[Dossier VivAfrik] Centrale électrique de Bargny au Sénégal : le charbon sème la discorde

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Les travaux de la centrale à charbon de Bargny ont repris en même temps que la protestation des populations qui craignent de lourdes conséquences environnementales, économiques, sociales et sanitaires. Les autorités quant à elles, estiment que le Sénégal n’a pas le choix, ni de temps à perdre, s’il veut atteindre l’autosuffisance énergétique.

L’ouverture de la centrale électrique à charbon est donc prévue pour octobre 2017 et ce, malgré un retard sur les délais, un retard dans le bouclage du financement, et le rejet du projet par les populations de la Commune de Bargny. Les travaux de la construction de la centrale de Sendou ont redémarré sur fonds propre et sur décision souveraine de l’Etat du Sénégal, en ignorant complétement l’opposition des populations contre ledit projet ; entrainant un dilemme et des contradictions dans les rangs des partenaires financiers. Or, le Sénégal fait partie des 196 pays qui ont pris l’engagement d’accroître la part des énergies bas carbone dans la production d’électricité à 80% en 2050 dans le cadre de l’accord global de Paris sur le climat. Dés lors, ce coup de force pour achever la centrale à charbon de SENDOU fait désordre dans un pays résolument engagé dans la transition énergétique comme en atteste la mise en services de plusieurs centrales solaires en l’espace de quelques mois (Bokhol, Malikounda, Medina Dakar) et d’autres prévus y compris une centrale éolienne de 150 MW d’ici 2019.

Enjeux multiples

Implantée à 600 mètres de l’océan Atlantique et à 2 kilomètres de Bargny, dans le village de pêcheurs de Sendou, l’infrastructure suscite beaucoup d’interrogations. En effet, les populations environnantes sont préoccupées par les conséquences environnementales, économiques, sociales et sanitaires de l’exploitation d’une centrale à charbon à proximité des espaces habités. Cette exploitation viole à leurs yeux, le code de l’environnement et pourrait aussi occasionner une pollution atmosphérique, une pollution des eaux de surface et souterraines de la région, et entrainer la perte de leurs moyens de subsistance. Autant de nuisances qui font que les populations ont rejeté en bloc les propositions formulées dans le cadre de la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Aussi, elles ont servi à la Banque Africaine de Développement (BAD) – un des partenaires du projet- une plainte qui a conduit la banque à admettre avoir violé ses propres textes et procédures dans son mode de financement. A y voir de prés, la banque ne doit pas financer des projets qui impactent négativement sur l’environnement et l’économie : plus de 1000 femmes sont impactées par le projet selon certaines estimations. Le Conseil d’Administration du groupe de la BAD a approuvé l’évaluation de la recevabilité d’une vérification de la conformité du projet qui avait bénéficié d’un apport de 60 millions € de la BAD, octroyé en 2009.

Un projet problématique

Au-delà de l’infrastructure, la Centrale de Sendou est véritablement un projet à problèmes ; c’est le moins qu’on puisse dire. D’abord des difficultés dans son financement. D’une part, les difficultés de ses deux actionnaires : le suédois Nykomb qui n’est pas référencé dans le secteur, et l’investisseur marocain Advisory Finance Group (AFG) sans grande expertise dans le financement des centrales  à charbon, qui a accepté en fin de compte de vendre 50% de ses parts en juillet 2015 au groupe Quantum, propriété du magnat israélien Idan Ofer. Et d’autre part, le refus de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) de continuer à financer les travaux.

Ensuite dans son contexte et son cadre logique. Autant en 2009, en pleine crise énergétique économique et financière, une centrale à charbon pour un pays dépendant du pétrole pour l’essentiel de sa consommation énergétique pouvait se justifier, autant en 2017 un investissement dans une centrale à charbon perd sa rationalité ; tellement le contexte est différent. Le prix du baril a chuté de près du tiers, entrainant dans sa chute la baisse subventions étatiques au secteur et des économies substantielles sur la facture pétrolière du Sénégal.

L’accord de Paris sur le climat en 2015 et les Objectifs de Développement Durable la même année sont passés par là, entre temps, apportant avec eux un nouveau paradigme du progrès social et du développement, qui se doit d’être durable, avec comme priorités l’urgence écologique et les intérêts des générations futures. C’est dire combien le projet de centrale à charbon est décalé des exigences de l’heure. Cependant, contre vents et marrées, la Direction de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec), assure que la construction de la centrale à charbon de Sendou ira inexorablement à son terme bien qu’elle reconnaisse aux habitants de Bargny le droit de contester. Du côté des autorités, la messe est dite et le pays n’a pas le choix s’il veut atteindre ses objectifs d’autosuffisance en énergie et d’émergence économique et sociale. La centrale est achevée à 70% et c’est l’Etat qui a pris la décision de poursuivre les travaux. D’un coût global estimé à (100 milliards de francs CFA ( 206 millions €), le projet est pour le pays et pour la Senelec, le premier grand site de production d’électricité ( entre 125 MW et 150 MW) devant entrer en activité dans le cadre du Plan Sénégal (PSE), soit le cinquième de la capacité électrique actuelle du pays. Donc des enjeux à la fois énergétique, économique et social pour l’Etat.

