Propos recueillis par Moctar FICOU
En marge des « Invités du mercredi », organisés le 19 juin 2019 par l’Ecole supérieure de journalisme, des métiers de l’internet et de la communication (E-jicom), basée à Dakar, la capitale sénégalaise, VivAfrik a accordé une interview au Dr Serigne Momar Sarr. Ce diplômé de l’université Strasbourg et Université Gaston Berger de Saint-Louis par ailleurs Enseignant-Chercheur aux Sections de Sociologie et de Sciences Politique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis a, lors de cet entretien analysé le thème de cette rencontre : « Usages des biens communs en contexte de changement climatique : vers la construction d’une écologie politique locale ». Il a en outre appelé les autorités Sénégalais à anticiper sur les conséquences écologiques que l’exploitation pétro-gazière pourrait engendrer.
Qu’est-ce qu’un bien commun ?
La question a un intérêt. Vous avez fait mention aux bus Dakar Dem Dikk. C’est parce qu’il y a un amalgame qui est toujours commis entre biens communs et biens publics. L’un peut être pris pour l’autre mais ce n’est pas la même réalité. Le bien commun est pour la plus part du temps apparenté à l’eau, à la foresterie, aux nappes phréatiques, aux pêcheries donc aux ressources naturelles qui sont renouvelables. Ici, l’aspect de renouvellement est important. C’est dans cet aspect de renouvellement qu’il y a un enjeu politique, sociologique et écologique. Le renouvellement se fait concomitamment avec l’exploitation de l’homme. Vous savez que tout ce dont on a besoin dans le monde social, on l’obtient de la nature, des ressources naturelles. Donc l’homme ne fait que transformer. Sa présence dans ce monde-là entraine des facteurs entropiques qui bouleversent un peu l’équilibre écologique. L’enjeu va se situer ici au niveau des questions de gouvernance puisqu’il y aura toujours une tension entre l’exploitation et la conservation. Il faut une certaine conservation pour permettre le renouvellement de la ressource en tant que telle. Mais il n’est pas question que de cela, il y a aussi une question de rivalité. Ces ressources sont toujours en accès soit limité ou bien par rapport aux stocks qui existent peut être, l’exploitation que tout le monde voudrait faire ne va pas satisfaire ou ne va pas vers l’idée de laisser le renouvellement se faire.
Ce sont des ressources qui ne sont pas produites par l’homme mais qui se renouvellent et que l’action de l’homme vient remettre drastiquement en cause du fait que c’est le processus naturel qui est bouleversé. De toutes ces considérations, il en découle ceci de simple qui puisse qualifier un bien commun ou un commun : c’est la rivalité et la non exclusion. Ce sont les deux caractéristiques majeures d’un commun. On ne peut exclure tout le monde, quand je dis tout le monde, c’est par rapport à la communauté où cette ressource existe. Ces populations sont des ayants droit naturels. Le simple fait qu’elles se trouvent sur cette zone peut faire que cette communauté revendique légitiment leur part de ces biens. Mais les choses ne se passent pas comme telle, puisque, automatiquement qu’il y a non exclusion, donc chacun peut y revendiquer sa part. Cela explique aussi que l’accès soit libre ou fermé. L’accès libre peut conduire à une surexploitation qui peut conduire inéluctablement à l’extinction de la ressource. D’où la nécessité d’établir des règles pour que la ressource soit bien gérée. A partir de ce moment, l’Etat ou le marché interviennent pour jouer leur partition. Cela fait que l’idée de bien commun ne peut pas être assimilée à bien public. Dans l’idée de bien public, il n’y a pas de rivalité. Il n’y a pas d’exclusion non plus. Alors qu’à chaque fois qu’on parle de bien commun, on est plutôt dans l’ordre des ressources naturelles renouvelables et donc de toutes les questions de gouvernance qui y sont décrites.
Vous faites allusions aux termes « accès libre » ou « interdiction » d’où l’idée d’écologie politique. Quel est l’intérêt d’avoir une écologie politique ?
Dans le Delta du Saloum, une zone côtière ouverte sur l’océan Atlantique et victime des changements climatiques et du raz de marée en 1987 notamment, dans une partie de la localité occupée par les Niomincka, dans les communes de Dionwar, Sangomar… va nous servir d’exemple. Curieusement, l’intérêt de l’écologie politique va se voir là où il y a des gisements de pétrole offshore qui ont été découverts dans la même zone à 80 km de ces communes. Cette découverte vient accentuer les problèmes que ces populations ont déjà pour gérer leur ressource et s’assurer d’un certain renouvellement pour continuer l’exploitation et potentiellement les problèmes écologiques qu’entrainerait l’exploitation future du pétrole. Et tant qu’on y parle, ça offrira l’occasion d’entrer dans les venues de l’écologie politique. Dans ces zones, il y a des formes de regroupement des femmes et des jeunes qui gèrent ces ressources avant même que l’Etat ne s’en préoccupe. Il y a ensuite des ONG, notamment des ONG de défense de l’environnement qui interviennent dans la gestion de l’environnement grâce aux méthodes participatives. Mais la forme ancienne même d’organisation était déjà apparentée à celle traditionnelle ou coutumière de gestion des ressources naturelles qui étaient très efficaces. Ce sont ces formes anciennes ou coutumières qui ont été réactualisées à travers des organisations de femmes et plus tard à partir des organisations des jeunes dans des comités de gestions des ressources naturelles au début des années 2010. Maintenant, des ONG sont venues à des moments particuliers pour ponctuer la chose et puis aussi, l’Etat ne se désengage pas naturellement. Mais chaque acteur mobilisé à des représentations propres et des intérêts propres.
