Très dépendantes de leurs exportations de matières premières en Chine, la RD Congo et la Guinée subissent les effets du ralentissement de la 2e économie mondiale. C’est un trésor géologique qui s’étend sur environ 500 km dans le sud de la province du Haut-Katanga, elle-même encastrée en République démocratique du Congo. Dans la « ceinture de cuivre », à quelque 2 000 km de la capitale congolaise Kinshasa, les cas de coronavirus et les soubresauts de l’économie mondiale sont scrutés à la loupe. Les recettes fiscales minières ont représenté 37 % des revenus de l’État congolais soit 1,46 milliard d’euros en 2018, tandis que le secteur extractif constitue l’essentiel des recettes d’exportation du pays. Alors que deux jours de confinement avaient été décrétés dans le Haut-Katanga les 24 et 25 mars suite à la détection de trois cas de Covid-19 – une « fausse alerte » selon l’analyste économique Al Kitengue-, deux villes de la province viennent à nouveau d’être confinées : Lubumbashi, ce mardi 28 avril, et Kasumbalesa, ce mercredi 29 avril. « Il s’agit d’une mesure d’une durée de 48 heures qui vise à identifier les personnes ayant été en contact avec les premiers cas de coronavirus détectés à Lubumbashi. C’est une brève alerte qui ne devrait pas se répercuter de façon majeure sur la production. D’ailleurs, la frontière avec la Zambie reste ouverte, ce qui est essentiel tant pour l’évacuation du minerai que pour l’approvisionnement en matériel », résume Al Kitengue. La province compte pour l’heure cinq cas de coronavirus, selon le gouverneur du Haut-Katanga Jacques Kyabula Katwe. La majorité des cas de Covid-19 recensés en RD Congo (572 personnes contaminées et 12 décès selon l’Institut Johns-Hopkins) restent concentrés à Kinshasa. Dans ce territoire qui assure près de 6 % de la production mondiale de cuivre (1 420 386 tonnes de cuivre en 2019, selon la Banque centrale du Congo) et environ deux tiers de la production mondiale de cobalt (77 964 tonnes en 2019), les regards sont donc plutôt rivés vers la Chine et ses raffineries, où « l’essentiel du cuivre et du cobalt congolais est acheminé. À partir du moment où la demande chinoise faiblit, nous sommes donc touchés. Les premiers chocs ont été ressentis dès le mois de janvier, et se sont accentués jusqu’en mars », poursuit l’expert congolais. Des chocs macroéconomiques indirects, et d’autres, directs, qui ont affecté à des degrés divers la production minière, renseigne lepoint.fr.
Baisse de régime générale
« La plupart des exploitations, à l’instar de Tenke Fungurumé (plus grande mine de cuivre et de cobalt détenue majoritairement par China Molydenum, NDLR), ont commencé à réduire la voilure. Arrêter complètement la production n’est guère envisagé, car la reprise serait trop coûteuse. Les entreprises ont plutôt fait le choix d’interrompre certaines activités non essentielles, quitte à ralentir la production », rapporte Al Kitenge, un cadre général qui compte toutefois quelques exceptions. Le négociant suisse en matières premières Glencore a par exemple décidé le 8 avril de fermer ses mines de cuivre (Mufulira et Kitwé) dans le nord de la Zambie, prétextant les répercussions de la crise sanitaire. Une mesure vivement critiquée par le gouvernement et les syndicats, et ayant conduit le 14 avril à la rétention, durant quelques heures, à l’aéroport de Lusaka, de Nathan Bullock, patron australien de la filiale de Glencore Mopani Copper Mines (MCM). Des discussions sur un éventuel redémarrage de l’exploitation seraient toujours en cours. « Le site de Mopani a produit 120 000 tonnes de cuivre en 2018 – la moitié en 2019 en raison de travaux de maintenance – et emploie environ 11 000 travailleurs. Un arrêt de la production pendant plusieurs mois représenterait un manque à gagner considérable pour l’État », rend compte Maïté Le Gleuher, analyste à la direction des géoressources du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Et d’ajouter : « Ce n’est pas la première fois que Glencore recourt à cette stratégie, consistant à suspendre ou réduire la production quand les cours sont bas. En 2016, il avait réduit d’un tiers sa production de zinc en fermant temporairement des mines, notamment en Australie, dans l’objectif de redresser les cours. » Maïté Le Gleuher rappelle que le cours du cuivre au comptant au LME (London Metal Exchange) a décliné de 15 % depuis le début de l’année « avec une plongée sous la barre des 5 000 dollars la tonne le 23 mars (4 678 dollars), contre 6 165 début janvier. Il est depuis reparti à la hausse pour s’établir à 5 231 dollars la tonne le 30 avril. La remontée reflète la progression de l’activité manufacturière chinoise en avril pour le deuxième mois consécutif, selon les chiffres officiels et la chute des stocks de cuivre à la Bourse des métaux de Shanghai (SHFE) », ajoute le média cité plus haut.
Kinshasa inflexible face aux miniers
En RD Congo, Glencore s’est montré moins offensif, même si la mise en service d’une usine d’acide sulfurique pour traiter le minerai a été retardée. « S’il a été tolérant envers les PME et PMI, l’État congolais a fait preuve d’une très grande fermeté vis-à-vis des grandes sociétés minières, et les a sommées de maintenir leur activité et de ne pas procéder à des licenciements massifs. Non seulement le secteur minier constitue le socle de l’économie formelle, mais il a aussi un impact social dans cette partie du pays. Toute une partie de l’activité informelle tourne autour de ces exploitations, dont l’arrêt pourrait causer une insurrection ! » explique le spécialiste des ressources stratégiques Al Kitengue. Le rapport de force entre l’État et les multinationales minières s’est d’ailleurs durci ces dernières années, se matérialisant par un nouveau Code minier plus favorable à l’État. Au final, seule Chemaf, filiale congolaise de Shalina Resources, basée à Dubaï, a dû fermer son usine de traitement d’Usoke depuis l’épidémie de coronavirus, « mais en raison de problèmes de transport de minerai oxydé. Cette fermeture a des répercussions importantes sur les activités minières artisanales. Sur leur concession s’était en effet organisée une mine artisanale, gérée par une ONG, qui peut employer jusqu’à 200 000 mineurs lorsque les cours du cuivre sont élevés », note Maïté Le Gleuher. Une rupture d’activité préoccupante pour cette catégorie de travailleurs, très présents dans les secteurs du cuivre et du cobalt. Enfin, Ivanhoe Mines, plus grand projet de cuivre actuellement en développement dans le monde, censé démarrer l’exploitation de minerai au 3e trimestre 2021, se dit jusque-là « peu inquiet » face à la crise sanitaire et à ses répercussions. « Il dispose déjà des fonds nécessaires à la réalisation des infrastructures. Reste à voir si les restrictions sur les transports et les déplacements ne vont pas affecter l’importation d’équipements et perturber les chantiers en cours », glisse Maïté Le Gleuher. « Son gisement de Kalula, rappelle-t-elle, est caractérisé par des tonnages et des teneurs en cuivre très élevés, de l’ordre de 6,8 % au début de l’exploitation, selon Ivanhoe Mines, contre des teneurs en cuivre n’excédant généralement pas 1,5 % pour les gisements chiliens et péruviens », a conclu notre source.
Moctar FICOU / VivAfrik