Les fleuves du continent représentent un potentiel considérable et sous-exploité : une énergie propre et parmi les moins chères au monde. Mais pour les États, la construction d’un barrage est un très long parcours semé d’embûches.
Le chiffre est sidérant. « Si le fleuve Congo, le Zambèze, la Volta ou encore le Nil s’écoulent naturellement à travers le continent et pourraient lui fournir de précieux mégawatts (Mw), seulement 5 % du potentiel hydroélectrique de l’Afrique est utilisé », slon Alex Rugamba, responsable du secteur de l’énergie à la Bad interviewé par jeuneafrique.com en marge de l’Africa Energy Forum qui s’est tenu à Dubaï du 8 au 11 juin 2015. Un mois plus tôt, à Abidjan, lors des Assemblées générales de cette institution, le président ivoirien, Alassane Ouattara, a qualifié cette situation d’ « inacceptable » alors que même l’accès à l’énergie est l’une des préoccupations majeures sur l’ensemble du continent. Selon l’Agence internationale de l’énergie (Aie) visité par vivafrik.com, l’eau pourrait lui apporter 300 Gw d’électricité. Soit l’équivalent de ce que peuvent produire 300 réacteurs nucléaires. À elle seule, la Rd Congo a répertorié 200 sites, représentant 100 Gw. Malgré les gisements importants présents en Afrique centrale mais aussi en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est, plus de 70 % de la population du continent reste plongée dans le noir.
Puissante et prévisible (contrairement au solaire ou à l’éolien), l’hydraulique peut être utilisée comme énergie de base d’un réseau électrique, permettant ainsi d’éviter les délestages ou d’alimenter plus aisément des industries ou des mines, très consommatrices d’électricité. Surtout, elle ne nécessite pas de combustibles, une aubaine dans un monde marqué par la variation des cours des hydrocarbures. Enfin, elle est plus respectueuse de l’environnement que le gaz ou le charbon, qui produisent des gaz à effet de serre. Mais malgré tous ces atouts, les États africains peinent à développer cette énergie. Pourquoi ? D’abord en raison du coût de la construction des barrages. « Dès qu’un projet dépasse 100 Mw, le budget est généralement supérieur à 500 millions d’euros », avance un expert. Soit en moyenne 50 % de plus qu’une centrale thermique, à gaz ou à charbon. La construction de ces imposants ouvrages de béton peut en effet impliquer la réalisation de canaux, de routes, de lignes haute tension, etc. « On l’oublie souvent, mais le volet Btp revient particulièrement cher en Afrique car il faut importer la majorité des matériaux de construction », souligne Gad Cohen, associé chez Eleqtra, société spécialiste du développement, de la construction et de l’exploitation d’infrastructures énergétiques. Résultat : même si une fois construites et amorties ces infrastructures peuvent délivrer un kilowattheure dont le prix n’excède pas 5 F CFA (0,008 euro), elles attirent peu d’investisseurs.
Ces derniers peuvent être d’autant plus réfractaires que la phase de « développement » du projet est particulièrement longue et onéreuse dans le domaine de l’hydraulique. Cette étape, qui peut représenter 20 % du coût total, comprend tous les travaux préparatoires, depuis l’idée jusqu’à la pose de la première pierre. Il faut étudier avec précision le débit et la régularité de l’eau, la géologie du site, les besoins en électricité mais aussi décrypter l’environnement économique et juridique. Un processus qui s’étend sur une dizaine d’années (contre quatre ans en moyenne pour une centrale thermique). Et qui reste incertain. Car, à son terme, le projet peut être abandonné faute de résultats convaincants. En Ouganda, près de vingt ans se sont écoulés entre le lancement des études pour le barrage de Bujagali et sa mise en service, en 2012.
Rémunérer des experts pendant plusieurs années implique de disposer d’une large trésorerie. Les États confient donc cette tâche à des développeurs, dans le cadre de partenariats public-privé (Ppp). « En Afrique, peu d’entre eux ont la capacité et le temps pour porter de tels projets. En particulier les fonds d’investissements, qui ne travaillent pas sur un si long terme », note Bertrand de la Borde, responsable du département infrastructures de la Société financière internationale (Ifc). La Banque mondiale, indique-t-il, a créé à cet effet un fonds de développement, Infra Ventures, qui travaille sur les barrages de Kenié, au Mali, et de Nachtigal, au Cameroun.
Moctar FICOU / VivAfrik