Par François Soudan
Exiger des Africains, comme le font certaines Organisations non gouvernementales (ONG) intégristes, qu’ils ralentissent leur développement pour freiner la dégradation de l’environnement et les émissions de gaz à effet de serre serait profondément immoral.
Le dernier rapport des climatologues du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous est tombé dessus le 9 août 2021, comme une pluie d’orage sur le mont Cameroun. Le scénario qu’il nous décrit pour le demi-siècle à venir – celui que vivront nos enfants – ressemble à un voyage sans retour vers ce que le Financial Times appelle « l’enfer sur terre », celui d’une planète en surchauffe ravagée par les catastrophes dues à une température globale la plus élevée depuis 125 000 ans et à une hausse du niveau des mers la plus rapide depuis 10 000 ans.
Code rouge pour l’humanité
Antonio Gutteres parle d’un « Code rouge pour l’humanité » et John Kerry, le « Monsieur Climat » de Joe Biden, d’un « multiplicateur de menaces sans précédent ». Il ne s’agit plus de savoir si le pire est à venir, mais d’imaginer comment y survivre. Tel sera le défi unique auquel aura à répondre la COP26 de Glasgow, en novembre prochain, la plus cruciale sans doute de toutes les COP.
Et l’Afrique dans tout cela ? Les projections du rapport Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ne l’épargnent pas. Épisodes de chaleur et de sécheresse extrêmes au Maghreb, en Afrique australe, au Sahel et le long de la bande atlantique allant de Dakar à Abidjan. Érosions côtières ravageuses d’Accra à Luanda. Raréfaction des pluies sur le plateau Abyssin et trombes d’eau sur le Bassin du Congo. Incendies de forêt, inondations, affrontements meurtriers entre éleveurs et agriculteurs pour l’usage des terres, insécurité alimentaire, exode rural.
« Dans cet avenir proche et chaotique, seuls les groupes terroristes qui recrutent sur le terreau des cataclysmes risquent de trouver leur compte ».
Dans cet avenir proche et chaotique, seuls les groupes terroristes qui recrutent sur le terreau des cataclysmes risquent de trouver leur compte. Démunis face aux énormes dépenses nécessaires à l’adaptation climatique et à la prévention des catastrophes naturelles, exactement comme ils le sont face à la pandémie de Covid-19, les gouvernements africains préfèrent pour la plupart regarder ailleurs. Quand le sentiment d’impuissance se conjugue avec l’urgence de trouver les fonds nécessaires pour payer chaque fin de mois les fonctionnaires et les retraités, le souci des générations futures n’est pas la priorité.
Économie verte
Ceci expliquant sans doute cela, si le rapport du GIEC a fait la une de la quasi-totalité des médias occidentaux, il n’a rencontré qu’un faible écho officiel sur le continent, particulièrement en Afrique francophone. Il est vrai que, trop souvent, l’environnement y est considéré comme un sujet mineur, juste bon à faire du « greenwashing » et ceux qui le défendent comme des trublions, voire de dangereux gêneurs lorsqu’ils mettent leur nez dans les affaires des miniers, des pétroliers ou des professionnels de la surpêche.
Rares aussi sont les chefs d’État qui ont compris que l’économie verte est la « success story » de la décennie en cours, comme le démontre l’étonnante réussite des obligations de croissance durable lancées par le Bénin à la mi-juillet et triplement souscrites depuis. Pourtant, ONG et société civile se mobilisent de plus en plus autour de la cause. Le baobab de la musique sénégalaise Omar Pène vient de sortir « Climat », un album consacré à la crise écologique déjà chantée sur un mode militant par Youssou N’Dour, Angélique Kidjo, Tiken Jay Fakoly et quelques autres stars d’Afrique de l’Ouest.
