Par Merveille Kavira Lungehe
Armés de leurs haches, des exploitants forestiers en RD Congo se sont attaqués au « deuxième poumon » de la planète, et les effets écologiques perturbent l’agriculture locale.
Katwa (République Démocratique du Congo) : C’est en décembre dernier, dans un après-midi ordinaire, et une demi-douzaine d’exploitants forestiers de Katwa, village du territoire de Lubero dans l’est de la RD Congo, se balancent et chantent dans la forêt. Non loin d’eux, des éleveurs gardent moutons et chèvres. On entend le vrombissement des tronçonneuses. Et le retentissement des coups de hache aussi. Des arbres s’écrasent au sol.
Des exploitants forestiers sont occupés à empiler le bois qui finira sous forme de charbon de bois, de planches et de bois de chauffage. En apparence, ils ne font que gagner leur croûte. Pourtant, le fait par eux de dépouiller cette forêt de ses arbres entraîne aussi l’accélération du changement climatique et met des bâtons dans les roues des agriculteurs et d’autres êtres humains qui sont tributaires de la situation climatique pour leur subsistance.
Des scènes de ce genre se retrouvent partout dans ce vaste pays. Jadis considérée comme « le deuxième poumon de la planète » grâce à l’immensité de ses forêts tropicales, la RD Congo se retrouve de plus en plus ravagée par la déforestation.
Selon Kasereka Kopokopo, agriculteur âgé de 38 ans, les saisons culturales – autrefois prévisibles – se sont éclipsées face au changement climatique à Katwa et dans ses environs, ce qui s’est traduit par une faible production agricole qui, à son tour, a entraîné dans son sillage une hausse des prix des denrées alimentaires.
Chaque saison, confie-t-il, il récoltait 100 kilos de haricots sur son champ. Aujourd’hui, il ne récolte que 30 kilos.
« La prolongation, tantôt de la saison pluvieuse, tantôt de la saison sèche nous plonge dans une confusion », s’alarme ce père de cinq enfants. « Nous ne savons plus la période exacte de semis ».
En RD Congo, les forêts couvrent environ 49% de la superficie du pays. Pays le plus diversifié du continent sur le plan de la biodiversité, la RD Congo est également le pays où se niche plus de la moitié des forêts tropicales d’Afrique.
Dans ces forêts, on y trouve 1 150 espèces d’oiseaux, ainsi que plus de 3 200 types d’animaux qui ne sont présents qu’en RD Congo, allant de l’okapi – proche parent de la girafe –, au bonobo, un type de chimpanzé.
Au cours des 25 dernières années, la déforestation s’est grandement accélérée dans le pays. Ses forêts ont décru de plus de 300 000 hectares par an et, de l’avis des experts, ce chiffre ne cesse d’augmenter, selon l’Association Technique Internationale des Bois Tropicaux (ATIBT)
Cela est dû, entre autres causes, aux incendies de forêt et à la culture sur brûlis, auxquelles s’ajoutent la production de charbon de bois, l’élevage de bétail et l’exploitation forestière à petite échelle, souvent illégale.
Il y a vingt ans, le territoire de Lubero, dans la province du Nord-Kivu, était connu pour ses forêts et ses terres boisées. Certaines de ces aires ont laissé place à des fermes et exploitations agricoles, tandis que certaines terres forestières sont aujourd’hui parsemées de rangées de souches d’arbres.
De petits exploitants forestiers ont envahi la région et le prix du bois a augmenté, passant de son niveau d’entre 2 et 5 dollars pour s’établir entre 10 et 100 dollars. Cela a attiré encore plus d’exploitants forestiers. Et plus la valeur du bois augmentait, plus la forêt se faisait dépouiller de ses arbres.
La déforestation s’en est suivie, ce qui veut dire que les arbres n’étaient plus là pour absorber le dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre connu pour être l’une des principales causes du changement climatique. Au cours de la dernière décennie, affirme l’écologiste Kasereka Wasakundi, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté, car la déforestation n’a pratiquement pas été contrôlée, malgré les réglementations en vigueur en RD Congo.
Selon Wasakundi, la déforestation pourrait représenter jusqu’à 70 % des perturbations des saisons culturales en RD Congo.
« La prolongation, tantôt de la saison pluvieuse, tantôt de la saison sèche nous plonge dans une confusion. Nous ne savons plus la période exacte de semis », déplore Kasereka Kopokopo, agriculteur.
Muhindo Lule Matthieu, bourgmestre de la commune de Kirumba, située à quelques encablures de Katwa, affirme qu’il ne cesse de prévenir la population locale – en particulier les exploitants forestiers – des dangers de la déforestation. Il en appelle aux gens de se soumettre au devoir de planter au moins un arbre pour chaque arbre coupé.
« Nous ne supporterons pas les conséquences » de la déforestation, avoue Matthieu. « Beaucoup de gens ne comprennent pas, mais nous ne pouvons pas nous lasser de les sensibiliser ».
Autrefois, confie l’agronome Kakule Kwiravusa Jérémie, les saisons des pluies duraient de février à mars et d’août à octobre. « Aujourd’hui, il arrive que l’on ait des mois de grande sècheresse. La période de la saison pluvieuse et celle de la sécheresse ne sont plus distinctes ».
Le haricot et le maïs ont été le plus durement affectés. Marceline Kavira, 37 ans, cultive des haricots, du manioc et des pommes. À l’en croire, elle avait l’habitude de produire 45 kilos de haricots par saison, mais au cours de chacune des deux dernières années, elle n’en a récolté que 6 kilos.
En d’autres termes, les consommateurs paient plus cher pour avoir des denrées alimentaires de base. Muhindo Mboghoto Ezéchias, enseignant âgé de 30 ans, explique que 1,5 kilo de haricots s’achetait à 600 francs congolais. Aujourd’hui, il coûte entre 1 500 et 2 500 francs, « selon les caprices des saisons ».
Les exploitants forestiers, eux, ont des avis ambivalents. Autrefois agriculteur, Musubaho Wandavakuti, 37 ans, affirme que l’exploitation forestière lui permet de subvenir aux besoins de sa femme et de ses quatre enfants. Mais cela n’est pas sans inconvénient.
« Nous trouvons que [l’exploitation forestière] est bénéfique », témoigne-t-il. « Nous gagnons du charbon de bois, des planches et du bois de chauffage. C’est ça notre vie ».
Néanmoins, ajoute-t-il, « l’abattage des arbres peut nous conduire à la désertification, au manque d’oxygène et à l’extinction des arbres et des animaux ».
Kopokopo possède près d’un demi-hectare à Katwa, mais – selon ses dires – il a des champs ailleurs, sur lesquels il fait pousser d’autres cultures comme le manioc, ce qui lui permet de rester dans l’agriculture. Dans l’ensemble, élude-t-il, les agriculteurs se sentent pourtant impuissants.
« Que les agronomes nous apprennent comment nous adapter à cette perturbation saisonnière », dit-il, « avant que les choses ne s’aggravent ».
Merveille Kavira Lungehe est journaliste à Global Press Journal. Elle vit à Kirumba, en République démocratique du Congo. Merveille est spécialiste des reportages sur les migrations et les droits de la personne.