Par Aliou Diouf
La République démocratique du Congo (RDC) est l’un des pays africains les plus riches en ressources naturelles. En effet, on trouve dans le sous-sol congolais du cuivre, du cobalt, du zinc, du fer, du coltan, de la cassitérite, de l’or, du manganèse, de la bauxite, de l’étain, du diamant, du pétrole, du gaz, etc. Pourtant, la RDC est aussi l’un des pays les plus pauvres du monde. C’est dire que le peuple congolais bénéficie très peu de ces immenses ressources naturelles qui sont pourtant exploitées depuis des décennies. Il est temps que cette situation change.
Les ressources naturelles appartiennent à tous les congolais qui ont le droit inaliénable d’en profiter. Mais pour ce faire, il faut un changement radical dans la gestion des revenus générés par l’exploitation des ressources naturelles. D’une gestion très opaque et peu profitable au peuple congolais, il faudra passer à une gestion transparente et profitable pour l’Etat et pour tous les Congolais, le tout dans le respect des droits de l’homme et de l’environnement. En un mot, il faut une gestion saine, efficiente, durable, inclusive et respectueuse de la législation nationale pertinente et des standards internationaux en matière de droits de l’homme et de l’environnement. Les élections du 23 décembre – notamment présidentielle – constituent un moment crucial dans l’histoire politique du Congo et ouvriront certainement une nouvelle ère pour le pays si tout se passe bien. Elles devraient donc créer le déclic et les conditions d’une vraie rupture dans la manière actuelle de gérer les richesses du pays, d’où leur importance.
Des ressources naturelles mal gérées et une population désabusée
A l’instar de la plupart des pays africains dotés de nombreuses richesses naturelles, la RDC éprouve beaucoup de difficultés à bien gérer ses immenses ressources naturelles. Cela est particulièrement vrai dans le secteur extractif. Aujourd’hui, ce secteur souffre de tous les maux : opacité, malversations, fraudes, corruption, etc. La conséquence de cette mauvaise gestion de ce secteur est que les populations profitent très peu des revenus générés par l’exploitation des ressources minières et des hydrocarbures.
Un exemple simple mais très illustratif : le pays est le premier producteur de cuivre d’Afrique ainsi que le premier fournisseur au monde de cobalt, une matière indispensable pour la fabrication des batteries au lithium-ion des voitures électriques mais aussi les ordinateurs portables et les smartphones. Pourtant, le cobalt qui est si prisé semble plus profiter à la Chine qu’au Congo où l’on rencontre très peu de voitures électriques et où le taux d’électrification est l’un des plus faibles du monde. Des multinationales peu scrupuleuses, une petite minorité élitiste et des groupes armés s’enrichissent au détriment de la population.
La convoitise des ressources naturelles attise également les conflits et crée des zones d’insécurité notamment à l’Est du pays. Cette mauvaise gestion se traduit aussi sur le terrain par les nombreux abus et violences que subissent les communautés vivant dans les zones d’activités des entreprises, minières, pétrolières et gazières notamment. La pollution, les expropriations, les relocalisations, mais aussi le travail des enfants et la répression par les forces de l’ordre rythment très souvent les activités de ces entreprises. Les actions ou initiatives positives développées par certaines entreprises dans le cadre de la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) sont certes utiles mais elles sont loin de satisfaire les attentes des populations.
Cette mauvaise gestion des industries extractives du Congo est dénoncée depuis des années. Ainsi, Global Witness révélait que plus de 750 millions de dollars de recettes minières versés par des entreprises à des organismes étatiques congolais avaient échappé au Trésor public entre 2013 et 2015. Les mis en cause ? La Gécamines et les administrations fiscales. La gestion opaque, les malversations et la corruption au sein de la Gécamines ont été également dénoncées par d’autres ONG. D’ailleurs, un autre rapport a récemment mis en évidence l’existence de la corruption et des violations des droits de l’homme dans le cadre de l’exploitation du cobalt.
La Gécamines a nié toutes ces allégations dans un nouveau rapport intitulé « La vérité sur les mensonges des ONG en République Démocratique du Congo – Ou comment sous couvert de morale, on voudrait priver le pays de sa souveraineté sur ses matières premières ». Albert Yuma, le patron de Gécamines, a qualifié ces attaques de « malhonnêtes et scandaleuses ». En réaction à cette sortie de M. Yuma, certaines ONG n’ont pas hésité à revenir sur ces accusations pour les confirmer et les réitérer.
Les relations opaques que certaines entreprises entretiennent avec Dan Gertler n’ont pas non plus échappé à la vigilance des observateurs. Ainsi, en août dernier, Global Witness déclarait que Gertler a reçu et distribué des millions de dollars de pots de vin à l’occasion de tractations minières au Congo. Le fonds de pensions américain Och-Ziff et Glencore ont été épinglés pour avoir entretenu des relations commerciales douteuses avec Gertler. Mais Gertler a systématiquement nié toute malversation dans ses transactions au Congo. Pourtant, il a été sanctionné par les Etats-Unis qui lui reprochent d’avoir recouru à des pratiques de corruption dans des transactions minières et pétrolières en RDC. De récentes études ont aussi mis en exergue les transactions opaques et les difficultés juridiques croissantes que Glencore rencontre au Congo. Glencore a cependant toujours nié toute allégation d’opacité ou de corruption dans ses activités au Congo.
