L’Afrique invitée à développer leurs propres stratégies de mobilisation de ressources

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Seyni Alfa Nafo est l’ambassadeur climat du Mali et le porte-parole du groupe des experts africains à la COP24 à Katowice en Pologne. Il reconnaît que « le climat va mal ». Cette situation s’explique, selon lui, par les élections de deux climatosceptiques convaincus, Donald Trump et Jair Bolsonaro, à la tête de deux grands pays, les Etats-Unis et le Brésil.

Le Porte-parole de l’Afrique lors des pourparlers de la COP21 à Paris en 2015 par ailleurs négociateur en chef de l’ensemble des pays en développement, regroupés au sein du Groupe des G77 et Chine (plus de 136 pays) pour l’accélération de l’action climatique d’ici à 2020. Il a ensuite présidé le Groupe des négociateurs africains (AGN), en 2016 et 2017, au nom duquel il avait lancé la proposition fondatrice de l’Initiative de l’Afrique sur les énergies renouvelables (AREI).

Toujours au titre de l’AGN, l’ambassadeur de ambassadeur de l’Afrique à la COP24, Seyni Alfa Nafo continue de défendre l’agenda de l’Afrique sur le climat, en accompagnant notamment l’ensemble des initiatives de l’Union africaine, et plus particulièrement celles portées par le Comité des chefs d’État et de gouvernements africains sur les changements climatiques (CAHOSCC).

A Katowice en Pologne où il prend part aux travaux de la COP 24 (du 3 au 14 décembre 2018), l’ambassadeur climat du Mali a, dans un entretien accordé à cop24afdb.org, a invité l’Afrique à développer leurs propres stratégies de mobilisation de ressources, ajoutant : «après l’élection de Bolsonaro, on a pris un coup au moral».

Vous avez présidé l’AGN sur le climat pour les discussions aux Nations unies, un groupe qui a l’appui de la Banque africaine de développement. En quoi consiste l’AGN, et de quelle manière la Banque vous soutient-elle ? 

L’AGN est né avec la Convention Climat (en 1992, ndlr) et représente tout simplement les 54 pays d’Afrique, qui négocient dans une position commune au sein de la Convention-cadre des Nations unies sur le climat (ONU-Climat). Chaque fois qu’il faut défendre les intérêts de l’Afrique dans les négociations autour de la lutte contre les changements climatiques, l’AGN est mobilisé. À la différence de l’Union européenne, dont le mandat de négociation sur le climat était dévolu à la Commission européenne, pour l’Afrique, c’est l’AGN qui négocie au nom du continent et mobilise directement les 54 gouvernements et leurs experts…

Le soutien de la Banque africaine de développement se poursuit à trois niveaux : tout d’abord, la Banque est une institution de savoir et connaissances. Elle a une expertise avérée dans de nombreux domaines, dont celui du changement climatique, et dans tous les domaines concernés – adaptation, atténuation, financement, eau, agriculture… Nous avons donc un partenariat et un accompagnement en termes de conseil.

La Banque abrite d’ailleurs un certain nombre d’initiatives de lutte contre les changements climatiques, notamment celle de l’Unité indépendante de mise en œuvre (IDU) de l’Initiative de l’Afrique sur les énergies renouvelables (AREI). Ensuite, la Banque nous accompagne en apportant un appui financier, précieux notamment dans les activités de recherche, et propose même un appui logistique au Groupe en soutien à la participation des négociateurs et experts aux différentes réunions.

Enfin, la Banque dispose non seulement de ressources propres considérables, mais également d’une capacité de mobilisation des ressources et des partenariats indispensables pour accélérer la mise en œuvre d’initiatives concrètes et urgentes. Elle est d’ailleurs accréditée au Fonds vert pour le climat (FVC), dont le dernier Conseil d’administration, en octobre 2018 – où elle compte trois administrateurs et autant de suppléants –, a examiné trois de ses projets, deux liés aux énergies renouvelables (Burkina Faso et RDC) et un dans l’adaptation au profit du Bassin du Niger.

La signature de l’Accord de Paris, au terme de la COP21 à Paris, a été saluée comme un grand pas en avant, et le rôle de l’AGN avait été crucial, lors des négociations en amont, dans la défense des intérêts de l’Afrique. Mais quel est son rôle désormais ?

Les négociations sur le climat ont ceci de particulier qu’elles se déroulent en rounds, en cycles successifs. Entre 2011 et 2015, c’est-à-dire entre la COP17 à Durban et la COP21 à Paris, c’était un cycle de négociations autour d’un traité mondial. Il s’agissait de négociations très politiques.

