Changements climatiques : le Sénégal doit « s’attendre à une fréquence plus accrue des phénomènes extrêmes », alerte le Dr Cheikh Tidiane Wade

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Propos recueillis par Moctar FICOU

L’Enseignant-chercheur au Département de Géographie ; U.F.R. Sciences et Technologies de l’Université Assane Seck de Ziguinchor, le Dr Cheikh Tidiane Wade a passé en revue la problématique du changement climatique au Sénégal. L’expert qui a une longue expérience dans le développement, a, dans une interview accordée à VivAfrik, indiqué que notre pays « devra s’attendre à une fréquence plus accrue des phénomènes extrêmes des Changements climatiques, imprévisibles et difficilement maitrisables avec des risques de dommages assez élevés ». Il a, en outre, mis en exergue les effets négatifs des changements climatiques sur l’agriculture, l’élevage et pluviométrie au Sénégal.  

Comment percevez-vous la problématique du changement climatique au Sénégal ?

Le Sénégal est considéré comme un pays doublement vulnérable aux effets des changements climatiques avec la baisse de la pluviométrie et l’érosion côtière ce qui aura des impacts du fait de la fragilité des économies. Pour autant, il est encore délicat d’évaluer l’ampleur et la nature des changements à l’avenir, en particulier pour ce qui concerne les précipitations. Il faut souvent voir le contexte dans une perspective régionale. En effet, l’évolution des températures en Afrique de l’Ouest et plus spécifiquement au Sahel est marquée par une augmentation de 0,2 à 0,8°C depuis la fin des années 1970. Au niveau du Sénégal, le cycle annuel des températures est bimodal avec deux maxima, le premier en mars-avril, le second en septembre-octobre. Entre 1960 et 2010, l’accroissement de la température est réel pour l’ensemble des stations du pays, avec un accroissement moyen de 1,6°C avec des variations régionales selon les zones climatiques. La hausse des températures devrait varier entre 3°C en 2031-2050 et 8,5°C en 2081-2100 si on considère le scénario d’émissions de gaz à effet de serre ; La réponse des précipitations face à cette hausse des températures va différer en amplitude d’une région à l’autre. Par exemple, la baisse des précipitations va s’accompagner d’une plus grande variabilité interannuelle se traduisant par la succession de plus en plus aléatoire d’années sèches et d’années excédentaires.                     

Pensez-vous que notre pays est sur la bonne voie dans la lutte pour le climat ?

Comme expliqué en haut, le changement climatique est un défi majeur pour notre pays. Même si ses impacts auront des manifestations différentes selon les régions du pays, on devra s’attendre à une fréquence plus accrue des phénomènes extrêmes, imprévisibles et difficilement maitrisables avec des risques de dommages assez élevés. Par conséquent, les mécanismes de financement doivent être améliorés en faveur de l’adaptation, avec une meilleure implication des communautés. De même, les systèmes de planification nationale et locale doivent davantage intégrer la dimension changement climatique dans leur conception. C’est ce qui explique les nombreux projets et programmes, mais l’engagement soutenu par des experts du gouvernent dans le cadre des négociations / activités internationales sur le climat.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales qui cherchent à financer des investissements dans la résilience et l’atteinte des objectifs de développement durable sont confrontées à un certain nombre de contraintes dont : (i) le manque de capacité des autorités locales. En effet, nos territoires doivent souvent faire face à des incertitudes liées à la vie politique, à des systèmes réglementaires qui découragent l’investissement privé et des sénégalais de la diaspora, ainsi qu’à des difficultés dans la planification, le financement et l’exécution des projets. Il est heureux de noter que depuis 2016, le Sénégal travail sur un nouveau guide de planification qui intègre des dimensions transversales dont le changement climatique, la migration, la mobilité et le genre. (ii) le manque de confiance du secteur privé, des partenaires au développement et des sénégalais de la diaspora qui nourrissent souvent des réticences vis-à-vis de l’insuffisance des capacités institutionnelles, des problèmes de gouvernance, des risques de change et du manque de données comparatives pour pouvoir estimer la performance d’in investissement ; (iii) des difficultés liées au manque de personnel qualifié pour la préparation des projets d’adaptation et de résilience. En raison des capacités techniques et du coût initial que nécessitent cette préparation, les villes ne sont en mesure de proposer aux investisseurs qu’un petit nombre de projets de résilience urbaine prêts à être financés.