Enfin, ajoutons que la mauvaise gestion du secteur extractif a également comme conséquence le commerce illicite des ressources naturelles. Malgré les progrès de la traçabilité des minerais, le trafic continue. Certains éléments des Forces armées (FARDC) et des groupes armés sont toujours impliqués dans le trafic des minerais, notamment l’or (minerais de conflit). Il y a aussi la question des flux financiers illicites qui ont un lien direct avec les conflits et l’exploitation illégale des ressources naturelles. D’autres secteurs comme celui de l’agro-industrie avec son corollaire l’accaparement de terres ainsi que l’industrie forestière souffrent également de la mal gouvernance. A titre d’exemple, on citera le cas de la multinationale Feronia que les communautés accusent de s’accaparer de leurs terres et les acquisitions illégales de terres au Nord-Kivu. Enfin, on pourrait aussi mentionner les abus commis par l’industrie forestière et les atteintes à l’environnement, notamment avec la volonté des autorités d’exploiter le pétrole dans le parc national des Virunga malgré l’opposition de la société civile.
Dans tout cela, c’est la population congolaise qui se voit désabusée puisque c’est elle qui, in fine, subit les nombreux impacts sociaux et environnementaux des entreprises. C’est elle aussi qui subit les violences et les impacts de la mauvaise gestion des revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles comme l’a si bien dit le récent Lauréat du Prix Nobel de la Paix, le Docteur Denis Mukwege. Toutes ces sommes faramineuses détournées par des « kleptocrates » auraient pu servir à construire des infrastructures sociales de base tels que des hôpitaux, des écoles, des forages, des routes, etc.
Pour un changement de paradigme dans la gestion des ressources naturelles
La mauvaise gestion, les allégations de corruption et de malversations financières citées en haut justifient à suffisance un changement de paradigme dans la gestion des ressources naturelles notamment du secteur extractif. Ce changement doit se traduire par une forte volonté politique de gérer de manière transparente, durable et inclusive le secteur minier pour le bénéfice de toute la population congolaise dans le respect des droits de l’homme et de l’environnement. Une telle politique exige aussi un comportement responsable de la part de tous les acteurs du secteur, en particulier les décideurs politiques et les entreprises. Aussi, nous recommandons ce qui suit :
Aux autorités congolaises actuelles mais surtout à celles à venir (qui sortiront des élections du 30 décembre 2018 si tout se passe bien) de : Mieux lutter contre la corruption notamment dans le secteur minier ; Faire appliquer correctement le nouveau code minier ; Poursuivre les efforts visant à intégrer pleinement l’ITIE ; Répartir de manière juste et équitable les revenus tirés des ressources naturelles ; Assurer la protection des défenseurs des droits de l’homme ; Mettre fin à l’impunité, notamment celle des abus impliquant des entreprises.
Aux entreprises notamment minières, pétrolières et gazières de : Respecter le code miner et tous les textes réglementaires pertinents ; Se conformer aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et aux autres principes et standards internationaux pertinents ; Avoir une politique en matière de droits de l’homme et des mécanismes de recours effectifs pour les communautés impactées ; S’engager formellement à respecter les défenseurs des droits de l’homme et à dénoncer les attaques contre eux et le rétrécissement de l’espace public ; Soutenir les efforts des autorités visant à augmenter la transparence dans le secteur des industries extractives ainsi que les efforts dans la lutte contre la corruption ; Avoir des politiques de Responsabilité sociétale d’entreprise (RSE) solides pour un développement durable et inclusif des communautés locales.
Les élections qui se préparent constituent une opportunité unique pour plaidoyer en faveur de ce changement radical tant attendu par le peuple congolais. Avec le nouveau code minier très avantageux pour l’Etat et la ruée mondiale vers le cobalt, la RDC a toutes les chances d’inverser la tendance actuelle. Mais pour cela, il faut que les entreprises jouent le jeu mais aussi et surtout que le pays soit dirigé par quelqu’un soucieux de l’intérêt général, d’où l’importance des élections du 30 décembre prochain. En effet, aucun changement majeur ne peut intervenir sans une réelle volonté politique des pouvoirs publics, du Président de la République en particulier. Espérons donc que le 30 décembre, les Congolais choisiront dans la paix et la transparence un nouveau Président capable de bâtir un État où le gouvernement sera au service de sa population, pour paraphraser le nouveau Prix Nobel de la Paix, le Docteur Denis Mukwege.
Aliou Diouf, Business and Human Rights Resource Centre, Afrique francophone