Quatre ans après l’adoption par les 193 États membres des Nations unies de l’Agenda 2030, d’un accord énonçant 17 objectifs de développement durable à atteindre à l’horizon 2030, un rapport publié le 11 septembre 2019 par 15 chercheurs dresse un constat alarmant sur le travail qu’il reste à faire.
Perte massive de biodiversité, production excessive de déchets, modes de production et de consommation énergivores… Dans ce rapport qui sera présenté au sommet des Nations unies sur le développement durable les 24 et 25 septembre de l’année en cours, les experts exhortent les pays à agir rapidement pour rentrer dans une phase de croissance durable. À onze ans de l’échéance, les objectifs sont encore loin d’être atteints.
Dans un entretien accordé à Romain Philips de rfi.fr, l’un des auteurs du rapport, Jean-Paul Moatti, Président directeur général (PDG) de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et président de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (Allenvi) a confié que « nous sommes très loin de réaliser les objectifs de l’Agenda 2030 ».
C’est le premier rapport qui a été publié sur les avancées du programme Agenda 2030 depuis son adoption en septembre 2015. Quel constat faites-vous aujourd’hui ?
Le premier message est un message d’urgence. Non seulement nous ne sommes pas du tout dans la bonne voie pour atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD), ou du moins l’écrasante majorité d’entre eux, mais sur certains objectifs clés qui menacent de faire échouer la totalité de l’Agenda 2030, nous sommes dans une situation de régression. La mise en œuvre des ODD n’est pas encore suffisante pour freiner et renverser les tendances négatives qui apparaissent depuis assez longtemps. C’est le cas, par exemple, de la perte sans précédent de biodiversité. C’est aussi le cas des déchets, de l’empreinte écologique, des émissions de gaz à effet de serre et de nos modes de production et de consommation qui alimentent le réchauffement climatique. Nous lançons donc un message d’appel à l’action, le plus rapidement possible, car il y a surtout un risque très sérieux que la situation s’aggrave. Nous sommes proches des points critiques, c’est-à-dire des situations où les effets irréversibles sur l’environnement planétaire et sur les sociétés arriveront et ne pourront pas être endigués. La perte de biodiversité en est un exemple criant.
Quelles sont les causes de ce constat ?
Elles sont essentiellement dues au fait que les objectifs fixés appellent à une transformation profonde et que nous n’avons pas pris la mesure du changement de modèle de développement que cela implique. Par exemple, d’ici 2050, il va falloir nourrir 9 à 10 milliards d’individus. Si l’on prétend y parvenir en gardant un modèle d’agriculture où la productivité est garantie par une augmentation sans précédent des intrants chimiques, nous arriverons peut-être à garantir la sécurité alimentaire des habitants, mais le prix à payer en termes de gaz à effet de serre et en utilisation des terres disponibles sera insoutenable.
Est-il donc trop tard pour atteindre les objectifs en 2030 ?
Nous passons un message d’alarme mais nous avons aussi un message profondément optimiste. Avec les technologies et les connaissances dont nous disposons déjà, si nous nous en donnons les moyens, si nous faisons les transformations nécessaires et si les innovations sont mises en œuvre, nous pouvons y arriver. Il faut changer une partie des pratiques de recherche et favoriser une nouvelle forme de science : la science de durabilité. Il faut construire des programmes de recherche avec les populations concernées, travailler avec les agriculteurs si l’on veut favoriser les recherches sur l’agroécologie, par exemple.
Existe-t-il une stratégie commune qui pourrait s’appliquer à tous les pays ?
Chaque pays est, à sa façon, en voie de développement durable mais aucun n’arrive à concilier les exigences d’une croissance durable avec la protection de l’environnement et de bonnes conditions sociales pour l’instant. Il est évident que dans les pays les plus développés, nous devons changer nos modes de consommation, réduire notre consommation de viande, de combustibles fossiles, etc. Par contre, dans les pays en développement, une croissance économique permettant d’améliorer le bien-être des populations est absolument indispensable. Surtout, ils doivent éviter de reproduire le modèle que nous avons mis en avant depuis soixante ans dans les pays développés. Ils doivent trouver leur propre voix d’équilibre.
Mais pour mettre en place tout cela, les investissements qui sont nécessaires sont tellement considérables qu’ils impliquent que soient emmenés dans cette évolution non seulement le secteur public et les gouvernements ou les collectivités territoriales mais aussi le secteur privé. Les investissements privés doivent au maximum être détournés des domaines qui freinent la durabilité comme les combustibles fossiles ou les infrastructures qui mettent en cause l’environnement.
Vous proposez la création d’un label pour les investissements durables, en quoi consiste-t-il ?
Nous proposons que les Nations unies s’attèlent à mettre en place un label d’investissement durable qui serait standardisé et transparent. Il permettrait ainsi de certifier les investissements qui sont véritablement dans le domaine du développement durable et les différencier des opérations qui servent simplement à « verdir » un produit ou une marque.