Par Sébastien Mabile
Du VIH au SARS, de la grippe aviaire à Ebola, les grandes épidémies naissent lors de contacts trop rapprochés entre les hommes et les animaux. Le risque est aggravé lorsque des espèces sont transportées loin de leur aire de répartition naturelle autour de laquelle les populations humaines ont pu développer une certaine immunité.
Après la détection d’un cas de grippe aviaire hautement pathogène chez un oiseau au Royaume-Uni, et en raison du risque sanitaire qu’il portait, l’Union européenne a décidé en octobre 2005 d’interdire toute importation d’oiseaux de pays tiers. Le lien entre prévention des maladies infectieuses et commerce international d’animaux sauvages était déjà clairement établi.
L’origine animale du Codiv-19 semble elle aussi faire consensus parmi la communauté scientifique : le virus, hébergé dans des populations de chauve-souris, aurait transité par un hôte intermédiaire, le pangolin, pour ensuite contaminer l’homme.
Une étude publiée dans la revue Nature le 26 mars 2020 décrit le pangolin comme le seul mammifère connu (en dehors de la chauve-souris) infecté par un coronavirus apparenté au CoV-2 du SARS. Ces travaux semblent confirmer que la présence de cette espèce au sein du marché de Huanan, à Wuhan, où la pandémie a débuté, a pu jouer un rôle dans la transmission du virus à l’homme.
Le pangolin, objet de convoitises
Le pangolin détient aussi le triste statut d’espèce la plus braconnée au monde.
Présent en Asie et en Afrique, c’est un insectivore solitaire, appréciant les fourmis, extrêmement facile à chasser : son mécanisme de défense face à ses prédateurs habituels, félins ou singes, consiste à s’enrouler sur lui-même. Une fois trouvé, le chasseur n’a plus qu’à le ramasser. Autrefois largement présent en Chine, ses populations se sont depuis longtemps effondrées.
Entre les années 1960 et 1980, jusqu’à 160 000 pangolins auraient été récoltés chaque année dans le pays à des fins de consommation. La sous-espèce de pangolin chinois est désormais classée « en danger critique d’extinction » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Face à la convoitise que suscitent les pangolins, les États parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ont décidé en 2016 de transférer les huit espèces de pangolins de l’Annexe II à l’Annexe I, celle des espèces menacées d’extinction dont le commerce n’est autorisé que dans des conditions exceptionnelles.
Depuis cette date, aucun commerce international de pangolins ne peut être autorisé sans permis d’importation et d’exportation délivrés par des autorités scientifiques. En Chine, l’article 27 de la loi du 8 novembre 1988 pour la protection de la faune interdit la vente, l’achat ou l’utilisation des produits de ces espèces protégées. L’article 151 du code pénal chinois réprime leur trafic d’une peine de plus de 5 ans d’emprisonnement, pouvant aller jusqu’à la mort si les circonstances sont particulièrement graves.
La Chine responsable de la crise ?
Les pangolins chinois ayant disparu, leur chasse étant par ailleurs interdite, ceux mis en vente sur le marché de Wuhan étaient nécessairement issus de filières clandestines, importés en violation des dispositions de la convention CITES et de la loi chinoise sur la protection de la faune. La responsabilité de la Chine pour ne s’être pas suffisamment assurée du respect des normes environnementales pourrait-elle être recherchée ?
Le Secrétariat de la convention CITES, assuré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, pourrait considérer à la lumière de ces éléments que les dispositions de la convention n’ont pas été effectivement appliquées par les autorités chinoises et leur demander l’adoption de mesures correctives (article XII de la Convention).
La Conférence des Parties pourrait également adresser à la Chine toute recommandation qu’elle juge appropriée. La Chine a vraisemblablement anticipé ces critiques en renforçant sa législation sur les espèces sauvages. Le 24 février 2020, le Comité permanent du Congrès national du peuple a totalement interdit le commerce et la consommation d’animaux sauvages, qu’ils soient ou non sur les listes d’espèces protégées.
En théorie, un État pourrait également saisir la Cour Internationale de justice (CIJ) pour dénoncer la violation, par la Chine, des dispositions de la convention CITES. Le moyen avait été invoqué par l’Australie à l’égard du Japon dans le contentieux relatif à la chasse à la baleine dans le Pacifique.
56 pays impliqués dans le trafic de pangolins
En réalité, il est peu probable que de telles procédures soient mises en œuvre, tant le trafic des espèces sauvages constitue un fléau mondial auquel tous les États sont confrontés.
