L’année 2015 a été la plus chaude de l’époque moderne depuis que les données météorologiques ont commencé à être enregistrées en 1880. C’est le constat fait mercredi 20 janvier par l’Agence océanique et atmosphérique américaine (NOAA) et l’Agence spatiale américaine (NASA), suite aux recherches effectuées par chacune des deux agences, rapporte huffpostmaghreb.com.
En 2015, les températures enregistrées aux quatre coins de la planète ont ainsi dépassé de 0,90°C la moyenne du XXe siècle, et de 0,16°C le dernier pic de chaleur enregistré en 2014, selon les chiffres de la NOOA. Le mois de décembre a été particulièrement chaud, dépassant de 1,11°C la moyenne du XXe siècle.
Ce record de chaleur a touché quasiment toutes les parties du globe, et le Maroc n’a pas été épargné. Si le début de l’année 2015 n’a pas été hydrologiquement sec suite aux grosses inondations de la fin 2014, l’année a cependant été assez chaude (20°C de moyenne dans diverses régions du pays) et sa pluviométrie n’a pas été importante (200 à 300 mm sur les plaines).
Pourquoi a-t-on eu chaud en 2015?
« C’est ce que j’appelle le ‘nouveau climat' », explique au HuffPost Maroc Mohammed Said Karrouk, professeur de climatologie à l’université Hassan II à Casablanca et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). « Il ne faut plus parler de changement climatique, mais de ‘climat réchauffé’. La planète terre évolue d’une nouvelle manière, avec un climat qui fonctionne plus rapidement vu l’excès d’énergies », indique-t-il.
Dans le détail, ce nouveau climat est caractérisé par l’augmentation de la température emmagasinée dans les océans, « endroits les plus aptes à absorber la température solaire et atmosphérique », précise M. Karrouk. Le réchauffement des mers est ainsi un bon indicateur du réchauffement climatique. L’année 2015 a aussi été particulièrement chaude car la circulation atmosphérique a changé: elle est devenue plus méridienne (ondulante) que zonale (rectiligne). Autrement dit, la chaleur qui vient du sud pousse vers le nord, créant une onde positive chaude, suivie d’une onde négative froide.
C’est cette onde positive qui a été dominante en Afrique du nord mais aussi en Europe de l’ouest, régions du globe qui ont connu une grande chaleur pendant tout l’automne mais aussi au mois de décembre. L’onde négative froide, elle, s’est plutôt installée à l’est: en Turquie, dans les Balkans, et même au Moyen-Orient où la neige est tombée.
« L’air chaud assèche la terre en milieux arides, mais il a la capacité de contenir beaucoup de vapeur d’eau. » »Les chercheurs s’accordent à dire que cela s’inscrit dans une dynamique atmosphérique globale qui dévie de la régularité au profit des événements extrêmes », explique Mohamed El Mehdi Saidi, professeur de climatologie et hydrologie à l’université Cadi Ayyad de Marrakech. « L’augmentation de la température de l’air y serait pour beaucoup, car l’air chaud assèche la terre en milieux arides, mais il a la capacité de contenir beaucoup de vapeur d’eau. Le refroidissement brusque de cet air condense toute cette vapeur et amène de très fortes précipitations avec leurs lots de dégâts qu’on connaît », ajoute-t-il. Ainsi, le 6 août 2015, Marrakech a reçu 13 fois sa moyenne de précipitations du mois d’août en une heure.
Si le Maroc a connu une année particulièrement chaude, c’est également dû en grande partie à un phénomène bien connu des climatologues, El Niño (un phénomène climatique caractérisé par des températures anormalement élevées) comparable – si ce n’est plus intense – à celui de 1998, le plus fort jamais enregistré jusqu’à présent. « Ce phénomène cyclique (qui revient tous les trois à sept ans, ndlr), a participé à la hausse de la température cette année, et à l’intensification des ‘crêtes planétaires’, c’est-à-dire ces ondes positives chaudes qui poussent vers le pôle, laissant peu de place au froid », explique M. Karrouk.
2016, année sèche?
Doit-on s’attendre à une nouvelle année de sécheresse au Maroc? « C’est très probable, même si les conditions ont changé », ajoute le professeur. Si certaines périodes de sécheresse que le royaume a connues dans les années 40 ou 80-90 pouvaient s’étaler sur deux, trois voire cinq ans, aujourd’hui, elles pourraient donc être plus courtes. « Il se peut que l’onde positive chaude se déplace vers le centre de l’océan, et que l’onde négative touche alors le Maroc. Dans ce cas, la vapeur d’eau présente dans l’atmosphère pourrait engendrer de fortes pluies, voire des inondations », indique M. Karrouk.
« La machine climatique fonctionne comme un moteur: plus on accélère, plus il tourne rapidement » »Ce que nous vivons aujourd’hui sont les caractéristiques mêmes du nouveau climat. Quand il pleut, il pleut abondamment. Quand il ne pleut pas, il fait plus chaud, et l’évaporation est plus intense. L’équilibre climatique dans lequel nous vivions auparavant n’existe plus », poursuit-il. « La machine climatique fonctionne comme un moteur: plus on accélère, plus il tourne rapidement et plus le travail fourni est important. D’où les phénomènes climatiques extrêmes observés ».
