Saviez-vous qu’il y a un glacier entre la RDC et l’Ouganda, et qu’il fond dangereusement ?

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Par Pablo Uchoa                                            

Ronah Masika se souvient de l’époque où elle pouvait encore voir les sommets enneigés des montagnes du Rwenzori, un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, à la frontière entre l’Ouganda et la République démocratique du Congo.

La vue était époustouflante chaque fois qu’elle se rendait de chez elle, dans la ville de Kasese, à la capitale ougandaise, Kampala – et ce n’était même pas si loin. Mais aujourd’hui, elle ne peut même plus l’apercevoir, car le glacier recule. Et ce n’est pas seulement la vue qui a changé.

Mlle Masika se souvient que sa grand-mère avait l’habitude de cultiver des haricots pour nourrir sa famille, et qu’ils duraient jusqu’à ce qu’une nouvelle récolte soit prête.

« Maintenant, moi et d’autres personnes avons du mal à subvenir à nos besoins avec ce que nous plantons chez nous, car tout est détruit par les inondations ou la sécheresse. Il y a soit trop de sécheresse, soit trop de pluie ».

« Cela me met mal à l’aise de penser à la façon dont la prochaine génération va survivre à cette horrible situation », explique Mlle Masika, qui travaille désormais sur un projet visant à atténuer l’impact du changement de l’environnement.

Le changement climatique affecte les monts Rwenzori de différentes manières. La plus visible est la perte rapide du champ de glace, qui est passé de 6,5 km2 en 1906 à moins d’un km2 en 2003, et qui pourrait disparaître complètement avant la fin de cette décennie, selon les recherches.

En 2012, des feux de forêt ont atteint des altitudes supérieures à 4 000 m, ce qui aurait été inconcevable par le passé, dévastant la végétation qui contrôlait le débit des rivières en aval.

Depuis lors, les communautés vivant au pied du Rwenzori ont subi certaines des inondations les plus destructrices que la région ait jamais connues, associées à un schéma de précipitations moins fréquentes mais plus abondantes.

En mai de l’année dernière, cinq rivières locales sont sorties de leur lit après de fortes pluies. Les eaux ont dévalé la montagne en transportant de gros blocs rocheux, balayant des maisons et des écoles et rasant toute la ville de Kalembe.

Environ 25 000 maisons ont été détruites et 173 000 personnes ont été touchées.

Si la science peut fournir une explication à ces événements, la culture locale Bakonzo a une autre façon de les appréhender : selon leurs croyances, ils se produisent parce que les dieux sont en colère.

« Les Bakonzo sont très attachés à la neige et à l’eau », explique Simon Musasizi, responsable de programme à la Cross-Cultural Foundation of Uganda (CCFU) (Fondation interculturelle de l’Ouganda).

« Ils croient que leur dieu, Kithasamba, vit dans la neige, et que la neige est en fait le sperme congelé de leur dieu ».

Le nom Rwenzori vient de « rwe nzururu », qui signifie « lieu de la neige » dans la langue Bakonzo. Selon la cosmologie bakonzo, 30 dieux associés à différentes ressources naturelles vivent sur la montagne.

Mais la déforestation et la croissance rapide de la population autour de la montagne sacrée, ainsi que la fonte du glacier, changent la donne.

Lors des inondations de l’année dernière, l’eau a submergé les sources chaudes et emporté la végétation autour d’une chute d’eau qui servait de lieu de rituels. Depuis lors, les chefs spirituels n’ont pas été en mesure d’accomplir ces cérémonies.

D’autres sites spirituels sont érodés ou remplis de limon et la destruction de la végétation a affaibli les berges dans de nombreuses régions. Tout cela menace des rituels séculaires. « Il est fort probable que nombre de ces coutumes vont progressivement se raréfier ou qu’elles n’auront plus lieu, car tout est en train de changer », explique M. Musasizi.

La communauté Bakonzo est composée d’environ un million de personnes vivant de part et d’autre de la frontière entre l’Ouganda et la RD Congo, et leur patrimoine pourrait être perdu en raison du changement climatique.

« Les conséquences du changement climatique sont particulièrement aiguës sous les tropiques », explique Richard Taylor, géographe à l’University College de Londres, qui a dirigé des recherches sur les monts Rwenzori.

« Un ou deux degrés de réchauffement à l’équateur ont un impact bien plus important sur le climat et les bilans hydriques qu’un ou deux degrés de réchauffement à Londres, Paris ou New York ».

L’intensification des régimes climatiques observée dans les montagnes se produit dans l’ensemble des tropiques.

Le professeur Taylor, qui a codirigé les expéditions menées de 2003 à 2007 pour mesurer les changements survenus dans les glaciers du Rwenzori, affirme que la disparition des champs de glace dans les tropiques est un signal révélateur du réchauffement climatique.

La restauration et la protection des zones touchées par le changement climatique sont également essentielles à la préservation du patrimoine culturel.

Dans le cadre d’un projet à cet effet, M. Musasizi explique qu’un accord a été conclu avec la communauté sur les arbres à planter pour renforcer au mieux les berges de la rivière, notamment des bambous et des arbres indigènes.

Mlle Masika, dont le travail consiste à assurer la liaison avec la population locale, affirme que la communauté avait déjà des réponses à certains problèmes.

« Par exemple, ils savent quel type de végétation doit être planté à quel niveau sur la montagne. Ils savent quels végétaux sont assez résistants pour être plantés le long de la rivière afin d’arrêter les inondations », dit-elle.

« Ils savent qu’ils sont censés planter le long de la rivière parce que c’est de la nourriture pour le dieu de l’eau. Et quand le dieu de l’eau va bien, il ne provoque pas d’inondations », poursuit-elle.

« Le changement climatique est compris dans la culture, et ils ont quelques suggestions qui peuvent nous aider à atténuer cette situation », explique Mlle Masika.

Les leçons sont partagées avec d’autres institutions travaillant à la protection du patrimoine culturel contre le changement climatique, principalement en Afrique de l’Est et du Nord et au Moyen-Orient.

Trouver des solutions qui soulignent le lien étroit entre la culture Bakonzo et l’environnement naturel a été une surprise pour Mlle Masika, qui a grandi dans un foyer chrétien où l’on en parlait peu.

Aujourd’hui, l’un de ses endroits préférés est les sources chaudes d’Embugha ou Rwagimba, dont les Bakonzo pensent qu’elles ont des pouvoirs de guérison physique et spirituelle, notamment pour les maladies de la peau.

« Lorsque nous avons commencé ce projet, ma peau me grattait partout. Mais chaque fois que je visitais les sources, je m’assurais de me baigner dans l’eau », dit-elle.

« Il fait tellement chaud quand vous vous asseyez là, que vous avez l’impression de brûler. Puis vous allez à la rivière, qui se trouve juste à côté de la piscine chaude, et l’eau est si froide que vous avez l’impression de geler », raconte-t-elle.

« Au moment où vous partez, votre corps se sent léger, et depuis, je ne ressens plus de démangeaisons », dit-elle.

Pablo Uchoa, Journalisteà laBBC World Service                           

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