Crise alimentaire : cinq pistes pour fluidifier les approvisionnements en Afrique

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Par Gaëlle Balineau & Nicole Madariaga                               

Plus de 10 ans après la crise alimentaire de 2007-2008, la pandémie actuelle et son impact potentiel sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle posent les mêmes questions, avec en filigrane quelques idées reçues utiles à déconstruire à nouveau en ce 15 juin, journée mondiale contre la faim : les circuits alimentaires vont-ils être rompus ? La crise va-t-elle priver l’Afrique de riz ? Est-ce bien là la preuve qu’il faut relocaliser la production pour sécuriser les approvisionnements ou est-ce une fausse bonne idée ?

En pleine crise du Covid-19, la nourriture à prix abordable ne manque pas, comme le martèle l’économiste en chef de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Par ailleurs, les erreurs qui avaient aggravé la crise alimentaire en 2008 n’ont pas été reproduites : de nombreux gouvernements ont mis en place des transferts monétaires pour soutenir les plus pauvres ; et les restrictions d’exportations restent très limitées par rapport à celles qui avaient prévalu en 2008.

Offre alimentaire disponible, commerce international maintenu, demande soutenue par les gouvernements… n’y a-t-il donc aucun risque d’insécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique en ces temps perturbés par la pandémie ? Certes non.

Mais au-delà de la hausse de la pauvreté, les risques résident surtout dans les défauts d’approvisionnements alimentaires et dans une potentielle inadéquation des politiques publiques nationales pour y remédier. Notre analyse nous permet de présenter cinq pistes pour contrer les idées reçues et garantir une meilleure qualité des échanges au sein du continent.

Des risques colossaux persistent

Les travaux de recherche post-2008 ont réaffirmé que les crises alimentaires ne sont pas toujours liées à des chutes de production, mais aussi à la pauvreté des consommateurs ou à des barrières commerciales.

Des travaux de cartographies permettent d’identifier les pays et zones du continent actuellement les plus à risque concernant l’insécurité alimentaire (Soudan, Soudan du Sud, Éthiopie, Somalie, Mauritanie…).

Aujourd’hui, c’est avant tout le manque d’argent pour acheter de la nourriture qui fragilise la situation des 820 millions de personnes sous-alimentées dans le monde.

Des milliers de personnes ont perdu leur emploi du fait des mesures visant à limiter la propagation du virus. Que ce soit dans le secteur formel ou informel, du vendeur de bananes au détail aux gros exportateurs de roses et de thé kenyans, les pertes économiques et d’emplois sont énormes.

Les consommateurs urbains, déjà particulièrement vulnérables à l’insécurité alimentaire, sont fortement affectés, sans pouvoir, pour la plupart, s’exiler à la campagne et retrouver une parcelle agricole. Les transferts monétaires des États ne suffiront pas et ceux envoyés par la diaspora sont fortement touchés par la crise.

Ce qui fait défaut ensuite, c’est l’infrastructure logistique pour acheminer les denrées alimentaires du port, ou du champ, jusqu’aux consommateurs : les circuits d’échanges internationaux ne sont pas rompus, mais les circuits d’approvisionnement et de distribution nationaux et intra-africains, eux, sont beaucoup moins robustes et résilients (Soudan, Angola, République démocratique du Congo…).

Cette fragilité est connue depuis longtemps, mais la crise amplifie les problèmes aux frontières et les délais d’acheminement une fois sur les corridors intra-africains.

Fluidifier les échanges

Selon la Banque mondiale, l’alimentation reste aujourd’hui le premier poste de dépense des ménages africains. Y améliorer l’accès est donc crucial pour la sécurité alimentaire et la santé, mais aussi pour la lutte contre la pauvreté.

L’économie alimentaire est aussi la première source d’emplois en Afrique. Elle va bien au-delà des seules activités de production agricole. On estime en effet qu’elle représentera un marché de mille milliards de dollars d’ici à 2030.

