L’huile de palme a mauvaise presse, surtout en raison de son impact sur les forêts. Mais il est possible d’en produire de manière durable, veulent croire les experts.
Star malgré elle des campagnes de lutte contre la déforestation, l’huile de palme, désormais critiquée comme étant l’ennemi numéro un de l’orang-outan, a mauvaise presse. Reprise comme argument marketing, la mention « sans huile de palme » frime en bonne place sur de nombreux emballages, tel un trophée écologique. Qu’en est-il vraiment ?
On pourrait s’étonner à première vue de la position actuelle du WWF, en Suisse comme ailleurs en Europe: l’ONG n’encourage pas un boycott total de l’huile de palme. Dans les conseils prodigués aux consommateurs, le premier est d’éviter l’achat de produits transformés, ou sinon de se reporter sur ceux contenant de l’huile de palme certifiée « RSPO » (acronyme anglais pour Association pour l’huile de palme durable). Pas si surprenant puisque le WWF est l’un des membres créateurs de ce label, qui réunit des parties prenantes du marché.
« L’huile de palme est une aubaine pour les classes moyennes des pays émergents », selon Alain Rival, correspondant au Cirad
Environ 80% de l’huile de palme consommée dans le monde l’est pour un usage alimentaire. Malgré sa richesse en acides gras saturés (elle en contient environ 50%, contre 10% pour l’huile de tournesol), elle n’est pas dangereuse pour la santé, dans le cadre d’une alimentation variée et équilibrée.
Une demande sans fin
Le problème se trouverait plutôt du côté de son prix attractif: elle est l’huile de cuisson la moins chère qui soit et constitue de fait le premier corps gras consommé dans le monde, principalement dans les pays en fort développement tels que l’Inde et la Chine. Bien que le poids de l’Europe soit relativement faible sur ce marché, la demande mondiale est en augmentation continue.
« La demande est sans fin, cette huile est une aubaine pour les classes moyennes des pays émergents», observe Alain Rival, correspondant pour la filière du palmier à huile au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), avant de rappeler que la consommation de lipides explose dès lors qu’une population quitte un état de précarité pour un peu plus de confort et de sécurité alimentaire.
« La démarche du RSPO n’est pas parfaite, mais elle est intéressante par son effet d’entraînement», déclare l’agronome. En poste à Djakarta depuis cinq ans, comme bon nombre de spécialistes et d’ONG environnementales, il estime par ailleurs qu’un boycott de l’huile de palme par les consommateurs occidentaux casserait le marché qualitatif de l’huile certifiée durable, par le label RSPO par exemple. Ce dernier a ses faiblesses, la première étant que les règles qu’il défend n’ont pas force de loi, mais il encourage une amélioration continue des pratiques locales.
Plante ornementale
L’épopée du palmier à huile débute il y a plus d’une centaine d’années. Cette plante originaire du golfe de Guinée débarque en Asie du Sud-Est en tant que palmier décoratif. Rapidement, l’intérêt sur le plan agronomique du palmier supplante son usage paysager, et de grandes cultures sont installées dès le début du XXe siècle, sur ces terres qui deviendront la Malaisie et l’Indonésie. Ces deux pays sont encore aujourd’hui les premiers producteurs d’huile de palme dans le monde. Le rythme de l’extension des cultures y a suivi celui de la croissance mondiale. Et bien sûr de la déforestation.
« Les forêts ont été rasées en premier lieu pour l’exploitation du bois, qui alimente une industrie papetière bien implantée », affirme Alain Rival.
Selon Alain Rival, les causes de la déforestation dans ces pays tropicaux sont difficiles à établir avec précision: «Comparer des photos aériennes à différentes dates ne permet pas d’établir pourquoi les forêts ont été rasées, car les usages des sols s’enchaînent rapidement après la coupe des bois.» Les surfaces déboisées peuvent servir d’abord pour des cultures du tabac, puis quelques années plus tard pour une plantation d’hévéas et enfin de palmiers. Difficile de dire qui est le responsable.
Mais, surtout, il ne faut pas négliger l’impact du secteur de l’exploitation forestière en tant que tel. «Le pic de déforestation en Indonésie est derrière nous, il a eu lieu dans les années 2000», souligne le chercheur, avant de poursuivre: «Les forêts ont été rasées en premier lieu pour l’exploitation du bois, qui alimente une industrie papetière bien implantée.» Les bois tropicaux sont également utilisés ou exportés en tant que matière première pour l’ameublement, la menuiserie ou la construction. Les moteurs de la déforestation sont ainsi très imbriqués, entre les demandes mondiales croissantes en bois et en produits agricoles.
Rendement imbattable
Dans ce contexte, le rendement du palmier à huile est un atout réel pour répondre aux besoins mondiaux: il faudrait environ sept fois plus de terres arables pour remplacer la production d’huile de palme par celle d’autres graisses végétales. Un casse-tête à l’échelle de la planète, où l’agriculture intensive demeure la première cause de déforestation, avant tout pour la culture du soja, massivement importé en Europe.
Les recherches en cours explorent des pistes ambitieuses pour améliorer la résilience des plantations de palmiers à huile. Il s’agit par exemple de réfléchir à l’introduction d’arbres forestiers dans les plantations, dans des proportions qui permettent de ne pas trop en diminuer le rendement. Car, comme le rappelle l’agronome: «Le revenu des palmiers représente la rentrée d’argent principale pour 25 millions de personnes en Asie du Sud-Est, qui peuvent vivre convenablement avec 5 à 10 hectares de terres.»
Avec letemps.ch