Aussi, conscient des effets néfastes du changement climatique sur les capitaux naturel et humain, les marchés et les chaînes de valeurs, les moyens d’existence des populations et le cadre de gouvernance, le Sénégal, à l’instar de la communauté internationale, a commencé à élaborer sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN) en 2015. Une fois finalisée, ce document s’articulera le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et le long terme (PSE) et permet aux autorités d’emprunter une nouvelle trajectoire de développement, en vue de relever durablement son potentiel de croissance, en stimulant la créativité et l’initiative privée afin de satisfaire la forte aspiration des populations à un mieux-être. La mise en œuvre du PSE se fait à partir des territoires. C’est la raison pour laquelle, le Sénégal a connu en 2013 l’Acte III de la décentralisation qui vise à la constitution de territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à l’horizon 2022. L’Etat du Sénégal a également lancé son processus de Plan National d’Adaptation en 2015, dans le cadre du Projet d’Appui Scientifique aux processus de Plans Nationaux d’Adaptation (PAS-PNA). Des activités ont permis d’analyser le processus de planification et de budgétisation au Sénégal pour une meilleure prise en compte de l’adaptation au changement climatique aux niveaux national, sectoriel et local.

Quels sont les points d’améliorations ?

A mon avis, le Sénégal doit travailler de manière à assurer une meilleure gestion des connaissances dans le cadre des changements climatiques ; intégrer l’information climatique dans la prise de décision ; travailler au renforcement de capacité des acteurs pour l’élaboration de projets de résilience dans un contexte où, avec l’acte 3 de la décentralisation, les collectivités accèdent difficilement aux financements innovants.

Dans ce contexte de décentralisation, les incertitudes issues des projections climatiques suscitent de redoutables difficultés pour le financement de la planification territoriale et la conception de plans climats territoriaux et de projets liés à la gestion des moyens d’existence. Il s’avère impératif de tenir compte des effets du changement climatique dans les processus de planification au niveau local afin de renforcer la résilience des populations.

Nul ne peut par des effets négatifs des changements climatiques sans évoquer leurs impacts sur l’agriculture, l’élevage et pluviométrie. Parlez-nous de ces impacts.  

L’inégalité face à la gestion du risque climatique apparait comme l’un des déterminants du processus de pauvreté, car elle affecte directement la performance du secteur agricole dont dépend la grande majorité des ménages pauvres dans les zones rurales. La fréquence et les amplitudes des événements extrêmes comme les inondations, les sécheresses fréquentes, graves et prolongées, l’installation tardive des précipitations et l’arrêt précoce sont de plus en plus communs dans la majeure partie du pays.

L’économie est « dominée » par endroits par les activités agricoles qui contribuent, de façon significative, à l’alimentation des populations, à la création de la richesse globale et à la fourniture d’emplois et de revenus. Ainsi, le secteur agricole constitue le principal pourvoyeur d’emplois de la sous-région. Même si une certaine diversification de l’économie rurale a été notée depuis quelques années (transformation des produits agricoles, exploitation minière, artisanat, commerce, transport et tourisme), celle-ci est encore dominée par les exploitations agricoles qui génèrent l’essentiel des revenus de la population rurale. Le Sénégal dispose d’un potentiel important de terres cultivables, y compris les jachères de longue durée, dont seulement une partie est actuellement mis en valeur. Il existe également une grande diversité des écosystèmes ; ce qui est une source potentielle de diversification de la production.