Or, sans possibilité de commercer de façon fluide, il n’y aura pas d’accès aux marchés pour les producteurs, pas d’économie d’agglomération ni d’économies d’échelle, pas de diversification des activités dans le secteur ni de compétitivité des économies et des villes africaines.

On le voit actuellement : c’est en partie à cause des difficultés de circulation des transporteurs et des commerçants, des couvre-feux, des congestions aux frontières et des interdictions de déplacements que les opportunités économiques et les emplois disparaissent.

La crise actuelle jette une lumière crue sur la nécessité d’améliorer les circuits d’approvisionnements. Au niveau continental, c’est l’affaire de la zone de libre-échange africaine, prévue pour le 1er janvier 2021. Mais au niveau national, c’est l’affaire des gouvernements et des villes.

Or, ce domaine a été largement négligé dans les dernières décennies. L’ouvrage collectif édité par l’Agence française de développement et la Banque mondiale, qui repose sur un travail analytique de Toulouse School of Economics et des analyses de terrain effectuées notamment par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), propose cinq pistes pour y remédier.

Agir sans déstabiliser

Premièrement, il devient crucial de comprendre les facteurs qui motivent les producteurs à desservir tel ou tel marché, et les consommateurs à se rendre à tel ou tel point de vente. Ces facteurs sont centraux pour comprendre les forces d’attraction (centripètes) ou de dispersion (centrifuges) qu’exerce la ville sur les zones de production agricole. Dans le cas contraire, les politiques publiques pourraient avoir un effet contraire à celui recherché.

Prenons l’exemple d’une amélioration des conditions d’accès des consommateurs à un marché en subventionnant le transport public par exemple. Cela pourrait augmenter les prix sur ce marché si l’afflux de consommateurs n’est pas suivi d’une augmentation de l’offre.

Autre exemple : l’investissement dans la réduction de la périssabilité des produits (chaîne du froid, usines de première transformation des produits) pourrait faire fuir les consommateurs si cela entraîne une hausse des prix qu’ils ne sont pas prêts à supporter.

Deuxièmement, il convient d’identifier les pertes de compétitivité des produits sur toute la chaîne : au-delà de la production, les producteurs sont-ils en mesure de mettre en commun leurs récoltes pour bénéficier d’économies d’échelle dans le transport ? Peut-on favoriser la transformation alimentaire pour limiter ces pertes post-récolte ? Faut-il plutôt améliorer les conditions de stockage et la chaîne du froid ? Cela dépend aussi des préférences des consommateurs.

Troisièmement, les infrastructures légères comme l’accès à l’information et la confiance dans les contrats de vente, de crédit, de qualité restent primordiales.

Sans un diagnostic précis, les politiques publiques risquent de déstabiliser les systèmes de confiance interpersonnelle, les réseaux de distribution familiaux, ou la gestion du crédit entre fournisseurs et acheteurs. Par exemple, la qualité attribuée à un produit par les consommateurs repose souvent sur la réputation des vendeurs. Mettre en place des labels qualité doit prendre en compte ces habitudes.

Quatrièmement, l’intervention politique reste souvent freinée par la diversité des acteurs impliqués dans le secteur de l’alimentation, avec des mandats flous et des moyens limités. Leur prise en compte s’avère pourtant essentielle sous peine d’échec des tentatives de régulation et d’amélioration de la gouvernance.

Enfin, et peut-être faut-il commencer par-là, il s’agit de lutter contre certaines idées reçues sur l’alimentation des villes africaines. En effet, une vision fragmentée de la filière agroalimentaire implique des politiques publiques concentrées soit en amont, soit en aval.

Or, seule une prise en compte de la filière dans sa globalité et sa complexité permettra le déploiement de projets et politiques publiques plus « systémiques » à même de résoudre les enjeux alimentaires dans les villes d’Afrique.                                    

Gaëlle Balineau, Économiste du développement, Agence française de développement (AFD) & Nicole Madariaga, Économiste du développement, Agence française de développement (AFD)

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