 Le hic avec les centrales à charbon

Le charbon est la première énergie aujourd’hui, ce sera certainement le cas encore pendant longtemps. Il est urgent de s’inquiéter des dangers des énergies fossiles en général, du charbon en particulier. Les inquiétudes des populations de Bargny se justifient car, au sujet de la pollution environnementale, de nombreux gouvernements dans le monde ont décidé d’éliminer graduellement ou de ne pas installer les centrales thermiques au charbon. Aussi, de nombreuses études ont fini de démontrer les méfaits du charbon sur l’écosystème et l’environnement. Le charbon constitue une menace majeure pour notre climat. À elle seule, une centrale au charbon d’une capacité de 150 mégawatts produit plus d’un million de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre par année, soit autant que 300 000 voitures.

L’énergie produite au charbon est la principale source d’émission de mercure, un métal dangereux pour les personnes, les poissons et la faune. Les poissons peuvent accumuler dans leur système plus de mille fois la quantité de mercure retrouvée dans leur environnement marin; c’est ce qu’on appelle la bioaccumulation. On sait que le mercure a des effets sur les facultés d’apprentissage et le développement neurologique des enfants.

La combustion du charbon produit également de grandes quantités de dioxyde de soufre, d’oxyde d’azote et de particules fines. Les particules fines rejetées sont scientifiquement reconnues comme « substances toxiques » à cause des effets qu’elles provoquent : problèmes respiratoires, irritations, inflammations, dommages causés aux poumons ainsi que morts prématurées.

Le dioxyde de soufre présent dans l’air peut aussi se transformer en acide sulfurique et se mélanger à la pluie ou à la neige, créant ainsi des précipitations acides. Les pluies acides peuvent avoir de graves impacts écologiques sur les lacs et eaux de surface car, en modifiant l’acidité de l’eau, elles transforment les lacs en milieux inhabitables pour les poissons, les plantes et les animaux.

Ce qui est plus que probable, c’est de considérer que la centrale de Sendou ne sera pas achevée par la BAD qui a envoyé des missions au Sénégal pour des enquêtes sur la conformité du projet ou si l’infrastructure respecte les normes. Ce qui reste également constant, c’est la contradiction évidente entre le maintien de ce projet et les engagements du Sénégal à l’accord de Paris de lutter contre le réchauffement climatique, contenus dans sa Contribution Prévue Déterminée au niveau National (un portefeuille de mesures permettant une réduction de 21% des émissions de GES à l’horizon 2030). Le maintien de la Centrale est d’autant plus incompréhensible que le Sénégal a un formidable potentiel en sources d’énergies propres, à peine entamé. Mieux, le Projet de centrale à charbon ne figure pas dans les options inconditionnelles du Sénégal en matière de mix énergétique. Autrement dit, il est possible de réussir la transition énergétique, et d’atteindre l’accès universel à l’électricité visé par le Sénégal en 2025 (100% de taux de couverture et raccordement d’au moins 90% des ménages ruraux en 2025), sans pour autant avoir besoin d’une centrale à charbon polluante, qui impacte négativement les populations et l’environnement.

Un mix énergétique basé sur des sources renouvelables, et des sources moins polluantes n’est pas un luxe pour le Sénégal. C’est largement à la portée du Sénégal au moment où les coûts de production des énergies propres ne cessent de baisser (solaire, éolien, notamment), les technologies plus accessibles ; sans compter les solutions offertes au Sénégal par la biomasse, le biogaz, l’hydroélectricité dans le cadre de l’OMVS et de l’OMVG, et très prochainement, le Gaz Naturel Liquéfié(GNL) avec les récentes découvertes de gisements de Gaz. La transition énergétique, c’est tout à la fois une exigence planétaire et une nouvelle civilisation à laquelle le Sénégal n’a d’autres choix que d’y adhérer ; au regard des effets négatifs des changements climatiques déjà perceptibles sur des secteurs entiers de notre économie. La question climatique est devenue non pas seulement une préoccupation environnementale mais également, de développement, vu ses impacts multiformes. D’où l’importance d’intégrer pleinement les changements climatiques et l’environnement dans les politiques économiques et sociales de nos Etats en quête d’émergence.

Par Bacary Seydi / Vivafrik

 

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