Afrique : l’impact écologique mieux pris en compte dans le financement des projets

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Par Jean Marie Takouleu

Le développement de l’Afrique reste conditionné par le financement de grands projets par des bailleurs de fonds internationaux. Or, ces derniers se montrent de plus en plus exigeants concernant l’impact écologique des infrastructures. C’est pourquoi certains porteurs de projets, ou leurs partenaires financiers font désormais appel à des sociétés spécialisées pouvant les conseiller en matière de biodiversité.

L’Afrique est en pleine croissance, démographique et économique. Cette effervescence s’accompagne de la mise en chantier de très nombreuses infrastructures. De l’Algérie à l’Afrique du Sud, en passant par le Sénégal et l’Éthiopie, de nombreux projets fleurissent aux quatre coins du continent. Les investissements se concentrent sur l’énergie, l’eau potable, l’agriculture, les transports ou encore l’industrie minière. Mais ces développements soulèvent aussi de très nombreuses questions concernant la protection de l’environnement et notamment la préservation de la biodiversité.

Tout le monde a encore en tête la décision des autorités tanzaniennes, en mai 2018, de raser une partie de la réserve naturelle de Selous pour construire le barrage hydroélectrique de Stiegler’s Gorge, d’une capacité de 2 100 MW : 1 500 km² de forêt et de savane et 2,6 millions d’arbres d’un site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco étaient rayés d’un simple trait de plume. La condamnation d’un tel patrimoine avait suscité un tollé parmi les écologistes, en dépit de l’assertion du gouvernement qui prétendait avoir effectué des études d’impact écologiques… Quoi qu’il en soit, cette question est de plus en plus sensible, surtout auprès des banques de développement qui financent ce type de projets.

D’après Fabien Quétier, directeur d’études et spécialiste de la compensation au titre de la biodiversité chez Biotope, « les bailleurs de fonds internationaux se montrent de plus en plus regardants sur la protection de la biodiversité, en accord avec les conventions internationales sur la biodiversité qu’ont signées leurs États actionnaires ».

Les banques s’engagent !

De plus en plus des institutions financières internationales s’engagent en faveur de la protection de la biodiversité. C’est le cas de la Banque mondiale. En juillet 2016, elle a actualisé son Cadre environnemental et social (CES), qui a pour objectif de « protéger les populations et l’environnement contre les effets potentiellement néfastes des projets financés par la Banque », et de favoriser un développement durable. La nouvelle version du CES est entrée en vigueur le 1er octobre 2018, suite à l’approbation par la Banque mondiale de la Déclaration de Paris, du Programme d’actions d’Accra et du Partenariat de Busan pour une coopération efficace au service du développement.

Cette actualisation rapproche les exigences de la Banque Mondiale de celles de sa filiale ciblant le secteur privé : la Société financière internationale (IFC). La norme de performance n° 6 de l’IFC est utilisée depuis 2012 pour veiller à la prise en compte de la biodiversité et des ressources naturelles par les projets qu’elle finance. Elle sert de référentiel à de nombreuses institutions financières, dont les banques commerciales privées ayant adhéré aux principes dits « de l’Équateur »).

L’Éthiopie est l’un des nombreux pays africains à avoir subi les conséquences de la nouvelle politique de la Banque mondiale en matière de protection de la biodiversité. Ce pays d’Afrique de l’Est a initié la construction du barrage de la Renaissance sur le Nil, qui doit permettre de produire 6 000 MW, ce qui en fait l’un des plus importants barrages du continent africain. Pour sa réalisation, le pays a cherché des financements à hauteur de 4,8 milliards de dollars, soit 15 % du produit intérieur brut

(PIB) de l’Éthiopie. Mais les bailleurs de fonds internationaux, dont la Banque mondiale, ont décidé de bouder ce projet, accusant le gouvernement de n’avoir pas suffisamment pris en compte les conséquences environnementales du barrage, notamment à l’égard des pays qui dépendent aussi des eaux du Nil, à savoir l’Égypte et le Soudan.

La Banque africaine de développement (BAD) fait également partie des institutions financières à avoir reçu une demande de financement du projet éthiopien. Mais la banque a pris conscience très tôt de l’importance de la préservation de la biodiversité dans le financement des projets de développement. C’est pourquoi elle a créé en 2004 un Mécanisme d’inspection indépendant (MII). Objectif : s’assurer que la BAD suive ses propres politiques et procédures au cours de la conception et la mise en œuvre de ses projets. Concrètement, ce mécanisme doit traiter des plaintes sur les impacts environnementaux des projets dans les secteurs du transport, de l’hydroélectricité ou encore de l’agriculture.