Que vient faire alors le concept de changement climatique quand on parle de bien commun et d’écologie politique ?
La question peut être beaucoup plus complexe si on ajoute le développement durable. Tout comme il y a eu un petit amalgame entre « bien public » et « bien commun », on peut observer la même chose entre « écologie politique » et « développement durable ». Ils ont un lien tenu, fonctionnel. Et ce lien-là découle d’un contexte. C’est ce contexte-là qui informe d’un passé climatique nécessairement long et d’une marche que l’on est en train d’emprunter, que l’on ne sait pas où elle va nous conduire. Le contexte date des années 60 et 70, il a conduit déjà au contexte de développement durable. Tout est parti d’un rapport intitulé « Halte à la croissance ». Il montrait qu’il y a une extinction inexorable des ressources naturelles par rapport à une démographie exponentielle. Le principal problème, c’est celui que l’on observe encore aujourd’hui qui donne sens à l’écologie politique. C’est la croissance économique. Les ressources transformées dans les industries nous proviennent de l’environnement. Donc nécessairement, s’il y a beaucoup productions et qu’on ne pense pas au rythme naturel de renouvellement de ces ressources, on s’expose à un grand risque. Et l’humanité s’est déjà adossée à ce risque. L’écologie politique tente de faire remarquer dans quelle direction nous nous dirigeons. Si ces problèmes se posent, c’est qu’en filigrane, on est on est sur les projections ? Quelles projections ? Est-ce qu’il y a des formes futures de vie possible si nous continuons sur les mêmes modèles ou modes de production. Maintenant, l’écologie politique va s’organiser en tant que courant écologiste non seulement qui répond aux enjeux environnementaux mais aussi aux enjeux politiques car, quoique l’on puisse dire, c’est au niveau de l’instance politique qu’il y a régulation et qui puisse y avoir une certaine transformation des sociétés. Là où c’est nécessaire de réfléchir sur l’écologie politique, c’est de faire dialoguer ceux qui mènent des recherches (scientifiques, universitaires etc.) dans le cadre environnemental et écologique comme les mouvements sociaux verts, les partis politiques verts. Le simple qualificatif « vert » donne déjà une vision ou orientation de la gestion des ressources. Les Niomincka qui sont dans le Delta du Saloum par exemple luttent au quotidien pour la conservation de leurs ressources tout en continuant à les exploiter. Qui viendrait poser le débat public les permettant d’entrer dans une relative continuation de leur mode de vie ? C’est là que la question écologique est purement politique et que les chercheurs sont interpellés afin de trouver des solutions durables à ces questions ou problèmes.
L’écologie politique est-elle la voie idéale qu’il faut emprunter pour trouver des réponses appropriées aux problèmes liés à la gestion des biens communs ?
Vous avez en quelque sorte touché du doigt le réel problème. Le problème ici, c’est l’incapacité des gouvernements à trouver des réponses adéquates à la crise écologique qui commande aujourd’hui même une transition écologique et énergétique. Il y a un double niveau à considérer, déjà, le fait que ce modèle libéral ou néo-libéral est en crise malgré qu’il résiste parce que l’économie est encore régulée à travers des canaux du libéralisme. La résistance de ce libéralisme s’explique par le fait qu’il y a différents courants. La rupture ne pourra donc pas être systématique. Qui doit porter donc cette rupture ? Ce sont les citoyens engagés dans les mouvements verts. Mais, est-ce que ces mouvements vers sont présents au Sénégal ? La réponse est affirmative. Est-ce que leur action est décisive pour produire des changements attendus ? J’en doute.
Lors de la dernière présidentielle par exemple, est ce qu’il y a eu des débats sur la question écologique ? Est-ce qu’au niveau du débat public sénégalais, la question écologique est abordée ? Je ne parle pas de la question des contrats pétro-gazier mais plutôt les conséquences écologiques et auquel cas on a besoin d’anticiper. C’est que toutes nos valeurs citoyennes sont interpelées. Que peut faire chacun à son niveau. Au tour de la question écologique pour trouver des réponses qui s’imposent et opérer les ruptures nécessaires, il faut un cadre pour porter la question et faire un travail de conscientisation. Cette question doit interpeller aussi nos citoyennetés qui sont construites à travers certaines organisations qui auront la charge de servir de relais et l’autre niveau sera d’aller voir les acteurs qui sont au niveau des territoires, un peu partout au Sénégal, de s’entretenir avec eux sur ce qu’ils font parce qu’ils peuvent être dans la dynamique de faire une certaine transition écologique sans être conscients du processus. En un mot, de voir les innovations qui sont en train d’être opérer dans des contextes contraignants, imprévisibles et incertains. C’est ce fédéralisme qui pourra faire bouger les lignes.