Face à l’urgence climatique et à un financement international souvent insuffisant, l’Afrique explore activement les crédits carbone comme source alternative de revenus. Ce mécanisme permet aux pays ou entreprises pollueurs de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en finançant des projets écologiques dans les pays du Sud. Selon une récente étude, ce marché pourrait rapporter à l’Afrique jusqu’à 6 milliards de dollars d’ici à 2030, une manne financière potentiellement révolutionnaire pour le continent.
Pour Jacques Assahoré Konan, ministre de l’Environnement de Côte d’Ivoire, l’opportunité est réelle, mais exige une préparation rigoureuse. « Cette initiative reste relativement nouvelle pour nos États, qui doivent encore apprendre à maîtriser ses subtilités. En Côte d’Ivoire, nous venons de finaliser un cadre réglementaire, une étape essentielle pour garantir une gestion efficace et transparente de ce marché. »
Exemple de la Côte d’Ivoire : des succès mesurés
En Côte d’Ivoire, le projet de préservation de la forêt de Taï, l’un des derniers bastions de forêt primaire en Afrique de l’Ouest, a permis de récolter 35 millions de dollars via les crédits carbone. Près de 50 % de ces fonds ont été redistribués aux communautés locales, illustrant comment ces mécanismes peuvent stimuler à la fois la protection environnementale et le développement socio-économique.
Cependant, des défis subsistent. Le ministre ivoirien souligne que ces crédits ne doivent pas devenir un simple permis de polluer pour les pays riches. « Nous observons un engouement des entreprises et pays émetteurs, mais nous devons nous assurer que ces crédits carbone contribuent réellement à la réduction des émissions mondiales et non à légitimer des pratiques polluantes ailleurs », explique-t-il.
Des doutes persistants : efficacité ou greenwashing ?
Le marché des crédits carbone est souvent critiqué pour son manque de transparence et ses résultats mitigés. Une étude révèle que seulement 16 % des projets financés par ces crédits permettent une réelle réduction des émissions de GES, tandis que les autres projets sont accusés de greenwashing. Ce manque de fiabilité alimente les scepticismes, notamment chez les scientifiques et les défenseurs de l’environnement.
En parallèle, certaines organisations dénoncent la réticence des pays développés à financer directement l’action climatique dans les pays du Sud, préférant recourir à des crédits carbone comme solution moins coûteuse. Cette approche soulève des questions éthiques et pratiques sur l’équité climatique.
Les enjeux pour l’Afrique à la COP29
La COP29, qui se tiendra en 2024, pourrait marquer un tournant décisif pour les crédits carbone. Après presque une décennie de négociations, un cadre global pour réguler et encadrer ce marché pourrait enfin voir le jour. Pour l’Afrique, les enjeux sont multiples : il s’agit de garantir des revenus stables : Les crédits carbone représentent une opportunité pour financer des projets locaux, allant de la reforestation à l’amélioration des infrastructures vertes ; de préserver les droits des communautés locales : Il est crucial que les fonds générés soient redistribués de manière équitable et servent au développement durable des populations concernées et d’éviter les abus. Les États africains doivent veiller à ce que ces mécanismes ne deviennent pas un prétexte pour les pays industrialisés à repousser leurs engagements de réduction d’émissions.
Créer un cadre africain pour maximiser l’impact
Pour maximiser les bénéfices des crédits carbone, les pays africains doivent développer des cadres réglementaires solides et investir dans des infrastructures adaptées. Cela inclut des systèmes de suivi et de vérification pour garantir la transparence des projets, ainsi que des programmes de formation pour les acteurs locaux.
Des efforts comme ceux observés en Côte d’Ivoire, où un cadre législatif clair a été établi, doivent être généralisés à travers le continent. En outre, des mécanismes de coopération régionale pourraient permettre aux pays africains de négocier collectivement des conditions plus favorables sur le marché mondial des crédits carbone.
Une opportunité à double tranchant
Les crédits carbone, bien qu’imparfaits, offrent à l’Afrique une occasion unique de financer sa transition écologique tout en contribuant à la lutte contre le changement climatique. Cependant, sans un cadre rigoureux et des engagements fermes des pays développés, ce mécanisme pourrait se retourner contre les ambitions africaines.
Pour réussir, la COP29 devra poser les bases d’un marché des crédits carbone transparent, équitable et réellement efficace. L’Afrique, riche de son potentiel naturel et de sa jeunesse, a tout à gagner si elle sait s’organiser et défendre ses intérêts dans cette nouvelle économie verte.
Moctar FICOU / VivAfrik