Avec la COP22 à Marrakech, où l’Accord de Paris a été ratifié, a commencé un round plus technique. Les pays africains, comme les autres, se sont engagés juridiquement. Reste cette fois, avec la COP24 en Pologne [UMO2], à passer au stade des décrets d’application. Concrètement, il faut maintenant établir les procédures, les règles et les modalités d’application de l’accord.

Mais, outre l’aspect technique, le deuxième « gros morceau » de cette COP, ce sont les financements. D’ailleurs, la réunion de reconstitution des ressources du FVC aura lieu en octobre 2019. À Lima, ces ressources avaient été capitalisées à hauteur de 10 milliards de dollars américains environ. Nous escomptons au minimum le même montant.

Quant à l’AGN, son rôle a évolué. À notre mandat de négociation s’est ajouté, depuis 2015, ce que j’appellerais un « mandat d’incubation », nous faisant passer à un AGN 2.0 en quelque sorte. Nous avons désormais pour mandat d’assister nos pays membres dans la mobilisation des ressources et le renforcement des capacités afin de faciliter la mise en œuvre de leurs actions tangibles. D’où la formulation des initiatives concrètes, telles que l’Initiative de l’Afrique sur les énergies renouvelables (AREI) et l’Initiative africaine d’adaptation (IAA). Et c’est ce que nous faisons.

Trois ans après la ratification de l’Accord de Paris, l’Afrique peut-elle vraiment être optimiste ?

Oui, pour plusieurs raisons : on ne peut nier qu’une prise de conscience s’est faite à travers toute l’Afrique, avec une réelle considération des enjeux du côté des politiques. En 2014, on avait à peine une réunion par an de chefs d’État africains sur le sujet, et le Comité des chefs d’État et de gouvernements sur les changements climatiques était le seul organe dont nous disposions. Depuis 2015, trois à quatre réunions ont lieu en Afrique chaque année et nous comptons désormais six initiatives continentales, chacune portée par un chef d’État. Et puis, nous n’avons jamais été aussi bien structurés au plan opérationnel, avec l’AGN qui travaille étroitement avec les pays membres pour accélérer la mise en œuvre sur le terrain.

La politique internationale connaît des vicissitudes, elle a ses lacunes et ses faiblesses – il n’y a qu’à voir la position des États-Unis aujourd’hui. Mais le fait est que l’Afrique n’a pas le choix. Le dernier rapport du GIEC le démontre : les impacts des changements climatiques touchent tous les secteurs du développement : agriculture, industrie, transport, urbanisation…

L’Afrique est non seulement touchée, mais, pire, si rien n’est fait, ces impacts vont continuer de prendre de l’ampleur au risque d’effacer tous les acquis, toutes les avancées enregistrées par les pays africains en matière de développement ces dernières années. Nous devons donc amplifier les actions et accélérer la mise en œuvre d’initiatives dédiées.

S’il y a consensus sur l’urgence à agir, le financement pose toujours problème, surtout en Afrique. On attend toujours que les pays développés tiennent leurs promesses notamment. Or peut-on agir quand l’argent manque ?

En effet, la situation actuelle démontre une difficulté pour les pays développés de tenir leurs engagements, notamment l’atteinte de la cible de mobilisation d’au moins 100 milliards de dollars annuels en 2020 promise déjà en 2009 à Copenhague, lors de la COP15, et confirmée à Paris lors de la COP21.

De plus, la tâche est ardue, car il n’y a pas eu d’accord a priori sur les règles de comptabilité à même de clarifier les financements qui seront retenus dans ce cadre. Et c’est spécifiquement à la mise en place de ces règles communes, dans un cadre multilatéral à l’ONU, qu’a travaillé l’AGN, pour la COP24.

En dépit de cette situation, les pays africains œuvrent au développement de leurs propres stratégies de mobilisation de ressources, afin de profiter des opportunités au niveau international, mais également des fonds disponibles sur le continent. Le tarissement de l’aide et des financements concessionnels est une réalité, d’où la nécessité de maximiser toutes les opportunités.

Jamais il n’y a eu autant de financements (majoritairement privés) disponibles à travers le monde ; des capitaux très importants existent même en Afrique, tout le monde en convient. Le premier Africa Investment Forum, que la Banque africaine de développement a organisé en Afrique du Sud début novembre, en est l’exemple le plus parlant : on ne peut pas simplement tendre la main et attendre que les financements viennent à nous. Les fonds existent, encore faut-il se donner les moyens et la capacité de les mobiliser.

Mais là, un travail colossal reste à faire, tant en termes d’ingénierie et d’intermédiation financière, que de mise à niveau des environnements d’affaires au niveau national et régional afin de capter ces ressources. Ce travail doit mobiliser l’ensemble des acteurs du continent à travers un partenariat véritablement transformateur. L’Afrique doit donc se faire confiance et accélérer la cadence. Ici, réside probablement le défi ultime pour le Groupe Afrique, l’AGN 3.0.

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