Défi. L’initiative africaine pour lutter contre la désertification du Sahel pourrait bénéficier d’un soutien financier à l’issue du sommet sur la biodiversité, à Paris.
Si la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur des faiblesses structurelles du continent africain, elle a aussi démontré ces derniers mois les capacités de résilience d’un secteur clé pour des millions d’Africains : l’agriculture. Le pari était loin d’être gagné au mois de mars dernier, lorsque les premiers cas gagnaient le continent africain. Et, comme dans d’autres domaines, l’Afrique n’a pas affronté la crise de la même manière. Les inquiétudes quant à une famine des populations sont montées dès la décision prise par plusieurs dirigeants de la fermeture des frontières. La manière dont l’Afrique a finalement résisté explique pourquoi ce secteur fait l’objet de toutes les attentions. Alors que s’ouvre ce lundi 11 janvier 2021 à Paris une nouvelle édition du One Planet Summit, tous ces acteurs du secteur font montre de résistance et d’optimisme. En prime, c’est bien un projet africain majeur, la Grande Muraille verte, qui est au cœur de cette rencontre internationale organisée en concertation avec les Nations unies et la Banque mondiale. « En quinze ans, l’initiative de la Grande Muraille verte a connu des hauts et des bas », reconnaît Emmanuel Macron à l’ouverture des débats et avant le début du sommet consacré à la biodiversité, avec pour objectif de relancer une diplomatie verte mise à l’arrêt par le Covid-19.
Grande Muraille verte, des hauts et des bas aussi
On parle de ce projet pharaonique – qui consiste à planter en plein désert du Sahara et d’ouest en est une barrière d’arbres et de végétaux de 15 kilomètres de large sur plus de 7 000 kilomètres de long – depuis 1952. Mais, depuis son lancement en 2007, l’initiative se heurte au problème du financement. D’après le premier rapport d’évaluation commandé par la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et publié en septembre dernier, seulement 4 millions d’hectares ont été aménagés sur les 100 millions visés d’ici à 2030. Les auteurs de pointer que « les agences de la Grande Muraille verte prévues dans chaque pays ne se matérialisent pas encore », ainsi que les divergences persistantes entre les bailleurs de fonds et les États. Une agence panafricaine de la Grande Muraille verte a bien été installée à Nouakchott, avec pour mission de coordonner les avancées dans les différents pays. La volonté politique ne manque pas autour de ce projet, car tous les pays menacés par l’avancée du Sahara, qui accentue les conflits de toutes sortes, en particulier la migration des populations, ont rejoint l’Union africaine dans cette organisation commune. Preuve que le problème est financier, selon elle, seuls 200 millions de dollars, soit 170 millions d’euros, ont été mobilisés depuis le début de l’initiative, dont 150 millions de dollars provenant de financements extérieurs, le reste étant pris en charge par les États eux-mêmes.
Comment aller plus loin ?
Aujourd’hui, il est question, à l’initiative de la France, de recueillir de nouveaux engagements financiers, à hauteur de 10 milliards de dollars, en faveur de ce programme multidimensionnel. Car, au-delà de créer une oasis en plein désert, ce projet pourrait aider le Sahel à résoudre l’équation sécuritaire qui menace toute la sous-région. « Depuis l’accord de Paris (de 2015) et avec les initiatives que prend la France, il y a un nouveau momentum, des 11 pays eux-mêmes comme de la communauté internationale, pour faire une vraie différence d’ici à 2030 », explique à l’AFP Gilbert Houngbo, président du Fonds international de développement agricole (Fida), agence spécialisée des Nations unies. « Ce n’est pas uniquement une question de verdir le désert, même si c’est évidemment le point de départ, poursuit cet ancien Premier ministre du Togo. C’est aussi une approche globale. Il s’agit de créer des infrastructures propres et durables, telles que l’énergie solaire, et de les utiliser pour les populations rurales. De créer de l’emploi en augmentant la production agricole, en la rendant plus concurrentielle à moindre coût. De contribuer ainsi à la sécurité alimentaire et que les producteurs aient la capacité d’améliorer leurs revenus afin de mieux faire vivre leurs familles. » Le Fida veut mettre un demi-milliard de dollars supplémentaire sur la table d’ici à 2030 sous la forme de prêts concessionnels et de dons. L’idée derrière est de mobiliser le maximum de ressources sur le terrain pour des projets concrets. L’intérêt de la France pour ce projet n’est pas nouveau, mais il s’est renforcé ces dernières années alors que Paris veut trouver des leviers socio-économiques pour stabiliser le Sahel et réduire son engagement militaire. La France veut également pousser à la création d’un « mini-secrétariat auprès de la Convention des Nations unies de lutte contre la désertification ». Objectif : permettre de s’assurer que ces fonds seront utilisés en toute transparence et que « les promesses faites lors de l’OPS seront suivies dans la durée ».
Remobiliser les chaînes de valeur agricoles du Sahel
Une première étape est le lancement de « l’initiative agroécologie Afrique », ou I AM Africa (International Agroecological Movement for Africa, NDLR), par le président français, Emmanuel Macron, son homologue mauritanien Mohamed Ould Ghazouani et le prince Charles. De grands noms du monde des affaires comme Geocoton ou CFAO se sont également mobilisés. En effet, à cause des changements induits par la crise sanitaire, l’agriculture africaine a le vent en poupe et draine de nouveau les investissements.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, face à la fermeture des frontières, à la baisse du pouvoir d’achat dans les zones urbaines, aux fortes perturbations sur le marché international des matières premières, la main-d’œuvre agricole a été généralement moins affectée par le virus et très peu impactée par les restrictions de circulation. Du coup, la forte demande de produits alimentaires des villes a constitué une incitation à l’augmentation et à l’écoulement des productions locales. De bonnes raisons de faire de l’agriculture l’un des leviers de développement du continent. « À ce titre, un changement de paradigme apparaît indispensable », lit-on dans un communiqué publié par la coalition I AM Africa ce lundi. « L’objectif des signataires, à travers leur engagement à déployer cette approche en Afrique de manière générale, est de participer à la promotion d’une stratégie combinant développement social, environnemental et économique au service de la prospérité́ mais aussi de la préservation de la biodiversité́ et, plus généralement, de la stabilité́ du continent », précise Karim Ait Talb, cofondateur de l’initiative et directeur général adjoint du groupe Advens-Geocoton. D’ici à la fin de l’année, l’initiative sera dotée d’un fonds dédié, qui sera abondé par diverses sources avant de véritablement accélérer ses projets au sein de cette Grande Muraille verte, qui pourrait, à moyen terme, changer la face du Sahara.
lepoint.fr