fixation biologique de l’azote, ce qui contribue à une meilleure santé des sols et à des économies sur l’achat d’engrais azotés.
Le diagnostic et les recommandations émanant des zones visitées par la DyTAES ont été synthétisés dans un rapport remis en main propre au gouvernement du Sénégal lors des Journées de l’agroécologie 2020.
Ce rapport souligne que l’agriculture sénégalaise est affectée par un déséquilibre structurel. Les communautés rurales paient un lourd tribut face à la dégradation généralisée de leurs ressources naturelles comme l’eau, les sols et les forêts.
14 étapes pour la caravane 2022
Jusqu’au 12 mars 2022, la DyTAES arpente à nouveau le pays pour rencontrer les populations au cours de 14 étapes. Si le mode d’action n’a pas changé (visites de sites, focus group et ateliers), les objectifs sont eux différents.
Il s’agit de préparer la construction d’un nouveau document de contribution politique qui tirera le bilan des dernières avancées du gouvernement en matière d’agroécologie, à l’image de la récente réforme de subvention des engrais organiques. Ce bilan alimentera également la construction du PSE Vert (le PSE constituant le principal cadre de programmation politique à l’horizon 2035 pour le pays).
Les témoignages recueillis lors des consultations seront partagés lors du prochain Forum mondial de l’eau (qui se tiendra fin mars 2022 à Dakar) et de la COP15 sur la désertification (en mai 2022 à Abidjan), deux évènements clés de l’agenda international pour l’environnement.
Provoquer un « sursaut » des territoires
Devant l’urgence d’agir, la DyTAES a fait le choix de parier sur les territoires comme acteurs majeurs de la transition agroécologique dans le pays. La caravane a ainsi pour objectif de renforcer ou impulser la mise en place de cadres locaux (sous l’appellation Dynamique pour une transition agroécologique locale, DyTAEL) dans les différents territoires visités.
« La caravane doit susciter un sursaut général, une responsabilisation des territoires ruraux du Sénégal », souligne l’une des scientifiques impliquées dans l’organisation de la caravane 2022.
Cette mobilisation au sein des territoires a été initiée dès 2021, avec la construction de DyTAEL dans trois départements du Sénégal – Tambacounda, Podor et Bignona. Ces structures ont été conçues comme autant de lieux de dialogue politique local, de planification territoriale, d’expérimentation et de mise en synergie entre les initiatives agroécologiques présentes au sein d’un territoire donné.
Leur rôle est de démontrer que la transition agroécologique est possible à l’échelle de zones pilotes dès lors que les acteurs coordonnent leurs efforts et mutualisent leurs ressources.
Les DyTAEL doivent produire des connaissances et des approches susceptibles d’alimenter le dialogue politique national et international conduit par la DyTAES, à l’image du projet Desira Fair Sahel qui propose notamment des expérimentations agronomiques en milieu paysan.
Pour sa première semaine d’itinérance, la grande caravane rejoindra Bambilor, Mboro et Thiès, trois communes situées dans la zone horticole des Niayes, un bassin de production de légumes, d’agrumes et de mangues affecté par le déclin des ressources en eau et les risques sanitaires liés à l’utilisation inappropriée des pesticides chimiques.
Laure Brun Diallo, conseillère en suivi évaluation de l’ONG Enda Pronat, est co-autrice de cet article.