Cette politique a été renforcée en 2013 par le Système de sauvegarde intégré (SSI), qui définit les règles de protection des populations locales, des groupes vulnérables et de l’environnement (dont la biodiversité) contre les impacts causés par les projets financés par la BAD.

La Chine s’y met également

Beaucoup d’observateurs pointent du doigt les banques chinoises qui seraient moins regardantes sur la prise en compte de l’impact écologique dans le financement des projets de développement en Afrique. Pour le projet hydroélectrique de Renaissance en Éthiopie, contesté par plusieurs partenaires au développement, les banques chinoises ont mobilisé 1,8 milliard de dollars. Une situation qui pourrait s’avérer inquiétante, eu égard aux très gros volumes d’investissements chinois en Afrique. Le président chinois Xi Jinping a encore récemment promis d’injecter 60 milliards de dollars dans les projets de développement africains en 2019.

Mais là aussi la donne pourrait progressivement changer. Car depuis la décision de China Exim Bank de financer le barrage de la Renaissance en Éthiopie, les associations d’investisseurs, d’assureurs et de banques chinoises ont toutes signé en septembre 2017, sous l’égide de l’Office de la coopération économique à l’étranger et du ministère chinois de l’Environnement, le Programme de gestion des risques environnementaux pour les investissements chinois à l’étranger (Environmental Risk Management Initiative for China’s Overseas Investment). Parmi les 12 engagements majeurs, pris à cette occasion, le point 3 concerne notamment le respect des normes internationales en matière de durabilité et la prise en compte de critères de RSE (Responsabilité sociale et environnementale). D’ailleurs, en même temps qu’il promettait des milliards de dollars d’investissement à l’Afrique, Xi Jinping annonçait la réalisation de 50 projets d’aide à l’Afrique dans les domaines de la transition écologique, la lutte contre le changement climatique, la protection de la flore et de la faune sauvage…

Mais le diable est dans les détails : est-ce que les banques et autres investisseurs chinois appliqueront bien au quotidien des critères écologiques élevés pour chacun de leurs investissements ? L’Empire du Milieu, qui est encore l’un des plus grands pollueurs de la planète, nourrit de grandes ambitions en matière de leadership environnemental et s’est doté en 2018 de taxes écologiques qui pourraient préfigurer une révolution verte vers « l’éco-civilisation ».

En attendant, les banques de développement européennes ont d’ores et déjà affuté leurs exigences. L’Agence française de développement (AFD) s’assure depuis quelque temps déjà que 100 % de ses investissements sont compatibles avec les accords de Paris sur le climat. Tandis que KfW, la banque publique allemande pour le développement, applique des critères d’écoconditionnalité sur l’ensemble de ces investissements.

Accompagner les Banques et les entreprises dans leurs projets de développement

Mettre en application les exigences des investisseurs dans les projets de développement en Afrique nécessite un accompagnement par des spécialistes comme ceux de Biotope. La société a ouvert trois bureaux en Afrique (Casablanca, Libreville et Antananarivo). Pour Fabien Quétier, il s’agit d’aider les banques et les entreprises dans la recherche de solutions pour éviter ou réduire les impacts de leurs projets sur la biodiversité. Parfois, des compensations environnementales peuvent également s’avérer nécessaires : restauration de milieux dégradés, création d’aires protégées, appui à des programmes de sauvetage d’espèces menacées, etc. Il s’agit en effet de veiller à ce que les projets n’entraînent pas de perte nette de biodiversité, et offrent parfois même un « gain net »…

En Guinée, par exemple, la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et Global Alumina Corporation Ltd (GAC) se sont engagés, dans le cadre de leurs projets miniers financés par l’IFC, à appuyer la création du parc national du Moyen-Bafing. Établi sur une superficie de 6 426 km², il permettra de renforcer une population de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest en contrepartie de l’impact de leurs projets sur la population de chimpanzés présente sur les concessions minières. L’ONG Wild Chimpanzee Foundation (WCF) accompagne techniquement cette mesure compensatoire ambitieuse. Des arrangements similaires ont été mis en place à Madagascar pour la compensation des impacts des projets miniers d’Ambatovy et de QMM.

La Guinée et Madagascar sont des pays, où est mis en œuvre le projet Combo qui vise à renforcer le cadre réglementaire et opérationnel nécessaire à l’absence de perte nette de biodiversité dans le contexte du développement économique. Ce projet, financé par l’Agence française de développement (AFD), le Fonds français pour l’environnement mondial et la Fondation Mava, est mis en œuvre par l’entreprise Biotope et ses partenaires (Wildlife Conservation Society et Forest Trends), qui vont jusqu’à appuyer la formulation de stratégies nationales en matière de compensation écologique, d’impliquant les autorités publiques, des entreprises, des banques et des ONG de conservation.

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