Par Olivier de Souza
Nées au cours des années 70, les technologies de captage et de stockage de CO2 (CSC) consistent à récupérer, comprimer, transporter le carbone issu des processus de production industrielle, puis à l’injecter dans le sous-sol. Jusqu’ici, elles n’ont été mises en œuvre qu’à petite échelle. Le cabinet de conseils en ressources naturelles Wood Mackenzie a néanmoins produit une étude dans laquelle il estime qu’elles peuvent répondre efficacement à la problématique mondiale de l’élimination du carbone, si des économies d’échelle sont réalisées dans ce sens.
État des lieux du CSC
Malgré plus de 50 ans d’existence, les technologies de CSC sont très peu présentes dans les chaines de valeurs industrielles dans le monde. En 2019, sur les 33 gigatonnes de CO2 émis, seulement environ 40 millions de tonnes ont été récupérées. Depuis quelques années, les volumes de CO2 récupérés par CSC se trouvent dans cette fourchette. C’est anecdotique quand on considère l’importance de la problématique de l’élimination du carbone d’ici 2050. Les acteurs du secteur ont pourtant bien conscience que le CSC jouera un rôle clé dans la neutralité carbone.
Il faut remarquer que la faible adoption du CSC est due à des obstacles techniques et à un manque d’incitation commerciale. Les technologies de captage les plus répandues consomment beaucoup d’énergie, ce qui fait grimper les coûts, notamment pour les applications avec des flux de CO2 à faible concentration comme le ciment ou l’acier. Quant aux technologies les plus récentes, elles consomment moins d’énergie, mais ont des taux de captage plus faibles et sont moins évolutives.
D’après l’Agence internationale de l’énergie, en 2016, seulement 0,1% des investissements totaux dans l’énergie bas carbone ont été faits dans le CSC. C’est 1,2 milliard de dollars, contre 297 investis dans les énergies renouvelables et 231 dans l’efficacité énergétique.
Pour répondre efficacement au besoin d’investissements dans cette technologie, il faudra investir 60 milliards de dollars dans ce segment d’ici à 2025.
Selon l’Agence française pour la transition énergétique (ADEME), la faible adhésion au CSC est due à son coût : 100 à 150 € par tonne de CO2 évité. On lui reproche surtout d’être une solution uniquement compatible avec des sites très fortement émetteurs, nécessitant en plus des adaptations au cas par cas. Mais pour Wood Mackenzie, la solution réside dans la mise en place d’économies d’échelle.
La nécessité d’une économie d’échelle
Contrairement aux idées reçues, on continuera à consommer du pétrole et du gaz naturel en 2050, même si les énergies renouvelables joueront à cet horizon, un rôle clé dans le mix énergétique mondial.
Wood Mackenzie table sur un peu moins de 30 millions de barils de pétrole par jour en 2050, et environ 3200 milliards de mètres cubes de gaz naturel.
« Pour maintenir le réchauffement climatique dans les limites de l’accord de Paris, les solutions à zéro carbone et les énergies renouvelables ne suffiront pas. Nous devons penser en termes d’évitement et d’élimination du carbone, ce qui signifie accélérer la montée en puissance du captage, de l’utilisation et du stockage du carbone, dès maintenant », estime Amy Bowe, responsable de la recherche sur le carbone chez WoodMac.
Le document de Wood Mackenzie suggère que pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C voire 2°C, il faudra réaliser des économies de CSC à l’échelle d’un bassin, ce qui apportera une réponse communautaire à un problème mondial. Ainsi, les groupements de CSC peuvent jouer un rôle central dans l’exploitation des économies d’échelle. Les synergies sont plus importantes lorsque les sources ponctuelles industrielles sont proches les unes des autres et d’un site de stockage viable.
Les centres de CSC pourraient relier plusieurs sources d’émissions industrielles à des sites de stockage communs, grâce à une infrastructure de transport partagée. Le partage des coûts et des responsabilités contribue à réduire les risques du projet pour tous les participants et peut rendre le CSC réalisable pour les sources moins importantes.
Wood Mackenzie a cartographié des sources d’émissions à l’aide de ses données sur les actifs, afin d’identifier les puits potentiels présentant les propriétés techniques appropriées pour le CSC à grande échelle. Au total, près de 1500 sites dans le monde pourraient servir au stockage du carbone à grande échelle, dont 62 % en Amérique du Nord, révèle son étude.
La société a examiné quatre sites en détail situés à moins de 100 km de sources ponctuelles industrielles, et ayant la capacité de stocker plus de 700 millions de tonnes de carbone. En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, un site a été répertorié à Alexandrie sur la côte nord de l’Égypte, avec un potentiel de stockage de 35 à 40 ans. Il a été précisé que certains facteurs comme les volumes et les types d’émissions, la proximité de réservoirs souterrains appropriés et les infrastructures de transport existantes doivent être pris en compte pour la réussite de ces projets.
« Si nous voulons avoir un impact sur les émissions, il est urgent d’engager un débat plus large sur la viabilité du CSC à l’échelle d’un bassin. Pour réussir, il faudra que les économies d’échelle triomphent des économies de gamme. Lorsqu’il est possible de réaliser des économies d’échelle dans le stockage à l’échelle d’un bassin, ces projets devraient avoir la priorité, car ils correspondent à de grandes concentrations d’émetteurs et à un grand nombre de sites de stockage techniquement viables », a déclaré Neeraj Nandurdikar, responsable mondial du conseil en matière d’énergies renouvelables chez WoodMac.
Quid du coup de pouce des pouvoirs publics ?
Les obstacles techniques qui bloquent la large adoption des CSC sont aggravés par le manque d’environnements politiques et de modèles commerciaux favorables, d’où l’importance de créer d’urgence un cadre réglementaire plus solide en la matière. Une réglementation gouvernementale et une politique fiscale favorables sont essentielles pour encourager les entreprises à utiliser des sites techniquement avantageux, suggère WoodMac.
L’AIE estime que le CSC pourrait contribuer à 20 % des efforts de réduction des émissions en 2050, mais les mesures incitatives des pouvoirs publics trainent encore.
Olivier de Souza, auteur à Ecofin