Par Jacques Deveaux
Les tourbières du bassin du Congo piègent des milliards de tonnes de carbone. Leur disparition accentuerait les dérèglements climatiques en relâchant dans l’atmosphère dix mille ans de l’histoire de la planète.
C’est une des plus vastes zones de forêts marécageuses au monde. La dépression de la Cuvette centrale du Congo s’étend sur un million de km² dans cette région d’Afrique où le fleuve Congo, au sortir de sa grande boucle, entame sa course vers le Sud-Ouest et reçoit son principal affluent l’Oubangui.
La région connaît des précipitations abondantes propices au développement d’une forêt tropicale, deuxième massif forestier de ce type sur la planète après l’Amazonie. Une zone marécageuse s’y est développée, facilitée par le faible dénivelé : sur 1 700 km, le fleuve Congo ne descend que de 115 mètres en altitude.
C’est dans cet environnement que depuis dix mille ans, les tourbières se sont constituées. Les sols tourbeux se forment de la décomposition partielle de la matière organique végétale, dans un milieu faible en oxygène et saturé d’eau.
Les scientifiques pensaient les tourbières surtout cantonnées aux zones septentrionales, où les températures basses ralentissent la décomposition. Mais une étude a bouleversé ces connaissances.
Expédition au cœur des marais
En 2014, des chercheurs de l’Université britannique de Leeds mènent une prospection au cœur de la cuvette centrale, dans la zone marécageuse coincée entre l’Oubangui et une rivière au nom évocateur, la Likouala-aux-herbes. 40 000 km² de terrain à arpenter, où les rivières couvertes de sphaignes se frayent péniblement un chemin de méandres en méandres.
Sur 30 km, au cœur du marais, les chercheurs extraient plus d’une centaine d’échantillons de tourbe. La couche est bien plus épaisse que prévue. Par endroit, elle atteint presque six mètres de profondeur. Sa répartition est aussi une surprise. « Nous savons que la tourbe est présente sur environ 40% de toute l’étendue des terres humides de la Cuvette centrale », assurent les scientifiques de l’expédition.
Or, la tourbe est un piège à carbone, conservant ce que les arbres ont relaché à leur mort. Elle est utilisée comme combustible dans plusieurs régions de la planète, comme en Finlande, où elle recouvre le tiers du territoire. Le pays scandinave envisage aujourd’hui l’abandon de son usage. Car en brûlant, la tourbe rejette énormément de carbone, pour un rendement énergétique très faible.
Des milliards de tonnes de carbone piégées
Retour au Congo. Après des analyses sur la teneur en carbone des échantillons extraits, les chercheurs découvrent le potentiel de cette zone : la tourbe est un formidable réservoir. « Nous estimons qu’en termes de carbone, la tourbe de la Cuvette centrale en renferme 30,6 milliards de tonnes », assurent-ils. Soit autant que toute la forêt du bassin du Congo.
Une découverte qui est aussi une alerte. En aucun cas la tourbe de la cuvette centrale ne doit disparaître et relâcher ce qu’elle a emprisonné. Or les menaces sont multiples.
Une menace potentielle
La première serait liée au réchauffement climatique, notamment à cause du dérèglement des précipitations. Moins de pluie conduirait à l’assèchement de cette zone de marais. Découverte, la tourbe pourrait alors poursuivre sa décomposition. Pire, elle peut prendre feu, notamment lors d’orages. Des feux qui couvent, hors de contrôle. La seconde menace est humaine. Son intervention dans cette zone peut rompre un équilibre biologique vieux de milliers d’années. En premier lieu, on pense à la déforestation qui semble ne connaître aucune limite sur le continent. On annonce également la découverte d’un important gisement de pétrole dans la région. Même si l’ampleur de la nappe pétrolière laisse sceptique, que les autorités congolaises réaffirment leur souci de préserver les lieux, ces projets d’exploitation pétrolière font craindre un avenir incertain pour les tourbières.