« Le bassin du Congo est le plus grand capteur net de CO2 du monde. Il serait temps que le monde sache que cet inestimable service doit se payer »
La jeunesse urbaine est de plus en plus consciente du stress climatique multiforme causé par le réchauffement et ne serait-ce qu’intuitivement, le paysan de Casamance, de l’Adamaoua ou du Katanga est capable de reconstituer la chaîne qui mène de l’émission de gaz à effet de serre à la qualité de sa récolte.
L’Afrique est également – et de plus en plus – consciente de l’injustice qu’elle subit. Voici un continent responsable de 2 % à 3 % des émissions globales de gaz, mais qui reçoit de plein fouet le choc induit du réchauffement climatique. Voici un continent qui recèle en son sein le plus grand absorbeur net de CO2 du monde, le Bassin du Congo, dont la zone de tourbières à cheval entre les deux Congos capture à elle seule l’équivalent de vingt années d’émission de dioxyde de carbone des États-Unis et qui pour cet inestimable service écosystémique ne reçoit rien (ou presque) en échange.
« Pourquoi vous payer pour ce qui n’est qu’un processus naturel ? », se voient encore parfois rétorquer les ministres de l’Environnement des trois principaux pays concernés – RD Congo, Congo et Gabon – dans les couloirs des grandes conférences internationales. C’est feindre d’oublier que la conservation, justement, n’est pas un processus naturel mais le fruit d’une vision.
Choix politique
Si l’Afrique centrale, contrairement à l’Afrique de l’Ouest, où ils ont quasiment disparu au profit des cultures de rente, a su protéger ses espaces forestiers, c’est aussi parce que les dirigeants – surtout ceux de Brazzaville et de Libreville – ont fait un choix politique en ce sens. Il est donc pour le moins affligeant de constater que sur le peu de ressources financières débloquées par les pays riches depuis l’Accord de Paris de 2015, l’essentiel est allé aux cancres de l’environnement afin de les aider à reboiser (Brésil, Indonésie), au détriment des bons élèves qui à juste titre exigent d’être payés pour le gaz qu’ils capturent.
Avec le marché totalement dérégulé du crédit carbone – sorte de jackpot sauvage dont le continent ne reçoit que des miettes – et l’ébauche de Grande Muraille verte pour le Sahara et le Sahel, le Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, fort de ses quelque trois cents projets de financement répartis dans dix-sept pays, désormais opérationnel et en attente d’abondement, sera l’un des enjeux africains majeurs de la COP 26 de Glasgow.
Reste à résoudre une question de fond : s’il est acquis que l’industrialisation, source de croissance, est intimement couplée à la dégradation de l’environnement et à l’émission de gaz à effet de serre et que l’Afrique a un besoin vital d’y accéder pour améliorer le niveau de vie de ses populations, que faut-il faire pour résoudre ce dilemme ? Exiger des Africains, comme le font certaines ONG intégristes, qu’ils ralentissent leur développement, juste pour aider le monde à respirer ? Ce serait profondément immoral.
« Leapfrogging »
Les pays riches le sont devenus précisément parce qu’ils sont passés par une phase d’industrialisation, avant de se rendre compte qu’ils menaient la planète à la catastrophe climatique. Se passer des énergies fossiles et avoir recours aux énergies propres, telles que le solaire et l’éolien ? Envisageable, sauf qu’un tel « leapfrogging » demande du temps, beaucoup d’argent et que l’Afrique ne dispose ni de l’un ni de l’autre.
Une chose est sûre : si les gros pollueurs – Chine, États-Unis, Europe, Russie, Australie… – espèrent que l’Afrique accepte de rester pauvre pour le bien du reste de l’humanité, ils risquent fort d’être déçus. D’une manière ou d’une autre, à moins d’attendre que le prochain rapport du Giec se borne à constater que le globe terrestre est devenu invivable, ils devront payer. Bien au-delà des 100 milliards de dollars annuels promis depuis 2009 pour dédommager les pays victimes de leur propre irresponsabilité. Et jamais versés depuis.
François Soudan, Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.