Des études récentes, menées par plusieurs institutions, ont montré qu’en l’absence  d’une bonne politique d’adaptation, les changements climatiques auront des effets négatifs sur les rendements du blé, du soja, du sorgho, et du riz irrigué. Les baisses de productivité varieront de 5 à 20 % selon les cultures, le riz irrigué étant le plus touché.

Aussi, les phénomènes d’acquisitions des terres à grande échelle se multiplient. Mal encadrés, ces phénomènes risquent de générer des conséquences dévastatrices à long terme notamment de plus en plus de risque d’expropriation des petits producteurs, la dégradation des sols, la perturbation des systèmes alimentaires ruraux, la génération de conflits et une nette fragilisation des moyens de subsistance des populations les plus pauvres.

Le sous-secteur de l’élevage est également affecté par les risques climatiques. Il est attendu des différents changements des conditions climatiques « une réduction drastique des pâturages, un déficit du bilan pastoral et fourrager, une détérioration des conditions d’abreuvement » et la recrudescence de maladies animales climato-sensibles. Toutefois, les températures élevées n’affecteraient pas les caprins élevés par les petits fermiers, principalement grâce à leur résistance à la chaleur. La transhumance du bétail devrait également augmenter. Les effets du changement climatique et en particulier la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes affecteront le bétail différemment suivant les années de sécheresse ou  de fortes pluviométries. Durant les années de fortes pluviométries, les effets pervers porteront sur la santé des animaux avec la résurgence de certaines maladies, et les pertes directes d’animaux suite aux inondations. Les expériences dramatiques des fortes pluies hors-saison enregistrées en janvier 2002 au Sénégal, d’une baisse importante et brusque de température avec des minima de 14 °C en moyenne sur les zones concernées, ont décimé plus de 100.000 bovins et ovins. Ces facteurs auront des conséquences importantes sur l’exacerbation des conflits entre exploitants agricoles et éleveurs. La rareté des espaces de pâturages et les contraintes sur les cultures fourragères exerceront des pressions encore plus fortes sur les terres propices à l’agriculture et l’élevage. Ce d’autant plus que le changement climatique modifie la géographie agropastorale et induit à une répartition territoriale glissante des activités productives vers les terres du Sud.

Quelles sont, selon vous, les innovations mises en place au Sénégal pour s’adapter au manque d’eau année après année ?

Aux autorités de répondre, mais je sais que la recherche travaille sur les techniques d’irrigation et la production de variétés adaptées.

La gouvernance des collectivités sans une maîtrise des questions liées à l’eau en quantité et en qualité  ne saurait  conduire efficacement vers la promotion de la résilience territoriale, que si les acteurs directement ou indirectement impliqués ou ciblés sont suffisamment outillés  et donc formés. On peut bien prendre l’exemple de la gestion des forages depuis ces trente dernières années

En l’absence du tapis herbacé, les éleveurs élaguaient les arbres pour nourrir leur bétail. Que préconisez-vous pour éviter cette atteinte à la flore ?

La solution est simple. L’Etat doit mettre en place une bonne politique de cultures fourragères ; assurer la production et distribution d’aliment pour le bétail et conscientiser les éleveurs sur les dangers de cette pratique.                  

Le mot de la fin

Les politiques de décentralisation, les différentes formes de gestion foncières très discutées ces derniers temps, les recompositions territoriales et la mondialisation des échanges constituent un contexte essentiel pour appréhender le devenir de nos territoires. De nouveaux paradigmes apparaissent dans l’organisation spatiale des territoires ruraux et au niveau des zones périurbaines, impulsant des logiques tentaculaires qui obligent à une reconsidération fondamentale de l’espace et des politiques de développement économique et territorial. Il faut davantage travailler avec les chercheurs et retourner vers la terre pour éviter toutes formes de crise post-Covid19.

                             

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