Éditorial de Fabrice Bonnifet – Cinq ans après son adoption (Ndlr : 3 décembre 2015) lors de la COP21, où en est l’accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique ? Fabrice Bonnifet, président du C3D, le collège des directeurs du développement durable, dresse un bilan peu reluisant et appelle à « inventer la prospérité sans carbone ».
Il y aura 5 ans jour pour jour le 12 décembre prochain, les chefs d’État du monde entier s’embrassaient (quelle belle époque !) et se congratulaient joyeusement pour fêter la signature de l’accord de Paris. D’un bref coup de marteau sur son pupitre, Laurent Fabius, le président de cette conférence historique sur le climat, avait scellé les conditions et la trajectoire pour éviter à la planète de devenir une étuve – avec nous dedans.
Exercice de haute voltige à l’époque, obtenu à l’arrachée, que reste-t-il de cet accord ? Seuls une vingtaine de pays sur les 197 signataires ont défini un plan d’action climatique permettant d’honorer leurs engagements. Et définir un plan d’action ne signifie pas le mettre en œuvre dans la durée. La France ne fait clairement pas partie des pays leaders dans ce domaine : nos émissions de gaz à effet de serre (GES) continuent gentiment de croître, notamment du fait des importations. Notre stratégie à nous semble consister à créer des instances de réflexion (Haut Conseil pour le climat, Convention citoyenne pour le climat, Conseil de défense écologique)… pour réfléchir longtemps justement, avant de ne rien faire. Comme si nous ne savions pas depuis longtemps ce qu’il convient de faire précisément.
Lorsque Donald Trump a décidé de sortir les USA de cet accord, le monde entier s’en est ému, mais dans les faits, qu’est-ce-qui est le plus cohérent ? Signer l’accord et ne pas le respecter ou se retirer pour respecter sa parole électorale ? Ironie du sort dans cette histoire, ce sont les Américains qui figurent dans le club des moins mauvais parmi les mauvais élèves en matière de décarbonation de leur mix énergétique pour produire de l’électricité. Mais à l’insu de leur plein gré : les émissions globales de GES des USA ont baissé ces dernières années, non pas grâce à une prise de conscience de leurs décideurs, mais parce que nombre de leurs centrales à charbon, peu rentables, ont été remplacées par des centrales fonctionnant au gaz de schiste, qui est légèrement moins émissif et moins onéreux à extraire.
C’est bien l’équivalent d’un Covid tous les ans jusqu’en 2080 (soit – 5%/an) de diminution des émissions de CO2 qu’il faudrait réaliser), conseille Fabrice Bonnifet.
Nous savons pourquoi il est si difficile de respecter cet accord dont l’objectif est pourtant désormais vital à court terme pour l’humanité. Et non, aucun politique n’a trouvé la recette de la croissance infinie dans un monde qui va devoir faire décroître sa consommation d’énergie carbonée de 80% en 30 ans, avec un mix énergétique mondiale composé à plus de 80% d’énergie carbonée. Continuer de faire croire que les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en tout domaine vont pouvoir compenser la décroissance indispensable dans l’utilisation des énergies fossiles est une imposture.
Rappelons que c’est bien l’équivalent d’un Covid tous les ans jusqu’en 2080 (soit – 5%/an) de diminution des émissions de CO2 qu’il faudrait réaliser, si nous souhaitons maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2°. Rappelons également que les énergies renouvelables aujourd’hui ne se substituent pas aux énergies fossiles, elles s’empilent ! Rappelons enfin que l’efficacité énergétique ne réduit pas la consommation d’énergie globale en valeur absolue, car l’énergie économisée par l’intermédiaire d’une technologie plus efficace (la 5G par exemple, via certains usages qu’elle facilite, comme les objets connectés visant à optimiser l’offre et la demande énergétique) est immédiatement utilisée ailleurs ou compensée par un flux plus important, qui finit par consommer plus que l’ancienne version. La 5G, pour poursuivre l’exemple, permet ainsi un téléchargement toujours plus rapide de vidéos en tout genre, la demande étant appelée à grandir avec le potentiel technologique disponible.
L’illusion d’une croissance infinie
Alors, on fait quoi en attendant que la baisse inéluctable des stocks fossiles finissent par nous sevrer de notre addiction au carbone ? En ce qui concerne le pétrole, la baisse a déjà commencé : après le sursis éphémère des pétroles de schistes, l’humanité a démarré son toboggan vers le dernier baril ! Les effets sur son prix ne se sont pas encore manifestés du fait de la crise économique liée à la pandémie et à la gestion des stocks stratégiques, mais une demande en hausse constante en sortie de crise sanitaire, combinée à une offre en déplétion vont forcément créer tôt ou tard des tensions sur les prix.
En ce qui concerne les réserves prouvées de charbon et de gaz, il y en a beaucoup plus que le budget carbone qu’il nous reste à émettre pour limiter la dérive climatique. En conséquence, l’essentiel des stocks restant doivent rester là où ils sont. Il va donc falloir inventer une prospérité sous contrainte et donc sans croissance de flux physiques, c’est-à-dire avec beaucoup moins d’énergie pour nourrir nos machines. Les « gens éveillés » comprendront rapidement que générer de l’activité avec moins 5% de CO2 à émettre tous les ans revient à faire baisser le PIB du même ordre ou presque ! Et cela explique pourquoi les décideurs politiques n’agissent pas, leur logiciel de pensée ayant été configuré avec l’illusion d’une croissance infinie, dont on sait qu’elle est irréaliste. Prétendre le contraire signifie, au choix, ni plus ni moins, une incroyable mauvaise foi, une incompétence notoire en sciences économiques, une lacune grave en arithmétique de base ou une crédulité puérile dans la capacité à croire que la technologie va nous sauver…
L’écologie « punitive » est-elle vraiment punitive ?
Croyons-nous donc collectivement au père Noël ? Alors même que nous ne savons toujours pas faire repousser les cheveux des chauves et qu’un coronavirus est parvenu à désorganiser un système économique mondial à bout de souffle et prédateur du vivant, qui ne survit que grâce à l’argent magique des dettes. Pour combien de temps ? Réveillons-nous, le temps presse et inventons la prospérité sans carbone !