Par Fernando Duarte
« Je suis inquiet pour eux. Ils vont se faire tuer et nous allons tous disparaitre ».
Lorsque Rita Piripkura s’est adressée à la caméra, le plus frappant était le ton de résignation dans sa voix.
La femme âgée faisait référence à son frère Baita et à son neveu Tamandua dans une interview enregistrée publiée en septembre 2021 dans les colonnes de bbc.com.
Ces trois personnes sont les derniers membres connus du peuple isolé des Piripkura, une tribu indigène du centre du Brésil qui, selon les experts, est confrontée à une « extinction imminente » en raison de l’exploitation forestière et de l’élevage illégaux dans leur réserve.
Alors que Rita vit en contact régulier avec des étrangers, Baita et Tamandua passent leurs journées à parcourir l’Amazonie dans l’isolement le plus total. Elle craint que même cette occupation innocente puisse s’avérer mortelle pour eux.
Une bataille perdue d’avance
Située dans l’État du Mato Grosso, région pivot de l’agrobusiness brésilien, la réserve de Piripkura perd la bataille contre les bûcherons et les agriculteurs qui envahissent son territoire, pourtant protégé par la loi.
Si les Piripkura subissent les incursions d’étrangers depuis une génération, le rythme de la destruction s’est accéléré ces derniers temps : dans un rapport publié début novembre 2021, qui présentait des preuves photographiques de la déforestation, un réseau d’ONG a affirmé qu’une superficie de près de 24 kilomètres carrés de forêt a été défrichée dans la réserve de Piripkura entre août 2020 et juillet 2021 seulement.
C’est l’équivalent de plus de 3 000 terrains de football réunis.
Alors que d’autres réserves indigènes à travers le Brésil luttent également contre les bûcherons, les agriculteurs et les mineurs, le peuple de Piripkura est confronté à une situation particulièrement désastreuse.
« Ils sont proche de l’extinction et pourraient être tués en quelques jours », explique à la BBC Sarah Shenker, chargée de campagne à l’ONG de défense des droits des indigènes Survival International, basée à Londres.
« Les envahisseurs se rapprochent sans cesse de Baita et Tamandua ».
Il existe de bonnes preuves que les étrangers empiètent rapidement sur la réserve, selon Leonardo Lenin, ancien coordinateur à la Funai, l’agence gouvernementale brésilienne des affaires indigènes, qui a beaucoup travaillé avec les tribus du Mato Grosso.
Aujourd’hui secrétaire général de l’ONG Observatoire des droits de l’homme des indigènes (OPI), l’une des organisations qui a rédigé le rapport Piripkura, il affirme que la déforestation a été observée à des points situés jusqu’à 5 km des zones où Baita et Tamandua ont été vus ou ont laissé des traces de leur présence.
Cette distance peut sembler adéquate, mais compte tenu de la taille de la réserve – 2 430 kilomètres carrés – elle est en fait très proche.
« Ils sont en grand danger, cela ne fait aucun doute », déclare Lenin.
« Nous avons également entendu des rapports selon lesquels des inspecteurs de la Funai et de l’agence brésilienne de protection de l’environnement ont été menacés par des envahisseurs ».
La situation critique des tribus isolées
Les Piripkura sont un exemple de ce que les experts autochtones appellent les tribus sans contact ou isolées – des peuples entiers ou des groupes plus petits qui n’ont eu aucun contact régulier avec leurs voisins ou quiconque dans le monde extérieur.
On estime qu’il existe plus de 100 de ces groupes dans le monde, dont plus de la moitié dans la région amazonienne.
Un tel isolement est souvent le résultat d’affrontements avec des envahisseurs, et les Piripkura ont eu leur lot de problèmes.
Des dizaines de leurs membres ont été tués dans les années 1970, massacrés par des envahisseurs ou contractant des maladies courantes comme le rhume, qui se sont avérées mortelles pour des systèmes immunitaires qui n’avaient jamais rencontré de tels virus.
Rita se souvient d’avoir survécu à un tel massacre, au cours duquel neuf de ses proches sont morts.
« Ils (les envahisseurs) les ont tués et nous avons dû fuir », dit-elle.
En plus de réduire considérablement leur nombre, Lenin explique que les affrontements ont eu un impact majeur sur le mode de vie des Piripkura.
« Leur langue comporte des mots pour décrire les pratiques agricoles, ce qui suggère qu’ils avaient une sorte de société agraire dans le passé ».
