Par Jean-Paul Fritz
Il y a le feu à la planète. Plutôt que de s’en désoler, si on choisissait d’être optimistes et de changer le monde ? Le Club de Rome propose des solutions.
Dans 800 jours, les émissions de gaz à effet de serre doivent avoir atteint leur maximum. Elles doivent être divisées par deux d’ici 2030, et être à zéro en 2050. Si nous ne réussissons pas à atteindre ces objectifs, la cible des 2 degrés de réchauffement climatique ne pourra pas être atteinte, avec des conséquences dramatiques pour la planète et pour nos vies.
Le pessimisme consisterait à hausser les épaules et à se préparer à des temps encore pires que ceux que nous vivons. D’autant qu’à force de tirer sur la sonnette d’alarme, elle devient un bruit de fond que l’on n’entend même plus.
L’optimisme consiste à trouver des solutions, même si elles dérangent, même si elles bouleversent ce que nous pensions être un ordre établi quasi immuable. Plus que des solutions, c’est quasiment un plan pour sauver la planète que nous propose aujourd’hui le Club de Rome.
Ce groupe de réflexion international composé de scientifiques, d’économistes, de hauts fonctionnaires et d’industriels, n’en est pas à son coup d’essai : dès 1972, il remettait déjà en cause le dogme de la croissance. Signe des temps, son plan est détaillé ce samedi après-midi lors d’un colloque en ligne organisé en partenariat avec deux autres ONG, We Don’t Have Time et Global Utmaning.
Si nous arrivions à mettre en oeuvre ce plan de la dernière chance, le jeu en vaudrait la chandelle, assure le Club de Rome, qui nous propose « une vision du futur qui assurerait le bien-être du plus grand nombre et l’harmonie entre les humains et la nature. » On aimerait bien, mais alors, que faut-il faire ? Voici les grandes lignes à suivre.
En finir avec les énergies fossiles
La transformation de notre système énergétique vient bien entendu en tête de liste des changements que nous devons réussir.
Le calendrier est serré, et il commence par l’arrêt de tous les investissements pour l’exploitation et le développement du charbon, du pétrole et du gaz naturel après 2020. Il faudra aussi payer les combustibles fossiles à leur véritable prix, toujours d’ici 2020… mais avec des mesures d’accompagnement, des réductions d’autres taxes, des aides au plus démunis. Enfin, on devrait entièrement sortir de l’industrie des combustibles fossiles en 2050.
Côté véhicules, il faudra arrêter les ventes de véhicules à combustion interne en 2030 (diesel et essence dans le même panier). En parallèle, les nouveaux bâtiments devront atteindre la neutralité carbone (émissions totalement compensées) en 2030, et en 2050 pour les bâtiments rénovés. Les réseaux (électrique…) devront être à la neutralité carbone en 2040. L’acier, le ciment et les produits chimiques devront atteindre cette neutralité en 2050.
Pour parvenir à ce résultat, la capacité de production d’énergie solaire et éolienne doit dès à présent doubler tous les quatre ans, et les investissements annuels dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les technologies à faibles émissions dans les secteurs très émetteurs, doivent tripler.
Le Club de Rome souhaite également que les pays industrialisés signataires de l’accord de Paris versent un minimum de 100 milliards de dollars par an pour aider les pays pauvres au développement de technologies pauvres en carbone.
Une autre croissance est possible
« Nous ne pouvons plus baser le progrès sur un indicateur quantitatif, nous avons besoin d’un indicateur qualitatif, » assure Anders Wijkman, président honoraire du Club de Rome. En effet, la croissance est aujourd’hui évaluée en fonction du produit intérieur brut, mais cet indicateur, porté par l’augmentation de la production, est contesté.
Dans le plan de sauvegarde de la planète, il ne devra plus être un objectif, et il faudra adopter de nouveaux indicateurs pour mesurer le progrès d’une société dans son ensemble. Ces nouveaux indicateurs devront également mesurer le progrès humain, la prospérité, le bien-être. De plus, les effets sociaux et environnementaux de la production devront être décomptés de la croissance : on ne pourra plus baser sa prospérité sur ce qui endommage la planète.
La technologie à la rescousse
Le progrès technologique fait partie de cette nouvelle croissance et peut nous fournir des outils pour protéger la planète. Le Club préconise d’encourager les « technologies exponentielles, » celles qui progressent à très grande vitesse (comme l’a fait le secteur de l’informatique). L’intelligence artificielle, par exemple, pourrait nous apporter des solutions inédites.
