Le business des voleurs de sable au Maroc
Il aura fallu neuf ans pour achever la construction du gigantesque port de Tanger Med 2. Et plusieurs milliers de tonnes d’une matière rare : le sable. Si ce dernier provenait d’un pompage légal du fond marin, le Maroc et ses côtes tangeroises souffrent de son extraction illégale. Érosion des côtes et exploitation ouvrière, la mafia du sable semble sévir en toute impunité dans le royaume. Après l’eau, il n’y a pas d’autre matière première plus utilisée au monde que le sable. Présent dans les pneus, le verre, le sable est aussi indispensable à la construction. Il est l’un des ingrédients principaux du béton, qu’il compose à 50%. Face à la soif d’infrastructures des pays modernes, en voie de développement et à une exploitation qui n’est pas durable, ses stocks périclitent. L’industrie illégale y tient sa part de responsabilité. Celle que l’on appelle la « Mafia du sable » sévit particulièrement au Maroc et sur sa côte nord. « Jour comme nuit (…) on vient voler du sable », se désole Hossni, habitant de la zone d’Asilah. Depuis plusieurs années, des plages disparaissent et des côtes s’érodent au Maroc. C’est le cas dans la zone sud de Tanger. Les habitants à proximité de la plage d’Asilah témoignent : « Jour comme nuit, mais surtout la nuit, on vient voler du sable. Les voleurs viennent avec des motos à trois roues avec des petites bennes, parfois avec des chevaux et des charriots, et pillent les plages. Ils revendent leur cargaison aux entreprises qui font de la construction », raconte monsieur Hossni, habitant de la zone et président de Zélis, une association environnementale locale. « Le sable fait partie d’un écosystème. Lorsqu’on l’enlève, c’est plein d’espèces qui sont mises en danger », indique à afrique.tv5monde.com, Pascal Peduzzi, directeur du GRID-Genève.
La destruction d’un écosystème
Ces voleurs de sable sont les petites mains de la mafia, qui va les chercher à la campagne, où les villages sont souvent dûrement touchés par le chômage. Érosion, paysage bientôt lunaire, la plage d’Asilah est en train de connaître le même sort que celle de Brieich quelques années plus tôt. Transformée en station balnéaire, elle a désormais des gardes plus ou moins réguliers pour la protéger. Mais les extractions de sables passées auront raison des nouvelles infrastructures, au moins à moyen terme : « Le sable des plages joue un rôle de tampon, un rôle de barrière et protège la côte des vagues. Lorsqu’on l’enlève, ce milieu dynamique perd son équilibre. Les vagues ne sont plus stoppées et vont alors manger la côte », explique Pascal Peduzzi, directeur du GRID-Genève, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement et auteur d’un rapport récent sur l’exploitation du sable dans le monde. « Il ne faut pas non plus oublier que le sable fait partie d’un écosystème. Lorsqu’on l’enlève, c’est plein d’espèces qui sont mises en danger, comme les crabes, les tortues…», ajoute-t-il. L’utilisation du sable marin demande aussi des ressources en eau conséquentes. Il nécessite d’être lavé à l’eau douce pour le débarasser de son sel, sans quoi, le béton se fissure. « Les dirigeants des mafias ne sont presque jamais inquiétés », a timidement confié dans la même source Adnane Moiz, membre de la société civile à Tanger.
Érosion côtière de l’Afrique : après le constat, à quand l’action ?
Aujourd’hui mardi et jusqu’à mercredi, Une vingtaine de ministres africains, des experts et des partenaires internationaux se retrouvent à Abidjan du 2 au 3 juillet 2019 pour discuter de coopération en matière de protection des côtes et des milieux marins. Objectif : renforcer la convention dite « d’Abidjan » signée en 1981. À Abidjan, il suffit de se promener sur les bords de la lagune ou sur les plages bordant l’Atlantique pour s’en rendre compte : la sauvegarde de l’environnement n’est pas une priorité. Pourtant c’est ici, en 1981 qu’a été signée la « convention d’Abidjan » qui visait à mettre sur pied une coopération entre tous les pays de la façade atlantique africaine, de la Mauritanie à l’Afrique du Sud. Coopération pour protéger et mettre en valeur les zones côtières et le milieu marin de ces pays. Trente-huit ans plus tard, force est de constater que ces États ne sont pas devenus des fers de lance de l’écologie, mais la convention d’Abidjan aura eu le mérite de faire en sorte que tous ces pays intègrent dans leur corpus législatif ces préoccupations, et harmonisent leurs législations en la matière. À Abidjan, aujourd’hui et demain, il est d’ailleurs simplement prévu d’ajouter des protocoles supplémentaires à la convention de 1981. Mais plus que jamais les zones côtières sont soumises à une pression grandissante. C’est en effet dans ces zones que s’agrège la plus grande partie de la population de tous ces pays. Et la tendance s’accélère. Selon les Nations unies, la population d’Abidjan aura doublé dans vingt ans. Et le phénomène est exponentiel quand il s’agit de mastodontes démographiques comme le Nigeria par exemple. À cela, il faut ajouter les effets du changement climatique comme l’érosion et la modification des écosystèmes, et leurs cortèges de conséquences économiques notamment. Pas de révolution en vue aujourd’hui et demain, mais au moins les émissaires des 22 pays représentés pourront échanger sur l’aggravation de leurs situations respectives, renseigne rfi.fr.
Moctar FICOU / VivAfrik