Un rapport de l’UICN pour le Secrétariat de la Convention CITES révélait en 2017 que 56 États étaient impliqués dans le commerce illégal de pangolins (comme pays d’origine, d’exportation, de transit et/ou de destination) et que ce commerce était mondial.
Le trafic d’espèces sauvages figure parmi les activités criminelles les plus lucratives, souvent associé à d’autres activités illicites comme le blanchiment d’argent et la corruption.
Selon un rapport d’Interpol, il constitue avec les autres atteintes à l’environnement la principale source de financement des groupes armés et terroristes dans le monde. La protection des espèces est aussi un enjeu de nature sécuritaire.
La crise du Covid-19 permettra-t-elle de renforcer la lutte contre le braconnage et le trafic d’espèces ? Rien n’est moins sûr à court terme car la crise sanitaire pourrait paradoxalement accroître encore la pression sur la faune sauvage.
Des populations entières en Afrique et en Asie ont recours à des remèdes à base de plantes ou d’animaux pour renforcer leur système immunitaire.
D’autres se vengent sur des populations de pangolins ou de chauves-souris prétendument responsables de la maladie. Enfin, l’arrêt brutal du tourisme – et de ses devises – dans les parcs africains laisse le champ libre aux braconniers.
Attaquer les causes profondes de la crise sanitaire
Deux évènements internationaux sont cependant susceptibles de changer la donne. Le Congrès mondial de la nature de l’UICN, qui devait se tenir à Marseille au mois de juin, est reporté en janvier 2021.
Portée par une quarantaine d’organisations membres de l’UICN, y compris le ministère français des Affaires étrangères, une motion demande aux États de « traiter les crimes environnementaux comme des infractions graves » en prévoyant des sanctions pénales dissuasives et proportionnées, et en accroissant les moyens accordés à la lutte contre cette criminalité. Les liens entre trafics d’espèces protégées et crise sanitaire devraient lui conférer une dimension nouvelle.
Quelques mois plus tard se tiendra en Chine la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, initialement prévue au mois d’octobre 2020. Il s’agit d’un rendez-vous majeur destiné à déterminer le cadre d’action des trente prochaines années pour tenter d’enrayer l’effondrement de la biodiversité.
Les causes plus profondes de cette crise sanitaire, liées à la déforestation et à la perte des habitats naturels entraînant une trop grande proximité avec la faune et la flore sauvages y seront abordées. L’exigence de distanciation sociale entre humains pour freiner l’expansion de la pandémie pourrait déboucher sur des propositions concrètes visant à nous distancier plus durablement de la faune sauvage.
Vers une nouvelle régulation du trafic
Dans le cadre de la Convention CITES, la décision de limiter le commerce international d’une espèce est conditionnée à sa menace d’extinction, sans prise en compte des risques sanitaires que le commerce de certaines d’entre elles est susceptible de créer.
Le réseau de surveillance du commerce de faune et de flore sauvages « Traffic » appelait en avril 2020 à une réponse internationale coordonnée contre les risques de maladies liés au commerce des espèces sauvages, évoquant un nouvel accord international qui pourrait être développé sous les auspices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OiE).
En France, la réforme visant à créer des juridictions spécialisées pour l’environnement devrait être relancée dès la sortie de crise de manière à ce que nous disposions de magistrats spécialement formés pour lutter contre les crimes environnementaux. Les ports et aéroports français sont en effet les lieux de transits de nombreux trafics entre l’Afrique et l’Asie dans lesquels les saisies d’animaux sauvages, y compris de pangolins, sont courantes.
Un vendeur de pangolins du marché de Wuhan, pour un bénéfice de quelques centaines d’euros, aura probablement provoqué la plus grave crise sanitaire et économique que le monde ait connue depuis plus d’un siècle. L’analyse coûts-bénéfices de la transaction réalisée milite pour que des moyens plus importants soient enfin alloués à la protection de la faune sauvage et que cessent les trafics illicites.
Sébastien Mabile est Docteur en droit, avocat, chargé d’enseignement, Sciences Po – USPC par ailleurs Président de la Commission droit et politiques environnementales du Comité français de l’UICN, membre de la Commission mondiale du droit de l’environnement de l’UICN, membre de la Commission environnement du Club des Juristes et membre du Club des Avocats Environnementalistes.