C’est ce que l’on peut qualifier de victoire des écologistes. En effet, le Tribunal national kényan de l’Environnement a ordonné, mercredi 26 juin 2019, la suspension du projet controversé de construction d’une centrale de production électrique à charbon sur l’archipel de Lamu, au Kenya, un site paradisiaque inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial. Cette mesure est vue comme une immense victoire pour les défenseurs de l’environnement et des communautés locales.
En termes clairs, le juge Mohammed Balala a « annulé », mercredi 26 juin 2019, une précédente décision de justice accordant une licence à la co-entreprise Amu Power, qui doit opérer cette centrale électrique à charbon. Le coût du projet dont la construction n’a pas encore commencé est estimé à deux milliards d’euros financé en partie par la Chine. Le magistrat a ordonné que soit à nouveau réalisée l’étude d’impact sur l’environnement de ce qui doit devenir la première centrale au charbon d’Afrique de l’Est, projet qui patine depuis plusieurs années face à la résistance des défenseurs de l’environnement et des communautés locales. Il a également estimé que les consultations publiques, notamment auprès des communautés locales, n’avaient pas été menées adéquatement.
À la sortie du tribunal, une poignée d’habitants de Lamu éclate de joie. « La Cour a estimé illégale la licence obtenue par le gouvernement pour construire cette centrale, a expliqué Ochiel Dudley, leur avocat. Des endroits alternatifs n’ont pas été pris en compte et il n’y pas eu de concertation des populations locales. Ce projet ne peut donc aboutir sans cette licence d’impact environnemental. C’est une victoire massive pour l’environnement et pour le peuple de Lamu », a-t-il ajouté.
D’autres militants hostiles au projet ont laissé éclater leur joie et se sont étreints une fois la décision rendue. « C’est une grande victoire, c’est un grand jour pour les gens de Lamu, c’est un grand jour pour le Kenya, pour l’Afrique et pour le monde », s’est exclamé Mohamed Athman, membre de l’organisation Save Lamu.
Pour sa part, Omar Elmawi, de l’organisation kényane DeCOALonize, qui milite contre l’énergie au charbon, a lui estimé qu’« enfin, les droits des habitants de Lamu et des Kényans ont été confirmés ». « Nous maintenons qu’il n’y a pas de place au Kenya pour l’énergie au charbon, et que l’énergie renouvelable est le seul avenir possible ».
« Amu Power a pris note des préoccupations soulevées dans le jugement et a pour ambition de travailler avec toutes les parties prenantes afin que toutes les questions soient résolues », a réagi Cyrus Kirima, directeur exécutif d’Amu Power. Cette joint-venture entre une entreprise kényane et la société omanaise Gulf Energy n’a toutefois pas indiqué si elle compte interjeter appel de la décision. Elle dispose d’un délai de 30 jours pour le faire.
Pour le gouvernement kényan, cette centrale électrique à charbon, financée en partie par la Chine, d’une capacité de 981 mégawatts et qui doit brûler du charbon importé d’Afrique du Sud est nécessaire pour la croissance. Une transgression dans sa politique alors que le pays se targue d’être un modèle en matière d’énergies renouvelables dans la région. Et depuis plusieurs années, le projet patine face à la résistance des défenseurs de l’environnement et des communautés locales.
Pour Mohamed Athman, de l’organisation « Save Lamu », la survie des communautés de cet archipel classé au patrimoine mondial de l’UNESCO est en jeu. « C’est un avertissement contre cette centrale à charbon qui tue. Elle nous ferait perdre l’écosystème et les microorganismes marins, notre industrie de la pêche et même nos vies, assure-t-il. Deux mille personnes mourront chaque année à cause de l’explosion des maladies. À Lamu, nous ne sommes que 200 000 habitants. Une minorité dans le pays. Donc si nous nous taisons, nous perdons. »
Les habitants de Lamu veulent aussi sauver le tourisme, principal pourvoyeur de richesse et d’emplois sur cet archipel paradisiaque.
Le gouvernement a 30 jours pour faire appel de cette décision. Si le projet voyait le jour, ce serait la première centrale au charbon d’Afrique de l’Est.
Le projet, baptisé Lapsset (acronyme anglais de Couloir de transport Ethiopie-Soudan du Sud-Port de Lamu) et destiné à développer le nord-est du pays et à désengorger le port de Mombasa plus au sud, est en cours de travaux. La construction d’un des quais du futur port est quasiment terminée.
Moctar FICOU / VivAfrik