Une « rupture technologique » est souhaitée, particulièrement « dans les secteurs où les émissions de carbone ont été difficiles à éliminer », comme l’agriculture, l’aviation, les transports, ou encore la production de matériaux fortement producteurs de carbone comme l’aluminium, l’acier et le ciment.
Il faudra réduire l’impact des matériaux que notre civilisation utilise de façon courante. Les trois précédents, bien sûr, mais aussi les matières plastiques, avec comme objectif de passer des 20% des émissions carbonées actuels à la neutralité carbone. Et pour ça, il faut de l’innovation, de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies, l’utilisation d’énergies renouvelables…
Protéger la planète
L’exploitation des terres est l’une des plus grosses sources d’émissions de gaz à effet de serre. Il faut donc changer cela, et « adopter les propositions de la FAO (organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture) en faveur d’une agriculture intelligente face au climat ». Il est aussi indispensable de protéger la forêt, l’un de nos boucliers contre l’emballement du changement climatique et une « contribution essentielle au bien-être de la planète et de l’humanité. »
Un moyen envisagé est de tripler les investissements actuels en faveur de la reforestation dans les pays en développement. Ou encore de répandre l’initiative française « 4 pour mille » en incitant les agriculteurs à la transition vers des pratiques durables.
Freiner la croissance… de la population !
La dimension humaine reste au centre du projet. Mais quelle humanité ? Il faudrait s’assurer qu’elle ne continue pas à croître, à consommer plus de ressources et polluer davantage.
« Chaque bébé qui naît devrait avoir une vie décente. De quelque manière dont nous regardons la situation, la population fait partie de l’équation, » assure Anders Wijkman.
Il est donc nécessaire de « s’assurer que nous gardons la croissance de la population sous contrôle ». Cela peut être réalisé en s’assurant que l’éducation et les services de santé adéquats sont fournis à tous, et notamment faire en sorte que d’ici 2020 l’accès aux contraceptifs soit assuré pour 120 million de femmes et jeunes filles supplémentaires.
Au cœur du problème, on trouve la nécessité absolue de « donner le pouvoir aux femmes de faire des choix sur la reproduction, son calendrier et la taille de la famille. »
Demander davantage aux plus riches
La transformation de la société devra être une « transition juste » pour toutes les populations. Il faut donc « reconnaître que le degré de changement social nécessaire pour une transformation réussie vers un futur soutenable s’étendra au travers de la société, exigeant des changements fondamentaux dans les comportements et en repensant les systèmes d’aides et de soins au niveau national et pour chaque communauté. » Comme l’explique Anders Wijkman, « il y aura des perdants. Nous devons être capables d’aider à la fois les travailleurs et les entreprises à effectuer la transition nécessaire. »
Il faudra aussi que les gouvernements aident à la diversification des industries qui rejettent beaucoup de carbone pour qu’elles réduisent leurs émissions, et cela peut passer par des incitations économiques et autres baisses de taxes.
On sera plus exigeants avec les plus riches de la planète, en leur demandant de réduire leurs émissions de moitié d’ici 2030. La mesure est logique, lorsqu’on sait que les 10% qui gagnent le plus vont causer 50% des émissions de gaz à effet de serre….
On ajoutera à cela le droit à l’action citoyenne, l’action en justice contre les pays qui ne rempliraient pas leurs objectifs climatiques doit aussi être reconnue.
« Vivre en harmonie avec la planète »
Le Club de Rome assure que si nous prenons en compte le changement climatique, « l’acceptation de cette réalité créera les bases d’une renaissance sociétale de proportions sans précédent. C’est la vision qu’offrent le club de Rome et ses partenaires, une vision du futur, qui amènera le bien-être du plus grand nombre et l’harmonie entre les humains et la nature. »
L’organisation appelle donc « les gouvernements, les responsables économiques, la communauté scientifique, les ONG et les citoyens à relever le défi de l’action climatique, afin que nous puissions survivre et émerger plus forts dans une civilisation prospère en équilibre avec les limites de notre planète. »
L’alternative ? Il n’y en a pas. Comme le résume très bien le professeur Hans Joachim Schellnhuber, climatologue, directeur émérite du Postdam Institute for Climate Impact Research, « le changement climatique arrive aujourd’hui en fin de partie, où très vite l’humanité va devoir choisir entre prendre des mesures sans précédent ou accepter qu’il est trop tard et en subir les conséquences. »
Jean-Paul Fritz
Journaliste