Ce qui explique aussi pourquoi les barrages marocains n’ont jamais été aussi remplis qu’aujourd’hui. « Malgré la sécheresse, les pluies ont été très abondantes depuis 2005-2006, et nous avons quand même plus de 60% de stockage d’eau dans nos barrages », rappelle le climatologue. « Pour moi, plus qu’une question de ressources, c’est une question de gestion de cette eau qui pose aujourd’hui problème à l’agriculture marocaine », estime-t-il.
Problème: aujourd’hui encore, environ 15% seulement des surfaces cultivables du pays sont irriguées. « Ce qui signifie que 85% des terres marocaines restent dépendantes des aléas de la pluie », confiait au HuffPost Maroc Najib Akesbi, économiste spécialiste des politiques agricoles. Une baisse des précipitations pourrait donc mettre en péril l’économie marocaine, qui repose à 14% sur l’agriculture.
Pour Mohamed El Mehdi Saidi, l’année 2016 s’annonce en effet déjà avec un stress hydrique. « Il faut bien s’attendre à tous les extrêmes (humides ou secs) concernant la pluviométrie. C’est pourquoi pour le Maroc, le scénario catastrophe est moins la hausse des températures que la baisse des précipitations ».
Et en 2050?
Qui dit climat réchauffé, dit ouverture d’une nouvelle « ère » climatique. « La température que nous connaissons aujourd’hui a été emmagasinée il y a des années dans les océans et dans l’atmosphère. C’est ce que l’on appelle les ‘mémoires’ ou les ‘batteries’ du climat », explique Mohammed Said Karrouk.
Ainsi, la situation thermique actuelle s’est en quelque sorte formée il y a une trentaine d’années. « De la même manière, le climat que nous vivons aujourd’hui risque de se poursuivre pendant trente ans, donc jusqu’en 2045-2050 », ajoute le climatologue. « Il faudrait que les Marocains, mais plus généralement les Terriens, prennent conscience que les caractéristiques climatiques que nous connaissons aujourd’hui seront celles que nous vivrons pendant les décennies à venir ».
« Les simulations pour les horizons 2040, 2070 et 2099 montrent une situation caractérisée par une augmentation globale des températures qui peut aller en moyenne respectivement jusqu’à 1°, 1,9° et 3,6° C, et une diminution respective des précipitations de 4,4%, 11,9% et 22,3% », explique de son côté M. Saidi, tout en précisant qu’il faut « rester prudent » sur ces prévisions.
« La hausse des températures serait plus grave à l’est et au sud est du Maroc »Au Maroc, « la hausse des températures serait plus grave à l’est et au sud est, où des scénarios pessimistes prévoient jusqu’à 5 degrés d’augmentation » (cf. carte ci-dessous). « Pour les précipitations, ce sont les régions du nord, habituellement humides (600 à 800 mm/an auparavant) qui seraient touchées par une diminution qui peut atteindre 40%, toujours selon les scénarios pessimistes », ajoute le spécialiste.
Si le Maroc risque de connaître des périodes d’intense sécheresse, reste en effet à savoir si les pluies suivront ou non. « Nous avons remarqué qu’avec l’augmentation de la température, le cycle de l’eau a changé. L’évaporation a été plus intense après une longue période caractérisée par de grandes sécheresses. Depuis 2006, nous observons que l’atmosphère nous rend cette vapeur d’eau de manière féroce », explique le climatologue qui rappelle que l’eau a été très abondante lors des inondations de novembre 2014, « mais aussi en 2012, 2010, 2009, etc. »
Quelles conséquences?
« Certains disent que l’eau va manquer dans plusieurs régions du monde, dont l’Afrique du nord. Ces théories se basent sur des informations que nous connaissons aujourd’hui. Mais nous ne connaissons pas tous les secrets de l’atmosphère: il reste des incertitudes », rappelle M. Karrouk.
« La hausse des températures et la baisse des précipitations risquent d’avoir des conséquences redoutables »Toujours est-il que la hausse des températures et la baisse des précipitations risquent d’avoir des conséquences « redoutables pour l’homme et le milieu », indique M. Saidi. « Le couvert végétal et les sols propices à l’agriculture seraient dégradés par la désertification. Par ailleurs les réserves d’eau douce disponibles chaque année pour chaque habitant passeraient au-dessous du seuil de 500 mètres cubes, alors que le seuil d’alerte est, selon l’ONU, de l’ordre de 1.700 m3 par an et par habitant ».
« La pénurie hydrique affectera diverses activités économiques et la population sera obligée de s’adapter à une utilisation rationnelle et limitée », poursuit le professeur.
Point positif pour le Maroc: le pays ne partage pas ses bassins hydrographiques et ses cours d’eau avec d’autres pays. Aussi, des conflits internationaux autour de l’eau ne seraient pas à l’ordre du jour, alors qu’ils sont tout à fait prévisibles dans d’autres pays, notamment au Proche-Orient où plusieurs fleuves sont transfrontaliers.