« Mais depuis les années 1970, ils sont devenus des chasseurs-cueilleurs nomades ».
« C’est leur stratégie de survie d’être toujours en mouvement ».
Lorsque les Piripkura ont été contactés pour la première fois par la Funai en 1984, les travailleurs ont indiqué qu’il ne restait que 15 à 20 individus vivant dans toute la réserve.
Mais seuls Baita et Tamandua ont été repérés depuis les années 1990.
Fabricio Amorim, un expert des peuples indigènes sans contact qui a également travaillé avec les Piripkura, affirme que Baita et Tamandua avaient mentionné l’existence de « parents » errant encore dans la forêt lors de contacts précédents.
« Le problème est qu’ils n’ont pas mentionné ces parents depuis des années. Cela ne signifie pas automatiquement qu’ils sont morts, mais ce n’est pas non plus un bon signe », admet Amorim.
« Le fait que nous ne puissions pas affirmer avec certitude qu’il n’y a pas d’autres Piripkura dans les environs rend encore plus importante la préservation de leurs terres », ajoute-t-il.
Un président hostile
Les défenseurs des droits des autochtones font porter la responsabilité de l’intensification des destructions dans la réserve de Piripkura spécifiquement au président brésilien Jair Bolsonaro.
Avant même de devenir président en 2019, Bolsonaro a exprimé son soutien à une plus grande exploitation commerciale de l’Amazonie et son opposition à la politique des réserves indigènes, alors que leurs droits fonciers sont garantis par la constitution brésilienne.
En 1998, alors qu’il était encore membre du Congrès, Bolsonaro a déclaré au journal Correio Braziliense qu’il était « dommage » que l’armée brésilienne « ne soit pas aussi efficace » que ses homologues américains pour « exterminer les populations indigènes ».
Le président affirme que les Brésiliens indigènes, qui représentent un peu plus de 1,1 million de personnes sur les 213 millions d’habitants que compte le pays (selon l’IBGE, l’office national des statistiques), ne devraient pas avoir droit à des territoires qui couvrent actuellement environ 13 % de la superficie du pays, alors que la Constitution actuelle du Brésil, entrée en vigueur en 1988, l’exige.
Bolsonaro est actuellement le premier président brésilien depuis 1988 à ne pas avoir signé un seul décret de démarcation des terres autochtones, et les groupes de défense des droits de l’homme ont signalé une augmentation des épisodes de conflit impliquant des autochtones depuis l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro.
Conflits juridiques
La réserve de Piripkura est actuellement protégée par un instrument juridique connu sous le nom de Land Protection Order, qui couvre les territoires tribaux qui n’ont pas été soumis au long processus de démarcation officielle.
Les ordres juridiques doivent être périodiquement renouvelés, mais le dernier renouvellement en date, en septembre, n’a prolongé la protection que de six mois supplémentaires – les années précédentes, la période allait de 18 mois à trois ans.
« Ce raccourcissement envoie tous les mauvais messages et donne aux envahisseurs l’espoir qu’ils pourront s’emparer des terres autochtones plus tôt que prévu », estime M. Amorim.
Une autre évolution inquiétante a eu lieu en décembre 2020 : le service géologique brésilien, une agence gouvernementale, a commencé à publier des cartes détaillées des emplacements possibles des ressources minérales souterraines (comme l’or) sur le territoire brésilien.
La première série de cartes portait spécifiquement sur la région nord du Mato Grosso, où se trouve le territoire de Piripkura.
Dans un communiqué, la Funai a déclaré à la BBC qu’elle apportait aux Piripkura « toute l’aide nécessaire en termes de protection du territoire, de sécurité alimentaire et d’accès aux services de santé ».
« Il y a également eu des opérations inter-agences visant à lutter contre les transgressions dans la zone », peut-on lire dans le communiqué.
Rita est catégorique : cette promesse ne suffit pas à préserver l’avenir de son peuple.
Aujourd’hui, elle vit dans la réserve voisine de Karipuna après avoir épousé un membre de cette tribu, et elle aide occasionnellement la Funai dans ses expéditions dans le Mato Grosso. Mais elle ne s’est pas rendue dans la réserve de Piripkura depuis le début de la pandémie et craint d’être bientôt le seul membre restant de sa tribu.
« Chaque fois que je visite la réserve, je vois de plus en plus d’arbres tombés. Il y a beaucoup d’étrangers dans le coin », prévient-elle.
« Ils pourraient facilement tuer mon frère et mon neveu ».
Fernando Duarte, BBC World Service