Les chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont coordonné une étude internationale qui révèle la composition des forêts tropicales d’Afrique centrale et leur vulnérabilité à l’augmentation des pressions climatiques et humaines attendues dans les prochaines décennies. Grâce à l’utilisation d’un jeu de données exceptionnel – portant sur l’inventaire de plus de 6 millions d’arbres répartis dans cinq pays – les chercheurs ont réalisé les premières cartes continues de la composition floristique et fonctionnelle de ces forêts, leur permettant d’identifier les massifs les plus vulnérables. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature le 21 avril 2021.
Rappelons que l’Afrique centrale abrite le second massif de forêt dense tropicale humide au monde. Ce réservoir majeur de biodiversité s’étend principalement sur cinq pays : Cameroun, Gabon, République du Congo, République démocratique du Congo et République Centrafricaine. Il procure de nombreux services écosystémiques, comme la régulation des cycles d’échanges entre la terre et l’atmosphère, et contribue à garantir la sécurité alimentaire des populations locales. Du fait des menaces climatiques et de la pression démographique attendues à la fin du XXIe siècle en Afrique, protéger et assurer une gestion durable de ces forêts reste un défi pour les décideurs. Cela nécessite d’améliorer les connaissances sur ces écosystèmes, notamment sur leur composition et leur vulnérabilité aux changements en cours.
Dans cette étude, les chercheurs ont collaboré avec des bureaux d’études et des concessionnaires forestiers afin de rassembler un jeu de données d’inventaire sans précédent de 6 millions d’arbres dans plus de 185 000 parcelles de terrain. Ils ont d’abord modélisé et cartographié les compositions floristique et fonctionnelle des forêts d’Afrique centrale et en ont déduit leur vulnérabilité, en tenant compte des scénarios climatiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et des projections démographiques des Nations Unies attendues à la fin du siècle.
De l’avis de Maxime Réjou-Méchain, écologue à l’IRD et premier auteur de l’étude, « le massif forestier d’Afrique centrale est loin d’être un tapis vert homogène. Il présente une grande diversité de types de forêts qui possèdent des caractéristiques différentes, notamment une capacité propre à stocker du carbone ». « Cette diversité s’explique par les différents types de climats (humidité, température, taux d’évapotranspiration, quantité de pluies), de sols, par l’histoire de la flore africaine mais aussi par l’ampleur des activités humaines qui perturbent les forêts depuis des millénaires, comme l’agriculture itinérante », a-t-il encore relevé.
Dans leur travaux, les chercheurs ont ensuite montré que certaines zones pourraient être plus sensibles aux changements globaux que d’autres. « Les marges forestières du Nord et du Sud de la région, les forêts atlantiques et la plupart de celles de la République Démocratique du Congo, pays qui englobe plus de la moitié des forêts d’Afrique centrale, comptent parmi les plus vulnérables », a expliqué le Pr. Bonaventure Sonké, botaniste à l’Université de Yaoundé 1 et co-auteur de l’étude.
Les experts ont également invité à améliorer les stratégies d’adaptation aux changements globaux. C’est dans cette perspective que les cartes et données utilisées pour cette étude, accessibles en ligne sur l’entrepôt de données du CIRAD, fournissent des informations utiles pour les scientifiques sur le fonctionnement des forêts, leurs dynamiques et leur potentiel de stockage du carbone.
Gradient de vulnérabilité des forêts d’Afrique centrale au changement climatique et à l’augmentation de la pression humaine à l’horizon 2085.
Les zones en magenta sont les plus vulnérables au changement climatique et à la pression humaine ; les zones vertes les moins vulnérables aux deux phénomènes ; les zones bleues sont très vulnérables au changement climatique et peu vulnérables aux pressions humaines, et inversement pour les zones oranges.
Suffisant pour le Pr. Alfred Ngomanda, écologue au CENAREST (Gabon) et co-auteur de l’étude de soutenir que « la diversité des types de forêts d’Afrique centrale offre un large panel de réponses potentielles aux changement globaux. Elle est donc essentielle à prendre en compte dans le cadre des politiques de gestion durable et de lutte contre le réchauffement climatique ».
Pour le conclut Sylvie Gourlet-Fleury, écologue forestière au CIRAD, l’une des principales coordinatrices de l’étude, « ces résultats doivent maintenant être utilisés, valorisés et appliqués afin d’élaborer des plans d’utilisation des terres qui préservent les caractéristiques des forêts tout en maintenant des connexions entre des zones protégées, grâce à des forêts de production de bois d’œuvre gérées durablement. Là où la pression humaine est trop forte, les gestionnaires auraient la possibilité de rétablir ces connexions grâce à des programmes de restauration de la biodiversité ou de développement de l’agroforesterie ».
Moctar FICOU / VivAfrik